« Tornade technologique » en gestion de patrimoine

Par La rédaction | 8 mai 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les organismes de réglementation doivent tenir compte de l’informatisation pour faciliter l’intégration des nouveaux participants de technologie financière sur le marché et afin que des règles semblables s’appliquent à toutes les entreprises offrant les mêmes services financiers, estime Ian Russell.

Dans sa Lettre du président du mois de mai, le président et chef de la direction de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) se penche sur l’effet transformateur de la technologie sur la gestion de patrimoine au Canada et l’approche réglementaire qui répondrait le mieux à cette nouvelle donne.

La fourniture de conseils financiers a été chamboulée par « les changements structurels et technologiques qui se sont accélérés au cours des cinq dernières années », et il faut s’attendre à encore beaucoup plus de bouleversements dans le futur, affirme d’emblée le dirigeant, qui précise que ces changements ont touché les pratiques et le fonctionnement de l’ensemble des sociétés de courtage.

VERS L’ÉTABLISSEMENT DE NORMES DE SERVICE PLUS ÉLEVÉES

Selon Ian Russell, cette évolution résulte de quatre grands facteurs : les demandes de la clientèle « pour obtenir à bas prix une vaste gamme de produits et services fournis de façon conviviale et transparente »; les « besoins impérieux des sociétés de rentabiliser leurs activités et d’augmenter la productivité des conseillers »; les exigences de plus en plus complexes en matière de conformité; et enfin la mise en œuvre de moyens de « cyberdéfense » efficaces pour protéger les renseignements personnels et le portefeuille d’actifs des clients.

Le patron de l’ACCVM observe que cette réponse aux demandes conjuguées de la clientèle et des organismes de réglementation a « déclenché un cercle vertueux en même temps qu’un cercle vicieux ». D’un côté, l’offre de valeur des services financiers et l’accès pour les clients ont en effet été bonifiés et rendus plus accessibles avec l’arrivée d’« une plus large gamme de produits financiers, intégrés à des conseils financiers et fournis avec davantage de moyens technologiques ». Une amélioration qui a permis l’établissement de normes de service plus élevées, indique le dirigeant, notamment parce que l’investissement dans le numérique a « incité les entreprises à augmenter les applications informatiques pour réaliser des gains d’efficience dans l’exploitation et [mieux] répartir les coûts ».

Mais d’un autre côté, nuance-t-il, « plusieurs petites sociétés spécialisées avec des ressources limitées, forcées de définir une stratégie à long terme et de déployer la technologie nécessaire, ont été incapables de résister à la tornade de demandes des clients et d’exigences prévues par les réformes réglementaires et de faire face aux coûts informatiques associés ». Au cours des cinq dernières années, quelque 17 sociétés de détail indépendantes ont ainsi dû fusionner, ont été achetées ou ont mis la clé sous la porte. Ces « réajustements opérationnels et structurels majeurs » ont fait en sorte qu’il reste aujourd’hui « environ 90 sociétés de détail indépendantes » en activité dans un marché très compétitif, relève le dirigeant, pour qui « les grands gagnants » ont été leurs clients.

LES CONSEILLERS SONT SOUVENT DÉPASSÉS PAR LA TECHNOLOGIE

Le président et chef de la direction de l’ACCVM souligne que les études et l’expérience récente des plateformes de gestion de patrimoine en ligne montrent que les conseils financiers sont « indispensables au succès » des sociétés qui offrent ce type de services. Au début, rappelle-t-il, l’informatique a été utilisée « pour s’occuper davantage des tâches administratives connexes à la fourniture de conseils, tant pour la salle des marchés que pour le service de post marché, afin de permettre aux conseillers de passer plus de temps avec leurs clients ».

Aujourd’hui, les sociétés de courtage s’en servent aussi « pour tirer partie des données des clients afin d’augmenter la qualité des conseils », notamment pour les échéances de titres, le rééquilibrage de portefeuille et à certains âges critiques de leur vie en matière de planification financière. Malgré tout, note Ian Russell, plusieurs conseillers « sont dépassés par les différents systèmes et technologies », et par le fait qu’on n’a pas encore établi quelles sont les communications qui devraient être de leur ressort.

