La transmission d’une résidence aux prochaines générations partie 2

30 avril 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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4. Le simple legs en pleine propriété Au décès, la façon la plus simple de transférer une propriété à une autre génération est d’effectuer un legs en pleine propriété, dans son testament, en faveur de ses enfants ou petits-enfants.

Ce legs entraînera une disposition présumée pour le défunt, ne bénéficiant alors pas d’un roulement. Un impôt sur le gain en capital réalisé sera donc payable pour l’année de son décès, sauf si ladite propriété bénéficie de la déduction pour résidence principale. Des liquidités suffisantes dans la succession ou une prestation d’assurance vie permettraient alors de régler la dette fiscale résultant de ce transfert. Également, l’alinéa 20 d) de la Loi sur les mutations immobilières fait généralement en sorte que le transfert en faveur de descendants sera exonéré de droits de mutation.

Les descendants seront propriétaires « en pleine propriété » de la résidence, ce qui veut dire qu’ils en sont pleinement propriétaires et qu’ils pourront la léguer à qui ils voudront à leur tour par testament, ou même décider de la vendre de leur vivant à qui bon leur semble. Une clause d’inaliénabilité pourrait cependant être introduite, si elle est temporaire et justifiée par un intérêt légitime, ce qui ferait en sorte que la résidence ne pourrait être vendue ou autrement aliénée. Une attention spéciale doit être apportée lors d’un transfert en faveur d’un enfant ou d’un petit-enfant mineur : une clause d’administration au testament est nécessaire si le mineur reçoit des biens d’une valeur de plus de 25 000 $.

Si la propriété est léguée à plusieurs descendants en « indivision », une convention régissant le droit des indivisaires aurait tout intérêt à être rédigée entre eux afin de prévoir le partage des coûts (entretien, rénovation, paiement des taxes, etc.) ainsi que les mécanismes de rachat d’un indivisaire désirant se retirer. Ces éléments pourraient être prévus par le testateur dans le testament. Les indivisaires seront soumis aux règles de l’administration du bien indivis du Code civil du Québec6 et au principe que « nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision »!

Par ailleurs, les indivisaires devront payer les conséquences fiscales lors du transfert de leurs droits de propriété, de leur vivant, à leur décès ou advenant certaines situations, notamment en cas de faillite ou de litige.

En tant que propriétaire, l’indivisaire ayant reçu le bien ne bénéficie pas de la protection légale évoquée précédemment. Bien qu’il soit possible pour le testateur de léguer le bien de façon insaisissable pour une certaine durée, et à titre de bien « propre » afin qu’il ne soit pas partageable avec un(e) conjoint(e), la protection accordée n’est pas à la hauteur de celle offerte par la fiducie ou par la société par actions. À noter que si une clause d’inaliénabilité a été prévue, celle-ci entraîne l’insaisissabilité du bien.

Voir le tableau PDF ci-contre.

5. Le legs en fiducie testamentaire

Afin de pallier les lacunes du legs en pleine propriété, le testateur pourrait désirer léguer la résidence à une fiducie familiale dont les enfants et/ou les petits-enfants seraient les bénéficiaires. Ce transfert, bien qu’ayant l’effet de créer une disposition présumée au décès de la même manière que le legs en pleine propriété, empêchera les bénéficiaires de transférer de leur vivant ou de léguer à leur décès à qui ils voudront, car ils seront restreints par le patrimoine fiduciaire. En effet, c’est le testateur qui décide dans son testament à qui iront les biens légués au décès d’un ou de tous les bénéficiaires. Il n’y aura pas d’indivision comme tel, mais le testateur pourrait prévoir les règles d’utilisation de la résidence. Il pourrait aussi prévoir le partage des coûts d’entretien et de rénovation par les bénéficiaires eux-mêmes, à moins d’avoir légué une somme suffisante à la fiducie pour assumer ces coûts pendant toute la durée de la fiducie. L’impôt résultant de la disposition présumée au décès pourrait être repoussé au décès du conjoint si le testateur léguait plutôt la résidence à une fiducie au bénéfice exclusif d’un conjoint(e), laquelle sera transférée à des enfants et/ou des petits-enfants, soit en pleine propriété ou en fiducie testamentaire au décès de ce dernier.

