Investir dans le crypto-art : attrayant, mais risqué

Par Carole Le Hirez | 11 avril 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

L’achat d’œuvres d’art virtuelles à l’aide de jetons non fongibles (NFTs) séduit un public de plus en plus large. Que doivent savoir les clients qui souhaitent investir dans ce marché attrayant, mais hautement spéculatif ?

La création d’œuvres numériques est foisonnante. Le nombre d’artistes qui utilisent ce médium augmente sans cesse et les plateformes qui échangent leurs productions se multiplient, confirmaient récemment des acteurs montréalais du domaine, lors d’une table ronde virtuelle organisée par Prisme, le laboratoire de médiation numérique du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM).

Ce marché, s’il est attrayant, reste complexe à saisir par les investisseurs. « Le marché des NFTs est très cyclique et ses mouvements sont difficiles à prévoir », a prévenu d’emblée Yannick Folla, collectionneur de crypto-art et co-fondateur d’0x Society, une galerie d’art montréalaise spécialisée dans les NFTs.

Le marché des jetons non fongibles d’art ou crypto-art a connu une croissance importante au cours des deux dernières années. Il dépassait 3 milliards de dollars (G$) au 31 décembre 2021, pour 77 307 ventes à 122 311 acheteurs, selon la plateforme NonFungible.

UN MARCHÉ DIFFICILE À ÉVALUER

Un des principaux défis pour les investisseurs consiste à évaluer la valeur de l’art numérique. « Elle est basée sur une promesse de croissance dans un horizon de 5 à 10 ans en fonction de l’adoption du médium numérique par la sphère artistique traditionnelle », rapporte Yannick Folla. Le marché des NFTs connaît actuellement beaucoup de hauts et de bas. Il a subi une forte montée de mars à juin 2021, puis une accalmie, avant de recommencer à grimper durant l’automne et de redescendre pour stagner en ce moment, illustre l’entrepreneur.

Cette difficulté à prévoir les fluctuations du marché est due notamment à sa nouveauté, au nombre limité de comparables ainsi qu’à la frilosité des grands collectionneurs et des institutions muséales à investir dans ce type d’œuvres. « Certains prix flambent chez des artistes qui ont démarré leur production depuis seulement un an ou deux et qui vont chercher des prix plus élevés que certains créateurs renommés en art contemporain », signale Yannick Folla. L’exemple de l’artiste numérique Beeple (Mike Winkelmann), qui a vendu une œuvre chez Christie’s pour 69,3 M$ en 2020, est souvent cité pour illustrer l’explosion récente des prix sur ce marché.

SE PROTÉGER DES RISQUES

Cette situation suscite à la fois l’envie et le scepticisme. « Les NFTs sont un sujet qui polarise. Le discours manque de nuance », indique Nathalie Casemajor, chercheure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui caractérise cette forme d’art comme « des scènes créatives en quête de légitimation ». Le marché du crypto-art est en effet marqué dans les médias par des risques liés aux fraudes, à la cybersécurité, aux enjeux de consommation énergétique, à la spéculation et à l’hypercapitalisme, ajoute-t-elle.

Le blanchiment d’argent, la contrefaçon et le vol de données sont parmi les principaux risques constatés dans les échanges de NFTs. Selon une étude de la plateforme d’analyse Nansen pour le Financial Times, cet espace non réglementé est en proie à la fraude, aux escroqueries et à la manipulation du marché, notamment parce que les identités réelles des acheteurs et des vendeurs sont difficiles, voire impossibles, à découvrir du fait que les transactions sont traitées par la chaîne de blocs.

« Un grand nombre d’acheteurs gèrent mal la sécurité de leur portefeuille d’œuvres et risquent de se les faire voler en cas de faux pas ou en partageant leurs informations privées avec de mauvais partis », précise Yannick Folla, qui a publié un guide virtuel à l’intention des collectionneurs de NFTs. Il conseille de conserver les œuvres sur un dispositif externe, d’éviter de cliquer sur des liens inconnus, d’écrire les noms des sites dans la fenêtre du navigateur pour ne pas être dirigé vers un faux site et de ne jamais accepter de l’aide de personnes inconnues sur Internet.

Un autre risque réel est l’éventualité que l’artiste cesse de créer du jour au lendemain des œuvres sous formes de NFTs. L’acheteur risque alors de ne pas obtenir de croissance, voire de subir une décroissance dans la valeur des œuvres de l’artiste.

À SAVOIR AVANT D’INVESTIR

Voici quelques conseils pour les clients qui seraient tentés d’investir dans le crypto-art :

  • Choisir ses plateformes: les plateformes qui proposent des œuvres d’art numériques en NFTs se comptent par dizaines. Une première approche consiste à les explorer pour comprendre comment elles fonctionnent. Par exemple, certaines utilisent un système d’abonnement, d’autres prennent un pourcentage sur chaque transaction.
  • Qui vend et pourquoi : le marketing personnel est un élément très important chez les artistes numériques, souligne Yannick Folla. Ils sont souvent les acteurs de leur propre promotion. Observer comment ils se présentent et de quelle manière ils effectuent la promotion de leur art sur les médias sociaux permet de se faire une idée sur le sérieux de leur démarche, leur engagement envers leur art et leur pérennité sur le marché.
  • Trouver son style : ces démarches permettent également de repérer son style, de cibler le type d’œuvres et d’artistes que l’on souhaite collectionner afin de créer un portefeuille d’art cohérent susceptible de prendre de la valeur, à l’image du processus d’investissement traditionnel dans l’art.
  • Commencer petit : une façon de se lancer consiste à acquérir des œuvres NFTs faisant partie de séries d’éditions multiples, en général moins coûteuses que des œuvres uniques ou à choisir des œuvres d’artistes émergents, recommande Yannick Folla. Cette approche permet également de comprendre comment acheter les œuvres, et de quelle manière les détenir et les sécuriser, avant de se lancer dans des achats plus importants.
  • Rechercher les Blue chips: plusieurs créateurs sont identifiés comme des valeurs sûres du marché, tels que Beeple, l’artiste transgenre FEWOCiOUS, fvckrender, l’artiste anonyme Pak, ou encore XCOPY, un des pionniers de l’art numérique. À défaut de pouvoir se procurer une œuvre unique, on peut investir à moindre coût dans une édition d’une série des 5 à 10 artistes les plus connus.
  • Investir dans un collectif : investir par le biais d’une organisation autonome décentralisée (DAO), qui émet des parts acquises sous forme de jetons, donnés ou achetés, permet de posséder une participation donnant un droit de vote, pour agir par exemple sur la gouvernance d’un projet ou faire une levée de fonds. Plusieurs collectifs d’artistes l’utilisent de manière expérimentale.

On peut également acheter des jetons à l’intérieur d’un portefolio d’œuvres d’art et détenir ainsi une partie d’une œuvre dont la propriété est fractionnée entre plusieurs détenteurs de jetons. Le retour sur investissement se fait alors sous forme de dividende.
Ces approches sont toutefois plus complexe sur le plan technique, car elles demandent plus de recherches pour trouver les bons véhicules et le collectionneur n’a pas entièrement le contrôle sur les décisions et la trésorerie, tempère Yannick Folla.

En raison de ses caractéristiques et de son marché, l’investissement dans le crypto-art se range dans la catégorie des placements alternatifs, qui se distinguent par leur caractère hautement spéculatif et par des actifs peu liquides. Les investisseurs qui choisissent d’y investir le font avant tout par plaisir. Il est important de rappeler aux clients que des gains sont possibles à condition de suivre le marché régulièrement et de prendre certaines précautions pour se protéger des principaux risques.

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