En outre, le dirigeant juge « vraisemblable » que les conseillers d’un certain âge, majoritaires au pays, se montrent « plus réticents » que leurs collègues de la nouvelle génération à se fier au numérique dans leur vie professionnelle. De même, ajoute-t-il, nombre de sociétés hésitent encore à autoriser les communications électroniques, car cela les oblige à exercer une surveillance efficace de la conformité des conversations avec les clients.

LES ROBOTS SONT UTILES POUR FAIRE DES PLACEMENTS EN LIGNE

Si l’on en croit le patron de l’ACCVM, les conseillers n’ont cependant pas de raisons de s’inquiéter de l’arrivée des nouvelles technologies, notamment dans le cas des sociétés de courtage en valeurs mobilières, qui ont désormais intégré les robots-conseillers dans toutes leurs activités de gestion de patrimoine. « Le robot-conseiller auquel on ajoute des conseils financiers fournis par un individu à certains moments particuliers, par exemple à l’ouverture du compte, lors d’un rééquilibrage de portefeuille, en présence de turbulences sur les marchés ou lorsque surviennent les âges charnières dans la vie des clients, permet aux conseillers et aux sociétés de faire affaire de façon rentable avec les petits investisseurs et de gérer leur portefeuille. »

Ian Russell affirme par ailleurs que « la réglementation devra s’adapter aux changements de pratiques et de structure dans le fonctionnement des sociétés » et que ce « réajustement » devra entre autres « déceler les lacunes dans la protection des investisseurs et forcer les sociétés à prendre des mesures pour protéger les renseignements personnels des clients et à mettre en place une cyberdéfense adéquate ». Certains organismes, notamment l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, ont d’ailleurs déjà pris cette direction et fait des efforts pour améliorer leurs « cyberstandards », souligne le dirigeant.

Le problème, ajoute-t-il, c’est que la réglementation est souvent fonction des diverses catégories de personnes inscrites qui offrent différents produits et services financiers, alors que l’innovation financière favorise au contraire un regroupement des activités sur une même plateforme numérique. « La technologie permet de regrouper une vaste gamme de produits et services sur la plateforme des sociétés de courtage et elle englobe de plus en plus des entités inscrites, comme les robots conseillers et les gestionnaires de portefeuille en ligne », explique Ian Russell. Résultat, « l’approche compartimentée actuelle de la réglementation (…) empêche l’application d’une technologie qui partage l’information entre tous les fournisseurs de services concernés, ce qui créerait une expérience client et un service financier efficients et complets ».

« LES ORGANISMES DE RÉGLEMENTATION DOIVENT SE METTRE À JOUR »

Le patron de l’ACCVM estime donc nécessaire de procéder « à un changement structurel de la réglementation », même s’il juge possible, dans un premier temps, de « procéder par étapes pour réaliser des gains d’efficience et améliorer l’expérience client sans compromettre la protection des investisseurs ». Ainsi, les organismes de réglementation pourraient commencer par « faciliter les changements des pratiques commerciales » en appliquant « les mêmes exigences d’inscription simplifiées des clients qui réalisent des placements avec des robots-conseillers en ligne aux clients des sociétés de courtage en valeurs mobilières qui veulent réaliser des placements avec les robots conseillers de la société ».

Conclusion de Ian Russell : « La technologie transforme les activités commerciales et la structure des services de gestion de patrimoine à un rythme de plus en plus rapide pour satisfaire les demandes des clients et faire face à la concurrence. (…) Les organismes de réglementation doivent se mettre à jour et mieux comprendre les innovations technologiques du secteur et leurs conséquences sur les activités et le fonctionnement des sociétés de courtage (…) Ils doivent s’y engager à fond pour modifier la réglementation afin de l’adapter à ce nouvel âge technologique et de protéger adéquatement les investisseurs. »

La rédaction