Investissement : se comparer pour mieux performer

Par André Gosselin | 1 octobre 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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  • Les titres d’entreprises de petite taille donnent à long terme des rendements supérieurs à ceux d’entreprises de moyenne ou de grande taille.
  • Des différences fondamentales entre les comportements boursiers des deux pays est que le Canada semble un marché de type trend following ou, si vous préférez, de suivi de tendances.
  • La stratégie qui semble fonctionner le mieux sur le marché canadien est celle qui consiste à acheter les titres qui ont donné le meilleur rendement en Bourse lors des neuf ou douze derniers mois.
  • Aux États-Unis, la stratégie de momentum n’est pas aussi payante qu’au Canada.
  • Les gestionnaires de style valeur peuvent considérablement bonifier leur performance en misant sur les titres à fort momentum.
  • Pour les gestionnaires de style croissance, la stratégie de type momentum ajoute également beaucoup de rendement au portefeuille Se comparer aux Américains est un des sports favoris des Canadiens. Chez les investisseurs par exemple, l’obsession de la comparaison prend plusieurs formes et suscite un tas de questions.

L’économie canadienne est-elle vraiment en meilleure santé que l’économie américaine ?, demande André Gosselin, Ph.D., fondateur de la philosophie de gestion d’Orientation Finance.

Le dollar canadien est-il surévalué ou sous-évalué par rapport au dollar américain ? Considérant la force de notre dollar, faut-il surpondérer la portion américaine de notre portefeuille ?

Les économistes financiers qui comparent les marchés financiers des deux pays découvrent plusieurs similitudes applicables à la plupart des marchés boursiers des pays développés. Ainsi, les titres d’entreprises de petite taille donnent à long terme des rendements supérieurs à ceux d’entreprises de moyenne ou de grande taille. Les titres qui se vendent à des ratios cours/bénéfices peu élevés performent mieux que ceux qui se vendent à des ratios élevés. Ces ressemblances entre le Canada et les États-Unis sont connues depuis plus d’un quart de siècle et elles n’étonnent plus vraiment personne dans l’industrie du placement.

Depuis quelques années cependant, certains analystes financiers observent des différences entre les deux marchés qui ne cessent de surprendre, et qui peuvent surtout aider les gestionnaires de portefeuille à mieux définir leurs filtres de sélection de titres.

Ainsi, une étude réalisée en 2007 par Yin Luo, analyste quantitatif chez CIBC World Markets, a montré qu’une des différences fondamentales entre les comportements boursiers des deux pays est que le Canada semble un marché de type trend following ou, si vous préférez, de suivi de tendances, tandis que les États-Unis sont un marché de type mean reversion, c’est-à-dire de retour à la moyenne. Si c’est le cas, cela voudrait dire que nous avons intérêt à adopter une stratégie de momentum pour le Canada, et une stratégie contrarian (à contre-courant) pour les États-Unis.

En termes concrets, la stratégie qui semble fonctionner le mieux sur le marché canadien est celle qui consiste à acheter les titres qui ont donné le meilleur rendement en Bourse lors des neuf ou douze derniers mois. Ainsi, au cours des 20 années étudiés (1987 à 2007), un portefeuille composé du meilleur quintile du marché canadien en termes de momentum du prix des actions sur un an a donné, lors des 12 mois suivants, un rendement supérieur de 2,4 % en moyenne par mois (33,1 % par année) par rapport au quintile des titres qui avaient affiché le moins bon rendement sur un an. Quand vous investissez sur le marché canadien, vous avez donc intérêt à acheter des titres qui ont fortement monté plutôt que des titres qui ont subi une forte correction.

Aux États-Unis, la stratégie de momentum n’est pas aussi payante qu’au Canada. En fait, avance Yin Luo, l’effet momentum aurait pratiquement disparu du marché américain de-puis qu’il a été popularisé au milieu des années 1990. Pourtant, cet effet momentum a sévi durant plus d’un demi-siècle à la Bourse américaine (en l’occurrence entre 1940 et 1990), comme en témoigne une bonne douzaine d’études universitaires publiées au début des années 1990.

Depuis lors, on ne peut pas dire que « l’anomalie du momentum » est aussi forte que sur le marché canadien. Selon les données compilées par Yin Luo, une stratégiedemomentumqui consiste à acheter les meilleurs titres américains (ou quintile des plus élevés) des 12 derniers mois n’aurait ajouté que 2,1 % de rendement annuel (33,1 % au Canada, rappelons-le), par rapport à un portefeuille composé des pires titres américains.

Comme plusieurs autres chercheurs des milieux universitaires et professionnels, Yin Luo a constaté que le mouvement des prix des actions à la Bourse américaine a une forte propension à retourner à la moyenne. Ainsi, les titres qui surperforment sur le marché depuis un mois ont tendance à sous-performer le mois suivant. À l’inverse, les titres qui sous-performent depuis un mois, surperforment le mois suivant.

