Investiguez avant d’investir : un coup d’épée dans l’eau ?

25 mars 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
5 minutes de lecture

L’AMF a lancé sa campagne d’information de plus d’un million de dollars l’automne dernier et poursuit son plan d’éduquer le public investisseur avec l’aide de Guy Mongrain, floué sympathique et éloquent.

Clarifions la chose en partant : en déclarant dans la publicité qu’il avait confiance mais s’est fait rouler, et qu’il faut investiguer avant d’investir, Guy Mongrain envoie un message incohérent au public épargnant.

Si M. Mongrain avait eu accès à un registre pour vérifier l’enregistrement auprès des autorités compétentes de son conseiller en assurances d’alors, Jean-Claude Cusson, il aurait été quitte de sa « responsabilité d’investigation » et aurait pu continuer de libeller des chèques de dizaines de milliers de dollars au nom personnel de ce conseiller véreux auquel il vouait une confiance sans borne. « C’était un ami, on jouait au golf ensemble, nos enfants pratiquaient ensemble les mêmes activités. Comment aurais-je pu douter qu’il était en train de me duper ? », a-t-il candidement avoué en entrevue.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a décidé de se servir de cet exemple pour frapper l’imaginaire des consommateurs. Depuis, M. Mongrain participe aux « Conférences publiques sur la prévention de la fraude financière ». Le site de l’AMF invite d’ailleurs les visiteurs à s’y inscrire. Deux conférences ont déjà eu lieu à Québec et à Laval, trois suivront à Longueuil (le 29 avril), Saguenay et Sherbrooke (cet automne). Ces conférences sont gratuites, vous pouvez y assister.

Quelques conseillers l’ont d’ailleurs fait et ont trouvé l’expérience équivoque. Les deux premiers rendez-vous ont attiré environ 250 personnes chacun, selon le porte-parole de l’AMF, Sylvain Théberge. Celui-ci souligne aussi que M. Mongrain ne reçoit aucune rétribution monétaire supplémentaire pour sa participation à ces conférences, puisque l’entente globale signée avec l’AMF prévoyait sa participation à une panoplie d’activités à travers le Québec.

L’AMF recrute ses participants par le biais de son Info-courriel, de son site internet, grâce aux entrevues données aux médias de la région où va se dérouler la conférence et par de la publicité paraissant principalement dans les hebdos.

Jean St-Gelais en personne amorce les conférences, suivi du personnel de l’Autorité qui entretiennent le public sur différents thèmes (les Québécois et l’argent, la fraude etc.) Puis M. Mongrain fait part de sa déconvenue. Une période de questions du public conclut la rencontre.

À Laval, le mois dernier, plusieurs questions du public ont porté sur l’indemnisation. Des investisseurs floués en ont profité pour demander à M. St-Gelais pourquoi on les avait exclus, ou pourquoi rien n’avait été fait avec Mount Real. Les réponses ont été vaseuses et le climat… crispé. À la question « Que voulez-vous dire par investiguer ? », la réponse a été simple : « Consultez le registre des entreprises et des individus autorisés à exercer sur le site de l’AMF ».

Il nous apparaît évident que l’AMF fait un effort d’éducation du public jamais vu auparavant. Voilà un travail louable. Les scandales financiers des dernières années y sont peut-être pour quelque chose. On ne pourra blâmer l’Autorité de ne rien faire, d’autant que le pdg lui-même y participe ; son engagement mérite d’être souligné. Mais, au terme de sa tournée, l’AMF aura joint environ 1000 personnes. Il en aura donc coûté quelque 1000 $ par personne rencontrée. Bien sûr, la campagne à la télévision et à la radio aura touché plusieurs centaines de milliers de consommateurs, mais que restera-t-il d’un message comme celui-là ? L’anxiété ?

Plusieurs conseillers m’ont confié que des clients de longue date leur ont demandé leur numéro de certificat, alors que d’autres trop inquiets les ont quittés pour l’institution de dépôt du coin. À message ambivalent, réaction ambivalente !

Autre ressource complémentaire aux conférences, le Guide de l’investisseur Protégez-vous qui est remis aux participants. Le guide est imposant (plus de 70 pages), touffu, et il ratisse très large, tente de tout couvrir tout en communiquant les messages de prudence et de dénonciation préconisés par l’AMF ; il s’adresse à tous les publics investisseurs à la fois plutôt que de se concentrer sur les néophytes. Résultat : il est mal adapté au public auquel il devrait s’adresser. Par exemple, il présente une dizaine de cas plus ou moins appropriés de placements sur des titres individuels, alors que la majorité des épargnants québécois investissent dans des fonds communs. Bien que ces derniers détiennent quelque 100 milliards en FCP, aucun exemple de placement de ce type n’y est illustré ou vulgarisé. De plus, le document dresse un portrait incomplet et plutôt confus des intervenants de l’industrie, et la terminologie s’en tient au vocable « représentant ». Le Québec compte plus de 20 000 conseillers en sécurité financière inscrits comme tel au registre de l’AMF. Pas l’ombre d’une mention de ce titre, pas plus d’ailleurs que le titre d’A.V.A. ou d’A.V.C. On s’explique mal qu’un guide préparé en collaboration avec l’AMF n’offre pas ces renseignements pour le moins essentiels quand vient le temps de choisir un conseiller ! D’ailleurs, pas une seule fois on n’invite le lecteur à consulter avant d’investir. À la fin, on a la sourde impression que le conseiller est la cinquième roue du carrosse : celui dont on doit vérifier l’inscription, celui de qui on se plaint ou dont on se méfie, celui qui pourrait vous frauder, celui qu’on dénonce parce qu’on est insatisfait de ses services.

Rassurez-vous toutefois, l’AMF nous a confirmé que vos cotisations n’ont pas contribué à l’élaboration du guide.