La montée de l’IR est loin d’être finie

Par Sylvie Lemieux | 3 août 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Des mains jointes tenant un arbre miniature et des pièces de monnaie.
Photo : sarayut / iStock

L’investissement responsable (IR) a la cote actuellement. Avec la pandémie, la croissance enregistrée ces dernières années prend de l’ampleur alors que les investisseurs réalisent plus que jamais l’urgence d’agir.

« On assiste à un changement de paradigme qui favorise l’intégration des enjeux ESG [environnement, société, gouvernance] dans la prise de décision des investisseurs », soutient Marie-Josée Privyk, directrice de l’innovation ESG chez Novisto en entrevue avec Conseiller.

« Les acteurs du marché des capitaux, mais aussi plusieurs intervenants comme les gouvernements et les grandes entreprises prennent conscience que la dimension économique du développement est indissociable des dimensions environnementales et sociales, ajoute-t-elle. Les trois sont concomitantes. On ne peut pas penser en améliorer une en laissant les autres de côté. »

La performance opérationnelle des entreprises et donc sa capacité à générer des rendements sont désormais liées à la manière dont ces enjeux sont pris en compte et gérés.

« Les grands investisseurs réalisent qu’on fait face à des enjeux systémiques, explique Mme Privyk. Les changements climatiques, les atteintes à la biodiversité, les inégalités croissantes affectent tout le monde. La seule façon de réduire l’exposition des portefeuilles d’investissement à ces risques est d’agir sur les risques eux-mêmes. Et quand on fait ça, on les réduit pour tout le monde. »

Selon le plus récent rapport du Global Sustainable Investment Alliance (GSIA), les actifs sous gestion en investissement durable atteignaient 35,3 milliards de dollars au début de 2020, soit une croissance de 15 % en deux ans. Cela représente près 36 % de tous les actifs gérés dans les pays couverts par ce rapport (Europe, États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), contre 33,4 % en 2018.

Le Canada enregistre la croissance la plus forte, soit 48 %, suivi des États-Unis (42 %) et du Japon (34 %).

RISQUE, RENDEMENT, IMPACT 

Les investisseurs s’éduquent de plus en plus sur les enjeux ESG et s’interrogent davantage sur ce que font les entreprises en vue de générer des profits incluant les solutions pour répondre à ces enjeux.

« Les investisseurs passent d’une perspective bidimensionnelle, soit risque et rendement, à une perspective tridimensionnelle pour évaluer le risque, le rendement et l’impact que peut avoir l’entreprise sur les enjeux ESG. Les améliore-t-elle ou les empire-t-elle par ses activités, cela devient une question importante », affirme Mme Privyk.

Ils élargissent également leur compréhension des enjeux ESG. Le choix des investisseurs de se positionner face à l’investissement durable était fondé sur leurs valeurs personnelles quant aux secteurs où ils voulaient investir ou non.

« Ils le font encore, mais c’est davantage un jugement de valeur sociétal plutôt qu’individuel. Ils n’ont plus besoin de dissocier la notion économique ou de rendement de leur décision d’investir. Ce n’est plus l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. La capacité des entreprises à générer des rendements est intrinsèquement reliée à la santé de l’écosystème environnemental et social. Ils comprennent que les rendements seront difficiles à réaliser dans un monde chaotique », explique Mme Privyk.

L’offre de produits financiers axés sur l’investissement durable s’est multipliée ces dernières années. Comme pour tout autre type de véhicules financiers, les investisseurs doivent rester vigilants avant de faire leur choix pour s’assurer que les véhicules remplissent leurs promesses sur le plan environnemental.

« On voit de plus en plus d’obligations vertes qui sont émises par des gouvernements et même des entreprises dont l’objectif est d’acheminer des capitaux sur des projets spécifiques. Il y a des solutions à développer pour résoudre les enjeux environnementaux », souligne Marie-Josée Privyk.

FAIRE ÉVOLUER LA RÉGLEMENTATION

Selon elle, le Canada pourrait éventuellement imiter l’Europe en matière de réglementation. « Les conseillers européens ont l’obligation d’intégrer les enjeux ESG dans les services qu’ils rendent aux particuliers. Pour tracer le profil d’investisseur, ils doivent évaluer leur tolérance au risque, leur horizon de placement et leurs préférences en matière d’IR. Cela devient une pratique de base », explique-t-elle.

L’Europe a pris beaucoup d’avance sur les autres pays dans le domaine. Toutefois, selon le rapport du GSIA, la proportion d’actifs d’investissement durable sur le marché européen a atteint 42 % en 2020, en baisse de 13 % par rapport à 2018. Attention toutefois, « ce n’est pas parce que la pratique est en baisse, mais parce que les régulateurs ont mis la barre plus haute, soutient Mme Privyk. Leur méthode de mesure a été modifiée en fonction des nouvelles obligations mises en place. »

À titre comparatif, le Canada est maintenant le marché avec la plus forte proportion d’actifs d’investissement durable à 62 %, loin devant l’Europe (42 %), l’Australie et Nouvelle-Zélande (38 %), les États-Unis (33 %) et le Japon (24%).

Marie-Josée Privyk regarde aussi ce qui se fait du côté américain alors que la Security Exchange Commission (SEC) est en train de revoir les normes quant à la divulgation des entreprises en matière de critères ESG pour les rendre plus strictes. Le Canada se pencherait aussi sur la question. « Cela va apporter plus de transparence et d’imputabilité dans le but de forcer les entreprises et le marché à en faire plus », conclut-elle.

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Sylvie Lemieux

Sylvie Lemieux est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.