La phobie des rentes doit cesser

Par Jean-François Parent | 10 juin 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La rente viagère, pourtant considérée par les experts comme un outil indispensable du décaissement, serait largement sous-utilisée au Canada.

Avec l’avènement des régimes à cotisations déterminées, et le rôle croissant de l’épargne personnelle dans la génération d’un revenu de retraite, les particuliers doivent prendre des décisions financières lourdes de conséquences sur les sommes dont ils disposeront à leur sortie de la vie active.

L’ajout d’une rente dans le portefeuille de retraite permettrait de réduire certains des risques liés au décaissement, estime Bill Kyle, PDG du Irish Life Group, de passage à Montréal lundi pour un colloque sur la retraite tenu au Forum économique des Amériques.

« Il faut tenir compte des risques de longévité, d’investissement et d’inflation, dans un contexte où les nouveaux retraités n’ont pas les connaissances requises pour ce faire. À cela s’ajoutent les coûts de l’investissement et l’accès à des services financiers de qualité », a déclaré Bill Kyle. Selon lui, une rente permet de faire face à ces contraintes.

Un produit dont personne ne veut

Seulement voilà, les rentes sont trop souvent ignorées. Les experts présents au colloque se sont entendus pour dire qu’elles sont encore mal connues, trop complexes pour le commun des mortels et, surtout, qu’elles « gèlent » les fonds de retraite pour une longue période de temps.

L’industrie du conseil financier a également pointée du doigt par Hazel Bateman, directrice de la New South Wales Business School et spécialiste du risque actuariel. « Le tiers à peine des conseillers proposent des produits de décaissement, dont les rentes. Cela se comprend : le conseiller qui vend une rente ne vend plus d’autres produits… » Elle ajoute que les conseillers connaissent peu ou mal ces produits. En Australie, seul un tiers d’entre eux les offrent.

C’est un tort, puisque la souscription à une rente réduit le risque de longévité et de mauvaises décisions d’investissements, en plus de générer un revenu stable, a indiqué Moshe Milevsky, chercheur à la Schulich School of Business de l’Université York.

Ce serait donc un excellent produit de décaissement… mais dont personne ne veut. « Les économistes s’entendent sur une seule chose, c’est que la rente est la meilleure façon de réduire le risque de longévité, postule Moshe Milevsky. Pourtant, on la boude : le consensus des experts financiers est que le marché canadien de la rente devrait être 10 fois plus gros. »

La valeur des rentes souscrites au Canada, qui s’établit à 2 G$ selon l’universitaire torontois, fait pâle figure comparée aux quelque 1 200 G$ investis en fonds communs. La rente, semble-t-il, est la mal-aimée des investisseurs.

« Les rentes sont un élément nutritif essentiel du cocktail retraite, a insisté Moshe Milevsky. L’important, pour les retraités, est de maintenir leur niveau de vie. La rente est la base sur laquelle repose le maintien de ce niveau de vie. »

Tant au Royaume-Uni qu’en Australie, la souscription à une rente viagère tirée des cotisations aux régimes publics fait partie des solutions proposées par les pouvoirs publics aux contribuables. Pour l’essentiel, les retraités de ces deux juridictions ont le choix entre l’encaissement de totalité des prestations, ou la souscription à une rente viagère. Cette dernière option est offerte par défaut à tous les retraités.

En Australie, « on déplore des lacunes importantes dans les conseils prodigués aux gens qui doivent décaisser. Il n’y pas de planification », a expliqué Hazel Bateman.

66 % des Canadiens n’ont aucun plan financier

L’assureur Bill Kyle a cité un sondage Ipsos relatant que si les trois quarts des Canadiens se disent relativement optimistes quant à leur retraite, « 66 % n’ont aucun plan financier et la moitié ne sait pas que des régimes publics de prestations de retraite existent ».

Composer un portefeuille générant un revenu de retraite adéquat et durable dans ce contexte relève de la haute voltige.


Les rentes en perte de popularité au Royaume-Uni

L’achat de rentes individuelles a plongé de façon spectaculaire en 2014 au Royaume-Uni. Ce marché, qui atteignait 12,4 G£ en 2013, s’est établi à 7 G£ en 2014, soit une baisse de 43,3 %. Le gouvernement britannique avait permis la diversification des outils des outils de décaissement des régimes de retraite à cotisation déterminée dans son budget 2014, ce qui semble avoir poussé les épargnants à délaisser les rentes.


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