Jusqu’où va la responsabilité d’aider son client lésé par un intermédiaire?

Par Dominique Lamy | 21 août 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Même des années après sa débâcle, Lehman Brothers continue de faire des vagues dans l’industrie des services financiers. La dernière en date consiste en un recours juridique intenté contre RBC Services-conseils en placements (désormais RBC Phillips, Hager & North Services-conseils en placements) pour faute professionnelle, en lien avec le règlement de la faillite de la célèbre banque d’investissement américaine.

L’histoire

En mars 2007, les demandeurs Marie et André Laurendeau, des investisseurs fortunés, confient une partie de leur patrimoine à la RBC. Les 28 mars et 17 avril 2007, pour le compte des demandeurs, RBC achète chaque fois 10 000 obligations non garanties délivrées par Lehman Brothers Holdings Inc. qui portent intérêts au taux de 4,730 % l’an et qui viennent à échéance le 1er juin 2011.

En février 2008, les demandeurs ferment leur compte auprès de RBC et transfèrent les actifs à TD Waterhouse. Quelques mois plus tard, vers le 15 septembre 2008, le groupe Lehman Brothers se place sous la protection des tribunaux siégeant en faillite aux États-Unis, entraînant la panique généralisée sur les marchés boursiers mondiaux que l’on sait.

Le 14 juillet 2009, les Laurendeau écrivent à RBC souhaitant obtenir « les preuves complètes » de l’achat des débentures afin de déposer une preuve de réclamation « en bonne et due forme ». Ils précisent que TD Waterhouse ne détient aucun certificat ni aucune autre preuve des transactions. Illico, RBC fait parvenir des relevés de portefeuille pour la période du 1er janvier 2007 au 30 juin 2007, mentionnant qu’il s’agissait d’une preuve suffisante pour déposer aux États-Unis une réclamation en vue d’obtenir compensation à la suite de la faillite du géant américain.

Le 14 août 2009, les demandeurs sont avisés par l’Epiq Bankruptcy Solutions LLP que les placements concernés ne sont pas inclus sur la « Master List of Securities ».

Ils écrivent de nouveau à RBC le 25 août suivant. Ils mentionnent que les informations envoyées en juillet étaient insuffisantes car on leur rétorque que la créance ne fait pas partie de cette fameuse liste. Ils réclament que les informations « complètes et nécessaires » leur soient transmises au plus tard le 8 septembre 2009 afin qu’ils puissent produire une seconde réclamation prouvable avant le 22 septembre 2009.

Le 11 septembre 2009, les demandeurs envoient une mise en demeure à RBC en soulignant la supposée négligence de celle-ci à leur remettre les informations demandées avant la date exigée. Ils lui réclament la somme de 3600 $ plus dommages-intérêts (pour un total de 5200 $), soit la valeur des obligations non garanties inscrites au compte de Marie Laurendeau auprès de TD Waterhouse.

Deux semaines plus tard, un second formulaire de preuve de réclamation prouvable est expédié, pour lesquels des objections sont soulevées par Epiqsystems et par la United States Bankruptcy Court. Durant les mois de mai 2010 à avril 2012, et alors que des démarches et correspondances supplémentaires se poursuivent, les demandeurs en viennent même à être d’avis que les titres concernés sont faux et sans valeur.

La poursuite

Le couple décide d’entamer une poursuite judiciaire, convaincu que RBC a commis une faute professionnelle en ne lui fournissant pas les « informations complètes et nécessaires » qui leur auraient permis de présenter une preuve de réclamation valable dans la faillite de Lehman Brothers.

La RBC, de son côté, soutient n’avoir commis « aucune faute ou négligence puisque qu’elle a fourni les seuls documents pertinents dont elle avait le contrôle pour aider les demandeurs à faire leur démarche ».

L’affaire est d’autant plus complexe que les récriminations des demandeurs ont évolué avec le temps, compliquant l’évolution de la cause qui se déroulait en l’absence d’avocat pour la partie défenderesse.

Le verdict

Le litige s’est soldé en juillet dernier par le rejet de la réclamation des Laurendeau, les demandeurs n’ayant pu prouver une faute précise de la part de RBC dans cette affaire qui démontre les ramifications sans fin de la faillite d’une institution jadis considérée comme inébranlable.

Dans son jugement, l’honorable Alain Breault ajoute qu’il n’existe « aucun lien de causalité entre la faute alléguée et les pertes que les demandeurs prétendent avoir subies ».

Le juge soulève également que RBC n’avait aucune obligation de prêter assistance aux demandeurs pour la préparation des réclamations prouvables et leurs démarches subséquentes auprès de l’autorité judiciaire américaine siégeant en matière de faillite.

Pourtant, au moment de la publication du jugement, la première réclamation prouvable produite au début août 2009 faisait partie de la liste des dettes ou débiteurs de Lehman Brothers. Selon le jugement, elle risquait toutefois de devenir irrecevable aux vues de sa valeur établie à une somme nulle.

De plus, et dans le contexte d’une réclamation judiciaire, les demandes pécuniaires doivent être présentées dans la devise du pays où la réclamation est déposée. Les demandeurs n’ont pas respecté cette règle élémentaire, présentant leurs demandes en dollars canadiens.

Quatre ans plus tard, la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers continue de hanter petits et gros investisseurs, obligeant ceux-ci à se rappeler que la compréhension d’un instrument financier demeure une condition sine qua non pour investir à tête reposée.

Dominique Lamy