Investir avec bonne conscience

Par Jean-François Venne | 15 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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L’investissement responsable a pris beaucoup d’ampleur au cours de la dernière décennie, mais a encore besoin d’être démystifié. Des dizaines de personnes ont pu en apprendre davantage lors du plus récent « cocktail vert » de l’organisme Cataléthique.

La petite salle du rez-de-chaussée de la Maison du développement durable, au cœur du centre-ville montréalais, débordait en cette soirée du 11 janvier pour cette discussion sur l’investissement responsable. Tous étaient là pour écouter différents conférenciers afin d’en apprendre davantage sur un concept pas toujours bien compris.

Il faut dire que l’on entend aussi bien parler d’investissement responsable que d’investissement socialement responsable, éthique, durable, vert… De quoi y perdre son latin. Pourtant, ces termes recouvrent tous la même intention de départ : investir en prenant en compte des critères non financiers.

« Toutes ces formes d’investissement ont en commun de choisir leurs placements en considérant les répercussions environnementales, sociales et de la gouvernance des entreprises émettrices », résume Rosalie Vendette, conseillère principale, investissement socialement responsable chez Desjardins.

Une approche loin d’être marginale. « Au Québec seulement, près de 50 % de l’actif sous gestion est le fait d’investisseurs qui prennent en considération ces trois éléments. Dans le monde, cela représente 70 000 milliards de dollars américains (87 232 G$ CA), ajoute la conseillère. Toutefois, c’est surtout le fait des grands investisseurs institutionnels. Chez les petits investisseurs, au Québec, on ne dépasse probablement pas 3 %. »

Ce serait en partie parce que les produits financiers socialement responsables ne sont pas nécessairement bien connus par tous les professionnels en services financiers, dont certains les boudent, estime-t-elle. C’est parfois à l’investisseur d’initier cette discussion avec son conseiller, voire à faire ses propres recherches.

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) compte 286 milliards de dollars d’actif sous gestion. Elle évalue systématiquement chaque occasion d’investissement à l’aune de ces critères non financiers et pas seulement pour des raisons morales.

« Notre mission est de fournir un rendement optimal et de contribuer au développement du Québec à long terme, rappelle Odrey Robillard, conseillère principale, investissement responsable et procurations à la CDPQ. Or, nous sommes convaincus que ces éléments extra-financiers bénéficient, à moyen et long terme, au rendement financier des entreprises. »

BOUDER OU FAIRE PRESSION?

Toutefois, quand il s’agit de choisir les stratégies à adopter pour rendre les placements responsables, des enjeux surgissent. Le principal est la question de l’exclusion. Plusieurs fonds d’investissement responsables sont carrément exempts de certaines entreprises, voire d’industries entières comme les énergies fossiles, les armes ou le nucléaire.

La CDPQ s’est engagée en octobre 2017 à augmenter de 16 à 24 milliards de dollars ses investissements dans les éléments d’actif sobres en carbone d’ici 2020 et à diminuer l’empreinte carbone de chaque dollar investi de 25 % d’ici 2025. Pour autant, la Caisse n’a pas une stratégie d’exclusion systématique des titres de certains secteurs, pour une raison fort simple : l’objectif de l’investissement responsable est d’influencer les performances environnementales, sociales ou la gouvernance des entreprises.

Cependant, en refusant de devenir actionnaires de certaines d’entre elles, on se prive de voix auprès de leurs dirigeants. Selon Odrey Robillard, le boycott d’un titre n’a pas toujours de grandes répercussions sur les marchés, puisque pour un investisseur boudant un titre, il s’en trouvera un autre pour l’acheter. L’entreprise ne verra pas la différence.

Lors de la période d’échanges avec le public, Pierre Viau, directeur général du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE), témoignait de la volonté de certains des membres de l’organisme de se désinvestir complètement des énergies fossiles.

« Or, notre mission est d’engager un dialogue avec les entreprises dont nous sommes actionnaires, rappelle-t-il. Si tous ceux qui ont l’environnement à cœur se retirent de l’actionnariat de ces entreprises, elles vont faire ce qu’elles veulent. Il est plus efficace de discuter avec elles de l’intérieur, voire de présenter des propositions d’actionnaires lors d’assemblées générales. »

Évidemment, la voix de géants tels la CDPQ ou Desjardins porte plus que celles des petits investisseurs, mais ces derniers peuvent agir en se réunissant au sein d’organismes comme le RRSE ou le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).

« Les régulateurs et les législateurs ont un rôle important à jouer pour améliorer le bilan environnemental et social, ainsi que la gouvernance des entreprises, croit Rosalie Vendette. Par exemple, les lois très contraignantes interdisant de fumer adoptées par de nombreux pays occidentaux ont eu beaucoup plus d’impact sur les compagnies de tabac que les décisions des investisseurs. Même en investissant de manière responsable, les investisseurs ne règleront pas tous les problèmes du monde. »

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Jean-François Venne