La faillite plutôt que la dépression

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 17 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Arrive parfois un moment dans la vie d’un client où la faillite s’impose. Qu’est-ce que ça représente pour lui, y a-t-il des profils types? Le point avec Éric Lebel, conseiller en redressement financier et associé chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Conseiller : Qu’est-ce que la faillite?

Éric Lebel : Il s’agit d’une loi canadienne qui permet à une personne de déclarer faillite parce qu’elle n’est plus en mesure de payer ses dettes au fur et à mesure. Elle n’est plus solvable et sa vie commence à devenir un peu l’enfer. Le gouvernement permet aux gens d’avouer cette incapacité et de tout recommencer à zéro, en échange de quoi il y a des conséquences. Il y a certains biens que vous pouvez remettre au syndic pour que ce dernier puisse les vendre et ainsi dédommager les créanciers.

Quels sont ces biens?

On pense tout de suite à la voiture. Si vous avez une dette de carte de crédit de 25 000 dollars et que votre auto vaut 3 000 dollars, le syndic va la revendre pour éponger une partie de votre dû. Vous pouvez aussi vendre vous-même votre auto à votre conjoint, de la famille, un ami afin de la garder, et vous versez les 3 000 dollars au syndic. Lors de la faillite, tous vos biens sont évalués. Votre maison pourra être vendue elle aussi. Mais pas vos meubles, sauf évidemment si vous disposez de tableaux de maître, d’un piano ou de ce type d’objets.

Il peut y avoir des abus… on peut être tenté de tout vendre au dollar symbolique avant de se déclarer en faillite…

C’est prévu par la loi. Si vous avez revendu votre voiture un dollar à votre conjoint dans les semaines précédant la déclaration de faillite, le syndic va aller la reprendre. Idem pour les produits d’épargne-retraite. Normalement, ils sont protégés et le syndic n’a pas le droit d’y toucher. Sauf tout ce qui y a été placé durant la dernière année. Pour éviter que la personne y place tous ses actifs avant de se mettre en faillite.

eric_lebelComment justement se déclare-t-on en faillite?

Lorsqu’un client vient nous voir pour nous dire qu’il n’est plus capable de payer, on fait d’abord la liste des dettes. Ensuite, on établit le budget familial en fonction des entrées et des dépenses nécessaires. Si alors, on trouve que la famille va mettre quatorze ans à payer, c’est sûr qu’on va réfléchir à aller en faillite. Mais avant cela, on va faire une proposition de consommateur. Si je dois 25 000 dollars, je vais proposer de payer 300 dollars par mois sur cinq ans par exemple. Au total, ça fera 18 000. C’est moins que 25 000 mais plus que ce que le créancier va pouvoir récupérer si je me mets en faillite. Libre à lui d’accepter ou de refuser.

Une fois la faillite déclarée et les biens vendus, le consommateur repart vraiment à zéro, sans aucune autre conséquence?

Pas totalement. Il va figurer sur le fichier Equifax pendant sept ans pour une première faillite et quatorze ans pour une deuxième. Ce qui signifie qu’à chaque fois qu’il voudra emprunter de l’argent, le banquier saura qu’il a récemment fait faillite. Le deal, c’est de repartir sur de bonnes bases. Si un client a une vie stable, une petite carte de crédit qu’il rembourse en temps et en heure, un petit prêt automobile, qu’il ne fait pas d’achats démesurés, au bout de trois ans, en général, il va retrouver la confiance de son banquier.

Qui fait en général faillite?

Il y a plusieurs profils. La classe moyenne, entre 35 et 55 ans est particulièrement à risque. Elle a de jeunes enfants, elle utilise la carte de crédit pour payer les vêtements, les vacances, les cadeaux de Noël, la rentrée scolaire, etc. C’est à ce moment que les charges sont les plus grandes mais les conjoints n’ont pas encore atteint leurs revenus maximums. Ils vont commencer par prendre une nouvelle carte de crédit pour rembourser la première, et c’est la spirale infernale.

Vous évoquiez plusieurs profils…

Il y a aussi les gens qui perdent leur emploi ou des contrats lorsqu’ils sont travailleurs autonomes. Ceux qui sont frappés par la maladie, le cancer souvent, et leur assurance salaire n’est pas à la hauteur des charges, surtout lorsqu’ils ont des enfants. Et puis, il y aussi les séparations. Une personne seule au Québec, elle vit avec 2 000 dollars par mois. Un couple avec 2 600 dollars, soit 1 300 chacun. Les conjoints vont faire des prêts en conséquence. Mais lorsqu’ils se séparent, ils doivent de nouveau débourser 2 000 dollars par mois. Beaucoup n’en sont pas capables.

Diriez-vous que cette loi est donc nécessaire?

Sans hésiter! La vie peut être faite de malchance. La maladie, la perte d’emploi, la séparation… si vous ne donnez pas la chance à ces personnes de repartir à zéro, c’est la dépression assurée! Vous savez, les gens qui ont de gros troubles financiers, quand ils arrivent dans mon bureau, ils ne dorment plus la nuit. Et puis, l’accès aux cartes de crédit est très facile. Nous avons affaire à des humains. C’est normal qu’ils soient tentés.

Est-ce à dire que c’est la faute des banques?

Je ne dirais pas ça. Le système fonctionne pour une grande partie de la population. Il y a des consommateurs qui sont disciplinés et il serait injuste qu’ils ne puissent pas concrétiser leurs projets faute de crédit. En revanche, il faudrait mieux éduquer les gens à la finance personnelle. Je suis un fervent supporter de la réintroduction du cours d’éducation financière au secondaire.

Hélène Roulot-Ganzmann