La littératie financière est-elle importante?

Par Peter Drake | 11 mai 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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« J’examine ensuite certaines des données les plus solides sur l’efficacité de l’éducation financière; ces données mènent à la conclusion provisoire que l’éducation financière a, au mieux, de modestes effets positifs sur l’épargne et la planification financière [traduction][1]. »

« La littératie financière est essentielle à la prospérité et au bien-être des Canadiens. Bien plus qu’une habileté commode, elle est une aptitude nécessaire dans le monde d’aujourd’hui […][2]. »

La première citation provient d’une étude réalisée par le professeur Saul Schwartz, de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) de l’Université Carleton. La deuxième est tirée d’un rapport publié par le Groupe de travail sur la littératie financière, mis sur pied par le gouvernement fédéral. Deux opinions sur l’utilité de l’éducation et de la littératie financières. Toutes deux tirées de sources canadiennes. Toutes deux publiées en décembre 2010. Deux points de vue diamétralement opposés.

Qu’en est-il? La littératie financière est-elle importante? A-t-elle un quelconque effet sur la façon dont les Canadiens prennent des décisions financières? Aide-t-elle les investisseurs à composer avec la volatilité émotionnelle qui les incite parfois à abandonner des plans d’investissement mûrement réfléchis en période d’instabilité du marché? Les conseillers financiers perdent-ils leur temps quand ils cherchent à instruire leurs clients, et ces derniers perdent-ils leur temps quand ils tentent d’acquérir une certaine littératie financière?

Avant d’approfondir ces questions, il convient d’examiner quelques définitions et de mieux connaître le contexte.

Peter Drake

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La « littératie financière » n’a pas le même sens pour tout le monde, en ce qu’elle va des notions les plus élémentaires – ce qu’est un compte bancaire ou un taux d’intérêt – à une connaissance très poussée des marchés financiers et des instruments de placement. Il est juste de présumer que presque tous les investisseurs canadiens, mais pas tous, possèdent les notions élémentaires. Rien d’étonnant à ce que le degré de littératie et de connaissances financières diminue au fur et à mesure que la complexité augmente. Cela conduit à une autre question, qui sous-tend la citation tirée de l’étude de l’IRPP : en ont-ils vraiment besoin? La réponse à cette question pose un deuxième enjeu – on pourrait même affirmer qu’il s’agit du plus important –, soit la capacité financière ou la capacité d’utiliser des connaissances financières pour prendre de bonnes décisions d’ordre financier. Toutes les connaissances financières du monde ne servent à rien si elles ne permettent pas de prendre de bonnes décisions financières.

Le professeur Schwartz semble considérer la littératie financière au mieux comme un « atout intéressant ». Son document cite un certain nombre d’études qui concluent que l’éducation financière ne mène pas (nécessairement) à la capacité financière, c’est-à-dire à des résultats financiers nettement meilleurs pour le groupe en question.

L’étude de l’IRPP conclut que, puisque la littératie financière ne donne apparemment pas grand-chose ou, dans certains cas, ne donne rien du tout en ce qui a trait à la prise de décisions financières, le gouvernement devrait instaurer un cadre législatif ou réglementaire dans lequel le consommateur n’a pas besoin d’être instruit en matière financière pour obtenir de bons résultats financiers.

Le rapport du Groupe de travail sur la littératie financière définit la littératie financière comme « le fait de disposer des connaissances, des compétences et de la confiance en soi nécessaires pour prendre des décisions financières responsables[3] ». Dans la mesure où il ne se penche pas sur les mêmes études que le professeur Schwartz, il ne porte pas exactement sur les mêmes points que le document rédigé pour l’IRPP. Le rapport du Groupe de travail part de la prémisse implicite que plus la littératie financière sera répandue, plus les « décisions financières responsables » le seront. En ce qui concerne un aspect très important, le Groupe de travail répond à l’une des objections du professeur Schwartz relativement à l’efficacité de la littératie financière. Le professeur Schwartz souligne que les études concluent que les gens ne retiennent pas très longtemps l’éducation financière qu’ils reçoivent. Si vous étudiez la finance à l’école secondaire, il y a de fortes chances pour que vous ayez oublié tout ce que vous avez appris au moment de prendre des décisions financières sérieuses, dix ans plus tard. Le rapport du Groupe de travail répond implicitement à cette objection en inscrivant l’« apprentissage continu » au nombre des principes essentiels de l’éducation financière.

Quelle que soit votre opinion du document du professeur Schwartz, il importe de noter que bon nombre – voire la plupart – des responsables de l’élaboration des politiques relatives aux régimes de retraite au Canada constatent également un décalage entre littératie financière et décisions financières avisées, et ils ne s’attendent pas à voir ce décalage disparaître un jour. Cette mentalité façonne les politiques relatives aux régimes de retraite au Canada dans des domaines importants comme la proposition de mise en commun des régimes de retraite.

Alors, qu’est-ce que cela signifie pour nous? Plus précisément, qu’est-ce que cela signifie pour les conseillers financiers et leurs clients? À mon avis, ni l’un ni l’autre de ces rapports ne tape droit dans le mille. Le professeur Schwartz adopte un point de vue trop pessimiste du rôle de la littératie financière et de son utilité pour les investisseurs. Et, malgré quelques excellentes recommandations, notamment une sur la responsabilité à l’égard des résultats de l’éducation financière, le Groupe de travail ne s’attarde pas suffisamment aux résultats finaux, soit les bonnes décisions financières.

