La Bourse s’effondrerait-elle vraiment sans Donald Trump?

27 août 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Toujours aussi confiant en ses moyens, le président américain Donald Trump soutenait récemment dans une entrevue accordée à Fox News que s’il était démis de ses fonctions, la Bourse s’écroulerait et que tout le monde serait « très pauvre ».

Il a émis ce commentaire dans la foulée de problèmes judiciaires de deux de ses anciens acolytes. Son ex-chef de campagne, Paul Manafort, a été condamné pour fraudes bancaires et fiscales, alors que son ex-avocat personnel, Michael Cohen, a plaidé coupable à huit chefs d’accusation, dont deux concernant le financement des campagnes électorales. Il a également admis avoir versé de l’argent à l’actrice et réalisatrice porno Stormy Daniels et l’ex-playmate Karen McDougal pour qu’elles taisent la liaison qu’elles auraient eue avec Donald Trump.

Comme M. Cohen soutient que le président lui avait lui-même demandé de verser ces sommes avec l’intention d’influencer l’élection présidentielle de 2016, les discussions autour d’une possible destitution (impeachment) de Donald Trump ont refait surface. D’autant que l’enquête sur les agissements de la Russie pendant la campagne de 2016 et ses liens avec l’équipe du président américain est toujours en cours et que les prochaines élections de mi-mandat, en novembre, pourraient redonner l’emprise aux démocrates sur le Congrès.

LES PRENEURS AU LIVRE EN PROFITENT

En date du 24 août, le site de pari en ligne MyBookie offrait une cote de +300 à ceux qui misaient sur la destitution de Donald Trump (c’est-à-dire que quelqu’un ayant misé un dollar pour la destitution du président américain en recevrait trois si elle se concrétisait, en plus de récupérer sa mise de départ). Du côté de BetOnline, la cote est à +210. Les cotes pour ceux qui misent contre un éventuel impeachment sont de -500 sur le site de MyBookie et de -250 sur celui de BetOnline. Sur ce dernier, on peut même miser sur l’année de destitution du président. La cote pour une destitution en 2018 est de +950, mais elle grimpe jusqu’à +2150 pour une destitution en 2020 (année de la prochaine élection).

C’est donc dire que pour l’instant, les preneurs au livre prévoient qu’il y a plus de chances que Donald Trump reste en poste que l’inverse.

SANS DONALD TRUMP, POINT DE SALUT?

Mais si le président était destitué, faudrait-il vraiment craindre un effondrement du marché? Probablement pas, répondent les analystes. Pour Charles Geisst, professeur de finance au Manhattan College, la bonne performance du marché pendant le mandat de Donald Trump tient plus à une coïncidence. Il rappelle aussi dans un article de l’Agence France-Presse que la majorité du Congrès soutient ses politiques fiscales et sa déréglementation du système financier et continuerait dans la même veine sans lui.

Le cours des actions est surtout lié aux bons résultats des entreprises américaines, souligne également Sam Stovall, chef de la stratégie d’investissement pour la firme de recherche financière CFRA. Lui aussi croit que si le vice-président Mike Pence reprenait les rênes du pouvoir, les politiques resteraient globalement les mêmes.

L’incertitude au sujet de la destitution, si la procédure était bel et bien amorcée, pourrait toutefois avoir un certain effet sur les marchés, tout comme d’éventuels gestes de panique ou de vengeance de Donald Trump, tels que renvoyer le président de la Réserve fédérale Jerome Powell ou jeter de l’huile sur le feu de la guerre commerciale avec la Chine.

Cependant, lors de la démission de Richard Nixon en 1974, l’effet sur les marchés, déjà mal en point, avait été négligeable. Même chose lors de la procédure de destitution entamée contre Bill Clinton en 1998. En fait, les marchés ont été en hausse pendant cinq mois avant l’acquittement de Bill Clinton en février 1999.

LE MEILLEUR EST DERRIÈRE

Dans le Financial Post, Kristina Hooper, stratège en chef des marchés mondiaux à Invesco, rappelle que la majorité des baisses d’impôts pour les entreprises et de la déréglementation a déjà été effectuée. Les mesures qui sont en cours ou à venir, notamment en commerce international (hausse des tarifs douaniers), nuisent plutôt à la croissance et inquiètent les chefs d’entreprise.

Même son de cloche chez Craig Eriam, analyste principal du marché à Oanda Corp, à Londres. Selon lui, la réforme fiscale a déjà eu son effet positif sur les marchés et les revenus d’entreprise. C’est surtout un ralentissement notable de la croissance américaine qui pourrait ébranler les marchés.

« Les marchés d’actions ne semblent pas y accorder d’attention et je crois qu’ils ont raison, soutient Nicholas Colas, cofondateur de DataTrek Research. Les taux sont bas, le dollar est fort et les revenus des entreprises restent robustes. Ce sont les seules choses sur lesquels les prix des actions peuvent (et devraient) être basés. »

EFFET POSITIF

Sur le site web de Bloomberg, le chroniqueur Conor Sen se montre encore plus optimiste. Il croit qu’une destitution du président pourrait faire bondir les marchés, surtout s’ils affichent un certain ralentissement d’ici là. Il dresse un parallèle avec la démission de Richard Nixon. En janvier 1973, au début du second mandat du président républicain, le S&P 500 battait des records et le taux d’appui au président était aussi haut qu’il ne l’avait jamais été. Pourtant, l’épisode du Watergate avait débuté sept mois plus tôt.

Toutefois, cette année-là, l’inflation a bondi. En janvier 1973, l’IPC (excluant les aliments et l’énergie) avait augmenté de 2,5 %. À la fin de 1973, il avait grimpé à 4,7 %. Le S&P 500 a dégringolé de plus de 17 % cette année-là et le taux d’approbation du président a fondu, passant de plus de 60 % à environ 30 %.

La spirale infernale s’est poursuivi l’année suivante. À l’été 1974, le taux d’inflation était de 8 % sur un an. À la fin de l’année, le S&P 500 avait perdu un autre 19 % et le taux d’approbation du président stagnait autour de 25 %. Le 9 août 1974, il démissionnait, dans un discours télévisé devenu historique.

La chute de Wall Street a continué pendant huit semaines après cette date fatidique. Puis la récession s’est terminée et les marchés ont commencé à prendre du mieux.

Conor Sen croit que les choses évolueraient d’une manière similaire si Donald Trump devait quitter son poste. Son taux d’approbation reste dans la fourchette inférieure du 40 % et tant que l’économie et les marchés restent forts, cela ne risque pas de changer, malgré les révélations de l’enquête Mueller ou d’autres scandales impliquant son administration. Mais si l’économie et les marchés deviennent poussifs, la chance du président pourrait bien tourner.