La fidélisation : tout un défi!

Par Claude Couillard | 29 mars 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Un client satisfait n’a aucune raison de se passer de vos services. Mais êtes-vous réellement à l’écoute?

Esther se disait depuis longtemps insatisfaite de sa conseillère en placement, à son service depuis huit ans. «Je l’ai peut-être vue deux fois dans ma vie», déplore cette Montréalaise à l’aube de la quarantaine. À contrecœur, après des années d’hésitation, elle lui a signifié récemment qu’elle confierait désormais ses avoirs à un proche. «Je calculais le rendement annuel. Il n’y a pas beaucoup d’années où la moyenne a été bonne, constatet-elle vec le recul. Et mon compte ne bougeait plus depuis longtemps.» De son côté, Patrick (prénom d’emprunt) a changé trois fois de conseiller en 10 ans. Toujours la même insatisfaction. «J’ai souvent eu l’impression que mes conseillers se contentaient d’encaisser les commissions», juge-t-il. Ce professionnel de 37 ans se souvient avec nostalgie des attentions de son premier courtier, qui prenait le temps de l’appeler pour lui dire bonjour, pour lui faire part de l’évolution de son portefeuille, pour discuter stratégie à moyen et à long terme. Il a longtemps cru qu’il s’agissait du rapport conseiller-client type, mais constate a posteriori qu’il a probablement été gâté. «Je ne sais trop ce qui s’est passé, mais, depuis, je n’ai pas retrouvé ce type de relation.» Et ce, même s’il prend le temps de préciser ses attentes au moment d’en chercher un nouveau. «Je leur dis, entre autres, que j’aime bien avoir de leurs nouvelles à l’occasion. Pas seulement quand vient le temps de vendre ou d’acheter des titres. C’est alors plus difficile d’avoir une vision à long terme et de développer une solide relation de confiance.» «C’est un reproche qu’on entend assez souvent», remarque Michel Mailloux, président de l’Institut québécois de la planification financière (IQPF).

Pas toujours facile de déceler les facteurs qui peuvent inciter vos clients à aller voir ailleurs. Notamment parce que nombre d’investisseurs saisissent encore mal le rôle de leur conseiller, conclut une étude du Conseil relatif aux standards des planificateurs financiers (CRSPF). L’organisme canadien a sondé 685 de ses membres et a relevé l’existence de nombreux malentendus, autant de sources potentielles de frustration. Au palmarès des 10 méprises (misconceptions) les plus courantes? Les clients préfèrent en général une solution rapide à une stratégie à plus long terme, omettent de se fixer des objectifs mesurables, confondent planification financière et planification de la retraite et, le classique, anticipent des rendements irréalistes. «Les consommateurs ont des attentes très, très élevées. Ils espèrent des rendements de 20 %, 25 %», a observé au fil des ans Michel Mailloux.

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE… PAREIL À SON CLIENT

«Un bon conseiller ressemble à son client», lance sans hésiter le bras droit d’une courtière de Montréal. «Ça peut être un plus, mais je pense que c’est un peu limitatif», estime Michel Mailloux. «Le client est toujours unique.» Sous-entendu : un bon conseiller saura s’adapter à son client. Deux philosophies de travail opposées… Où se situe la vérité? Quels sont les ingrédients garants d’une relation conseiller-client durable? Le premier conseil clé, prodigué par le CRSPF, est l’information. Une évidence, penserez-vous… Vous vous dites que, lors des premières rencontres avec un client, vous prenez le soin de l’informer de votre expérience, de vos produits, de votre philosophie de placement, de votre mode de fonctionnement. De surcroît, vous avez bien pris le temps de définir le profil de votre investisseur, ses objectifs financiers, sa tolérance au risque, etc. Mais avez-vous pris le temps de l’observer plus à fond, de noter ces petits détails informels, pourtant de première importance? Car les facteurs humains et psychologiques s’avèrent capitaux, tout autant que l’information technique et financière. «Je suis gênée dans mes relations avec les conseillers, confie Esther. Je ne suis pas habituée à parler d’argent. Je ne m’y connais pas.» Ce mélange de timidité et de carence d’information accroît le sentiment d’insécurité et d’incompétence de l’investisseur et peut se révéler nuisible à long terme. À moins de le détecter et de le résoudre. Client méticuleux, Patrick craint souvent d’«embêter» sa conseillère avec des questions pointues, qu’il juge néanmoins importantes : «Je sais qu’elle est très occupée.» N’empêche que cette retenue nourrit peu à peu son insatisfaction. «Le client qu’on a devant soi ne dit pas les problèmes directement. Il peut lancer des messages, témoigne Michel Mailloux. Il faut interpréter ce qu’il peut dire et vérifier l’interprétation au fur et à mesure.»