Nous savons que les Canadiens ne prennent pas toujours de bonnes décisions financières. S’il en était autrement, pourquoi l’enquête annuelle de Fidelity sur la retraite révélerait-elle année après année que seul le quart des Canadiens retraités et pas encore retraités disposent d’un plan de revenu de retraite écrit? Pourquoi autant d’investisseurs canadiens abandonneraient-ils leurs plans de placement à long terme dès que le marché devient volatil? Pourquoi autant de Canadiens placeraient-ils une si grande partie de leur actif dans l’immobilier résidentiel ou s’endetteraient-ils tellement à cette fin, tout particulièrement à la fin d’une longue flambée des prix?

Le décalage apparent entre les connaissances financières et les décisions financières que l’on souhaiterait bonnes n’a rien de nouveau pour les conseillers financiers. Ils comprennent que leur rôle consiste à enseigner à la fois les rudiments de la finance et des notions plus poussées afin de favoriser la création d’un plan reposant sur des objectifs. Ils savent que l’une de leurs tâches les plus cruciales est de persuader un client de suivre son plan une fois qu’il l’a dressé. Ils savent qu’un trop grand nombre de choix peut semer la confusion chez le client et nuire au processus de prise de décisions. Ils savent qu’en période de volatilité du marché, ils doivent communiquer avec leurs clients afin de les aider à rester dans la bonne voie. (L’enquête annuelle de Fidelity sur la retraite confirme que les clients leur en sont reconnaissants!) Ils connaissent les ressources et les produits de placement qui faciliteront la prise de décisions au sujet de la répartition de l’actif, la sélection de secteurs, ainsi que les décisions de placement fondées sur des facteurs géographiques.

Examinons un autre aspect du décalage. Il concerne le vieil adage selon lequel « un peu de savoir est dangereux ». Le problème réside dans le fait que tous les investisseurs possèdent un peu de savoir. Il ne peut en être autrement, à une époque où l’information financière est accessible partout. Sa présence partout signifie qu’elle fait partie d’une infrastructure qui doit être utilisée, mais qui ne l’est pas toujours à bon escient. Encore une fois, le conseiller financier doit intervenir.

Laissez-moi vous montrer pourquoi je prône depuis longtemps la littératie financière. J’ai lu récemment un article dans le cahier financier d’un grand quotidien canadien qui expliquait en ces termes pourquoi le prix du brut avait une fois de plus augmenté :

  • une chute du taux de change du dollar américain;
  • l’incertitude politique continue en Libye et la restriction des réserves de brut qui en découle;
  • la majoration par la Banque centrale européenne de son taux directeur;
  • le séisme survenu au Japon le 7 avril.

Le problème avec cette explication – et nul besoin d’un doctorat en économie pour le comprendre –, c’est que seules les deux premières raisons avaient le moindre lien avec la hausse du prix du brut. En fait, si cela se trouve, les deux dernières contribueraient à faire baisser le prix du brut en limitant la demande.

Alors, qu’arrive-t-il en fin de compte? L’investisseur lit un article dans le journal et éprouve le besoin d’agir en conséquence. C’est ici que la littératie financière prend toute son importance. À tout le moins, elle permettra au conseiller financier d’avoir une conversation éclairée avec l’investisseur et de discuter avec lui des raisons de prendre ou de ne pas prendre certaines mesures. Les deux interlocuteurs discuteront de manière relativement égale sur le plan de la connaissance du sujet, ce qui est beaucoup plus susceptible de mener à une bonne décision en matière de placements.

Pour en revenir aux questions que je posais au début de cette chronique, je dirai que la littératie financière est importante et qu’elle peut avoir des répercussions sur la façon dont les investisseurs prennent des décisions. S’instruire n’est jamais une perte de temps, bien qu’il faille parfois compter plusieurs années d’efforts pour en arriver au degré d’éducation voulu.

Même si nous acceptons la conclusion du professeur Schwartz selon laquelle « l’éducation financière a, au mieux, de modestes effets positifs sur les économies et la planification financière », cela ne devrait-il pas être perçu comme un premier pas dans la bonne direction, sur ce long chemin vers un niveau acceptable de littératie financière pour l’ensemble des Canadiens?


Peter Drake est vice-président, Retraite et recherches économiques, Fidelity Investments Canada. Fort de plus de 35 années d’expérience à titre d’économiste, il dirige les initiatives de recherche de Fidelity axées sur la retraite au Canada à notre époque.

Les opinions exprimées sur une société, un titre, une industrie ou un secteur du marché en particulier représentent un point de vue personnel à un moment donné et ne constituent pas nécessairement celles de Fidelity ou d’autres personnes au sein de l’organisation. Ces opinions sont appelées à changer à tout moment en fonction de l’évolution des marchés et des autres facteurs, et Fidelity décline toute responsabilité en ce qui a trait à la mise à jour de ces points de vue. Ces opinions ne peuvent pas être considérées comme des conseils en placement fiables.


[1] Schwartz, Saul. « Can Financial Education Improve Financial Literacy and Retirement Planning? », IRPP Study, Institut de recherche en politiques publiques, no 12, décembre 2010.

[2] Groupe de travail Task Force on Financial Literacy, Les Canadiens et leur argent, gouvernement du Canada, décembre 2010.

[3] Groupe de travail sur la littératie financière, p. 2.

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