Julie Piché, justicière de la CSF

Par Jean-François Parent | 17 février 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Julie Piché
Photo : CSF

Depuis son arrivée en septembre dernier, la nouvelle syndique adjointe senior de la Chambre de la sécurité financière, Julie Piché, prend tranquillement ses repères dans l’univers disciplinaire.

L’avocate spécialisée en droit disciplinaire et professionnel se joint au bureau du syndic de la CSF à un moment charnière de l’histoire du quasi-ordre professionnel. Depuis l’an dernier, on mise davantage sur une approche « client », dirigée vers les conseillers : réduction des délais, accent sur la réhabilitation et la prévention, meilleure communication…

Julie Piché estime pouvoir aider à négocier ce virage en s’appuyant sur son expérience, mais également sur le recul que lui impose sa nouvelle fonction. « Monter un dossier exige de tenir compte de toutes les facettes d’une situation, d’écouter toutes les parties et d’avoir une vision plus large de l’affaire », explique-t-elle à Conseiller, qui l’a rencontrée à ses bureaux.

Fille de policier, Julie Piché cultive depuis longtemps une petite facette de « justicière ». Après 20 ans de pratique privée – dont l’approche transactionnelle l’intéressait de moins en moins – elle saisit l’occasion offerte par la CSF. « J’ai l’impression de faire une différence », dit-elle en référence à l’aspect « protection du public » qui caractérise son rôle.

VISION ÉLARGIE

Auparavant responsable du groupe de litige disciplinaire et droit professionnel au cabinet montérégien Therrien Couture, devenu Therrien Couture Joli-Coeur en même temps qu’elle quittait le cabinet, l’avocate connaissait depuis longtemps les rouages procéduraux de la CSF. Depuis la fin des années 2000, elle a souvent représenté le syndic de la CSF devant le conseil de discipline.

Sauf qu’elle n’avait ainsi accès qu’à un seul aspect du dossier. Cela confère une vision plus étroite des choses, où l’on tente surtout de marquer des points et de convaincre le juge – ou le comité de discipline – du bien-fondé de sa position.

Voilà qu’elle intervient maintenant en amont de chaque dossier. Il faut soupeser le pour et le contre de chaque élément, entendre toutes les versions de chaque histoire… « On voit alors la réalité des représentants sous un nouvel éclairage, on devient plus sensible à leur quotidien », poursuit-elle.

La perspective plus large qu’elle doit maintenant adopter lui permet de saisir davantage les nuances de gris d’une situation. « Il faut aller plus loin que la sanction et l’expérience du litige me donne un avantage pour évaluer la preuve recueillie pendant l’enquête », permettant de faire le tri entre ce qui est important et ce qui l’est moins, poursuit-elle.

UNE APPROCHE « CLIENT »

De là à dire que les enquêtes peuvent gagner en efficacité, il n’y a qu’un pas. Qui ne manque pas d’être franchi dans le contexte de l’approche « client », tourné vers les membres de la CSF, que s’impose le bureau du syndic.

« On veut réduire les délais, faire des suivis avec les conseillers. » Julie Piché estime qu’un conseiller visé par des procédures doit pouvoir savoir rapidement à quoi s’en tenir. « On le sait, faire l’objet d’une enquête occasionne beaucoup de stress. »

L’avocate est donc partisane de l’application d’une réglementation davantage basée sur le principe, s’appuyant notamment sur l’imposition d’une conséquence proportionnelle à la faute. L’envoi de mises en garde pour certaines erreurs de nature technique – comme un préavis de remplacement mal rempli parce que mal compris – en est un bon exemple.

En vigueur depuis quelques années, la pratique consiste à envoyer un « blâme administratif » aux assujettis dont la faute est davantage causée par l’inexpérience ou la mauvaise application d’une règle. Près de 200 avis sont ainsi expédiés chaque année et notés au dossier du conseiller.

À peine 4 % des professionnels visés par une telle mesure se sont par la suite retrouvés devant le conseil de discipline pour d’autres infractions, illustrant le bien-fondé de la mesure : pour peu qu’on prenne le temps d’expliquer aux conseillers où est l’erreur, ils la corrigeront, croit Me Piché.

UNE GRANDE RESPONSABILITÉ

Il reste que le gant de velours doit parfois laisser la place à une main de fer. Ainsi, il y a des gestes carrément interdits, alors que certains sont déconseillés. D’autres dépendent du contexte. « Alors que les conseillers ont des clients qui vieillissent, la protection des gens vulnérables doit devenir une priorité. On voit de plus en plus de dossiers où les représentants connaissent leur client depuis longtemps. Ils veulent leur rendre service et voilà qu’ils se retrouvent mandataires… », ce qui est interdit.

Les produits se multiplient. La finance et les assurances sont des domaines complexes et les clients ne comprennent pas tout, ce qui ne les empêche pas de nourrir de grandes attentes. « Les responsabilités du conseiller sont donc plus grandes. S’il est vrai que le client en a aussi, c’est le conseiller qui est le professionnel, qui accompagne le client dans tous les moments de sa vie. »

C’est donc à lui d’agir en conséquence, conclut Julie Piché.

Quant aux récents débats entourant l’avenir de la Chambre, ainsi que sur la qualité de la formation continue offerte aux conseillers, elle a préféré ne pas discuter de ces sujets délicats.

Jean-François Parent