« La féminisation de la finance est une nécessité »

Par La rédaction | 21 octobre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Femme d'affaires confiante.
Photo : gstockstudio / 123RF

Alors qu’elle prendra la tête de la Banque centrale européenne le 1er novembre, l’ex-présidente du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde juge que « la féminisation de la finance n’est pas une option, mais une nécessité ».

Dans une entrevue accordée à La Tribune, l’ancienne ministre du Commerce extérieur puis des Finances du président français Nicolas Sarkozy déplore notamment le fait que « la finance reste un monde d’hommes », et ce, malgré la récente nomination de Kristalina Georgieva au poste de directrice générale du FMI. En préambule de cette interview, la dirigeante aujourd’hui âgée de 63 ans est notamment décrite comme une « briseuse de plafonds de verre par excellence » ainsi qu’une « militante de l’égalité femmes-hommes au franc-parler qui détonne dans ce milieu compassé » qu’est la finance.

Revenant sur l’attribution la semaine dernière du « prix Nobel » d’économie (en réalité « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel »), Christine Lagarde dit espérer que cette nomination « permettra d’ouvrir les yeux et les esprits », car « il y a trop peu de femmes à des postes de responsabilité dans le monde économique et financier ».

« AVEC “LEHMAN SISTERS”, ON SE SERAIT MIEUX PORTÉS! »

En effet, souligne la dirigeante, une étude du FMI montre que seules 2 % de la totalité des banques dans le monde ont aujourd’hui une haute direction féminine, ce qui constitue « une aberration, puisqu’elles ont du talent et que ce sont elles qui, le plus souvent, gèrent les finances de la famille, la cellule économique de base, car elles sont connues pour leur gestion prudente, rigoureuse, et leur vision à long terme ». Dans les institutions financières, poursuit-elle, « la féminisation des instances dirigeantes s’accompagne d’ailleurs très souvent d’une diminution des risques financiers ».

Favorable au système des quotas dans les entreprises publiques ou privées, la nouvelle patronne de la BCE note que l’institution dont elle s’apprête à prendre les rênes s’était fixé, en 2013, l’objectif d’atteindre 35 % de femmes aux postes de direction d’ici la fin de cette année. « Si elle y parvient, ce sera très bien, indique-t-elle, tout en soulignant que « le monde des banques centrales reste un monde d’hommes ». La solution? « Il faut le féminiser, y compris au plus haut niveau (…), celui du directoire et du conseil des gouverneurs. »

Interrogée par La Tribune sur les changements qu’apporterait, selon elle, un leadership plus féminin du monde de la finance, notamment pour prévenir une crise du type de celle de 2008, Christine Lagarde estime que des femmes dirigeantes auraient peut-être pu l’empêcher ou tout au moins en réduire l’intensité. « Il existe des études académiques très sérieuses, basée notamment sur la psychologie cognitive, publiées dans des revues comme le Quarterly Journal of Economics de Harvard. Les femmes, c’est prouvé, prennent moins de risques financiers. Elles apportent de la stabilité. (…) Elles apportent aussi une diversité de points de vue, ce qui réduit le risque de pensée unique. Donc je suis convaincue qu’avec plus de femmes à des postes de responsabilité dans la finance, on aurait évité des prises de risques excessives, qui ont abouti à la crise financière la plus terrible de l’après-guerre, dont on peine à panser les plaies, 11 ans après la faillite de Lehman Brothers. Donc, oui, avec “Lehman Sisters”, on se serait sans doute mieux portés! »

« LES BANQUES DOIVENT DONNER L’EXEMPLE »

Désireuse d’envoyer un message aux états-majors des grandes institutions financières pour faire progresser la mixité au plus haut niveau, la dirigeante martèle que « la féminisation de la finance n’est pas une option, mais une nécessité ». « Il en va de la stabilité du secteur financier et de nos économies en général. À l’échelle de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], les femmes n’occupent que 20 % des sièges des conseils d’administration des plus grandes entreprises cotées en Bourse. C’est encore très insuffisant. Les institutions financières doivent donner l’exemple et promouvoir la féminisation de l’économie en général, car c’est bon pour la croissance mondiale. »

Christine Lagarde rappelle également qu’en 2012, l’OCDE estimait déjà que si la participation des femmes au marché du travail était semblable à celle des hommes, le gain de croissance pour le produit intérieur brut des grands pays industrialisés serait de 12 % d’ici 2030. « L’Europe est bien placée pour la participation des femmes au travail, de même que les pays nordiques et les pays baltes, l’Allemagne et la France. Mais nous sommes loin de l’objectif fixé par la Commission européenne d’un taux d’emploi des femmes de 75 % en 2020. L’effort à faire ne concerne pas uniquement le monde de la finance », conclut la dirigeante.

La rédaction