L’investisseur qui veut appliquer une stratégie de type momentum sur le marché américain a tout intérêt, selon Yin Luo, à la combiner avec une stratégie de retour à la moyenne à court terme. Une telle stratégie consisterait à acheter les titres qui ont fortement monté depuis 12 mois en général, mais qui ont subi une correction significative depuis un mois. Pour la période qui va de 1987 à 2007, une telle stratégie ajoute 6,3 % de rendement annuel moyen par rapport à une stratégie qui consiste à acheter les titres qui ont sous-performé le marché lors des 12 derniers mois.

En quête d’Alpha Selon les simulations rétrospectives de Yin Luo, l’effet momentum semble encore très présent sur le marché canadien, contrairement à ce qu’on croit observer sur le marché américain. Le boom des prix des matières premières et de l’énergie dont profite l’économie canadienne depuis plus de cinq ans expliquerait en bonne partie ce phénomène. Année après année depuis 2001, les titres qui offrent les meilleurs rendements sont ceux de ce secteur. Depuis cette année-là, l’investisseur qui voulait bien réussir sur le marché boursier canadien n’avait qu’à acheter les titres qui performaient le mieux depuis les neuf ou douze derniers mois.

Certes, le facteur du momentum semble être une clé de la réussite sur le marché canadien, ce qui n’empêche pas un certain nombre de gestionnaires de fonds communs ou de caisses de retraite de se demander avec quels autres critères de sélection de titres il convient d’associer une stratégie de type momentum.

Dans une étude publiée par CIBC World Markets en février 2008, les analystes Yin Luo, Zongye Chen et Javed Jussa tentent d’apporter des éléments de réponse, en mettant à l’épreuve plusieurs critères secondaires tels la valorisation des titres (par exemple : ratio cours/bénéfices), la croissance des bénéfices, la révision des profits par les analystes, la qualité de la gestion financière des entreprises (marges bénéficiaires et rendement de l’avoir des actionnaires), et la taille des entreprises. Leur corpus de données comprend 400 entreprises canadiennes (excluant donc les titres de très petites capitalisations et les titres peu liquides), pour toute la période qui va de décembre 1985 à janvier 2008.

Trouver le momentum La conclusion la plus intéressante de l’étude, à mon avis, est que les gestionnaires de style valeur peuvent considérablement bonifier leur performance en misant sur les titres à fort momentum. Acheter des aubaines c’est bien, mais acheter des aubaines qui ont la faveur du marché depuis 12 mois, c’est encore mieux.

Le critère du momentum, écrivent les trois analystes, permet aux gestionnaires de style valeur d’éviter ce qu’on appelle, dans le jargon de Wall Street, la value trap : ce piège où certains titres considérés comme des aubaines ne parviennent pas à décoller ou, pire encore, voient leurs cours reculer de semaine en semaine.

Depuis 1985, le tercile (qui correspond au tiers de l’échantillon) du marché canadien où l’on retrouve les meilleures aubaines en termes de ratio cours/bénéfices a procuré un rendement mensuel moyen de 1,2 %. En ne choisissant, dans cet univers de valeurs, que les titres qui ont connu un fort momentum depuis les neuf derniers mois (le tercile supérieur), l’investisseur pouvait espérer un rendement mensuel moyen de son portefeuille de 1,8 %, soit une performance supérieure de 50 % à la stratégie de type valeur seulement.

Les chercheurs ont découvert des résultats similaires quand la valeur des titres est mesurée par le ratio cours/bénéfices anticipé, le ratio cours/fonds autogénérés, la valeur historique relative des titres et la valeur relative des titres par rapport à leurs secteurs respectifs. En revanche, quand la valeur des titres est mesurée en fonction de critères comme les ratios cours/vente et cours/valeur comptable, les exploits de la stratégie de momentum sont moins significatifs.

Pour les gestionnaires de style croissance qui n’hésitent pas à payer le prix fort pour des entreprises qui font peu ou pas de profits aujourd’hui, mais qui en promettent beaucoup dans un futur plus ou moins éloigné (ou encore qui font beaucoup de profits aujourd’hui, mais qui en promettent davantage dans le futur), la stratégie de type momentum ajoute également beaucoup de rendement au portefeuille : 1,7 % de rendement mensuel pour le tercile des titres qui présente le momentum le plus élevé, par rapport à – 0,9 % de rendement mensuel pour le tercile qui offre le momentum le moins élevé.

En règle générale, l’investisseur qui a une philosophie de type momentum gagne à rechercher :

  • des titres qui constituent des aubaines ;
  • des titres qui connaissent une bonne croissance de leurs profits, de leurs chiffres d’affaires et de leurs fonds autogénérés depuis quelques trimestres ;
  • des titres d’entreprises de petite taille plutôt que de grande taille ;
  • des titres dont les profits sont révisés à la hausse par les analystes financiers plutôt qu’à la baisse.

Et pour ceux qui sont téméraires, les chercheurs recommandent une stratégie long/short, qui combine donc des positions longues et des positions de vente à découvert (dans ce cas-ci, on vendra les titres qui ont mal performé depuis neuf mois). Sur le marché canadien, une telle stratégie a généré un rendement de 37,3 % par an entre décembre 1985 et janvier 2008. De quoi faire rougir d’envie ceux de nos amis amé-ricains qui daignent se comparer à nous.

André Gosselin