Conseillère en placement depuis 15 ans, Nathalie «essaie de rendre tout ça clair avec le client en commen- çant.» (Voir encadré) Elle remarque que «ce sont souvent les petits détails» qui maintiennent le climat de confiance. «J’ai une vieille dame avec qui je dois prendre mon temps. Elle aime ça que je la dorlote. J’ai un client qui est dans la politique. Il faut toujours que je fasse attention à ce dont je parle.»

«EN DIRE PLUS QUE MOINS»

Conseillère depuis 15 ans, Nathalie préfère «en dire plus que moins» à ses clients. Le plus important, ce sont les premières rencontres, observe celle qui gère plus de 100 millions de dollars d’actif. «Je leur demande : « À quoi vous vous attendez? Qu’est-ce que vous voulez? Voici ce que je peux vous donner. Je ne peux pas vous écrire un courriel tous les jours. Et oui, le courriel est plus rapide.Vous voulez qu’on se rencontre tous les trois mois, tous les ans? » Je dis que je retourne les appels dans la journée… J’essaie de bien le comprendre et de mettre tout ça au clair au départ». Cette démarche préventive évite les zones grises, lui épargne bien des appels et lui permet de se concentrer sur son vrai travail : les investissements. «J’essaie toujours de prévenir le risque quand je parle à mon client. J’essaie de lui parler des conséquences d’une décision, etc.» Michel Mailloux conseille à ses collègues de tailler leurs services sur mesure.Et surtout, de respecter leurs engagements, sinon «le client se sentira négligé», observe-t-il. Nathalie juge primordial de «réitérer ces objectifs au fil des années, de s’assurer que ses clients sont encore satisfaits des services qu’on leur donne».

«Ça compte beaucoup la psychologie, poursuit Nathalie. Surtout depuis le marché euphorique de 1998 à 2000. Ça a été difficile de ramener les gens [à la réalité]. Tout était facile pendant un certain temps.» Beaucoup de clients lui donnent raison depuis un an. « »Tu m’avais prévenu », m’avouent-ils. Dans ce temps-là, je ne réponds même pas. Vaut mieux ne pas tourner le fer dans la plaie.» Comme bien d’autres investisseurs, Esther a perdu gros en 2001 : environ le quart de son portefeuille. «Et pendant cette chute-là, ma conseillère ne m’en parlait pas. Elle aurait pu m’expliquer ce qui se passait.» Le silence a alimenté son insatisfaction. «J’avais l’impression que ce n’était pas important pour elle.»

« Des clés pour développer une relation de confiance avec son client? L’écoute. Et dire les choses simplement, conseille Michel Mailloux, président de l’IQPF.  »

DES CONSEILLERS SOUMIS À DES QUOTAS?

C’est le sentiment qu’a parfois ressenti Esther avec sa conseillère. «Je me rendais bien compte qu’elle vendait pour vendre, des fois. Je pense qu’ils ont des quotas de vente pour avoir une commission.» «Il y a sûrement une certaine pression financière qui existe, croit Michel Mailloux, président de l’IQPF. Il y a certes une question de rentabilité économique pour le conseiller.» Et puis Esther craignait qu’un client de moins de 100 000 $ n’obtienne pas «autant d’attention que les autres.» Fondées ou non, ces impressions, si irrésolues, jouent en défaveur du conseiller.

ÉCOUTE ET PÉDAGOGIE

D’autres clés pour développer une relation de confiance avec son client? «L’écoute, insiste Michel Mailloux. Et dire les choses simplement.» Éviter le jargon, favoriser les images et vérifier souvent la compréhension du client. «La technique des rendements, je l’illustre toujours par un plongeon. Plus tu te rends vers l’extrémité du plongeon, plus ça bouge vers le haut ou vers le bas. C’est toute la notion de risque et d’écart type qu’on vient de passer au client, sans mentionner ces mots-là. L’analyse du portefeuille demeure toujours la même, poursuit-il. Par contre, la communication de cette analyse doit coller à la réalité du client.» Selon qu’on s’adresse par exemple à un homme d’affaires ou à une veuve de 70 ans, le discours change. Toutes ces précautions exigent bien sûr du temps. «Il y a des professionnels qui ne parlent pas assez à leurs clients», déclare le président de l’IQPF. Bien déléguer les tâches administratives à son adjointe ou adjoint permet par exemple de se concentrer davantage sur la dimension conseil. De plus, «le conseiller doit apprendre à ne pas juger le client». Il cite l’exemple d’un investisseur plus porté sur la bonne chère que sur l’épargne. «Tu ne lui dis pas : « Tu devrais moins aller au restaurant. » Ça, ce n’est pas l’affaire du planificateur. À la place, tu peux dire : « En passant, on a un problème d’épargne. On doit trouver des solutions. Veux-tu qu’on regarde ça? Je remarque que tu dépenses plus que la moyenne au restaurant. » Ça le met face à sa réalité.» Le conseil, dépersonnalisé et objectivé, atteindra davantage sa cible et risquera moins de faire fuir le client…


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Claude Couillard