Notons que la durée de vie de la fiducie sera de la même manière limitée à deux ordres de bénéficiaires, outre celui du bénéficiaire du capital, comme il en a été fait état plus haut.

Les mêmes considérations que celles entourant la fiducie entre vifs s’appliquent ici quant à la disposition au 21e anniversaire, à la déduction pour résidence principale, aux changements de titre, au fiduciaire indépendant, au droit de mutation et à la protection légale. À la différence cependant que la fiducie exclusive au bénéfice du conjoint n’a pas de disposition présumée au 21e anniversaire et qu’elle bénéficie d’un roulement à l’entrée, mais d’un impôt au moment du décès du conjoint.

6. Le legs en substitution dite « pure » 7 Il y a substitution lorsqu’une personne reçoit des biens par donation ou par testament (premier bénéficiaire) avec l’obligation de les rendre après un certain temps à une autre personne (appelé), qui pourrait lui aussi à son tour devoir rendre le bien à une autre personne jusqu’à un maximum de deux ordres successifs.

Le transfert en substitution, du vivant ou au décès du constituant, ainsi que pendant sa durée est assujetti sensiblement aux mêmes règles fiscales que la fiducie testamentaire et sa durée de vie est sensiblement la même.

Cet instrument bénéficie des mêmes conditions que la fiducie testamentaire au sujet de la disposition présumée au 21e anniversaire et de la déduction pour résidence principale. Cependant, bien que le patrimoine soit distinct du premier bénéficiaire en vue d’être transféré un jour à d’autres ordres, il ne constitue pas un patrimoine distinct au sens strict comme l’est la fiducie et ne bénéficie donc pas de la même protection.

Entre les ordres de bénéficiaires, il faudra faire un changement de titre de propriété, c’est donc dire qu’il y aura des frais de transfert, mais aussi peut-être des droits de mutation si le transfert n’est pas effectué entre personnes de ligne directe ou descendante.

Un avantage certain est dû au fait que le régime de la substitution est administré par le bénéficiaire lui-même, sans avoir à faire appel à une tierce personne.

Finalement, le bénéficiaire initial doit respecter les règles d’entretien et de conservation ainsi que toutes les dispositions du Code civil applicables aux substitutions8.

7. Le transfert à une société de personnes La société de personnes a l’avantage de faire bénéficier d’un roulement fiscal lors du transfert de la résidence en sa faveur et de ne pas conférer un avantage fiscal aux sociétaires. Elle offre aussi l’avantage de ne pas avoir de durée de vie limitée pourvu qu’il y ait toujours au moins deux sociétaires.

En raison du libellé de la Loi sur les mutations immobilières, le transfert ne bénéficiera cependant généralement pas de l’exonération pour droits de mutation.

Par ailleurs, les sociétaires devront payer les conséquences fiscales lors du transfert de leurs parts, de leur vivant, à leur décès ou advenant certaines situations, notamment une faillite, un don ou une vente.

Une conséquence fiscale possible est la perte de la déduction pour résidence principale puisqu’une société ne peut prendre une telle déduction. Il y aura donc un impôt sur le gain en capital à payer par la société s’il y a disposition de celle-ci, sauf si une résidence sujette à la déduction était transférée à un sociétaire.

Pendant la durée de la société, les détenteurs de cette propriété pourront changer, par voie de transferts de parts et sans avoir à modifier les titres de propriété. Cela signifie une économie de coûts de transfert et aussi de droits de mutation.

La situation n’est pas claire quant à la protection qu’offre cette option. Il est donc probable qu’elle ne soit pas la meilleure possible contre des créanciers.

Enfin, les sociétaires devront mettre en place une convention prévoyant les modalités d’utilisation et de paiement des coûts de la résidence. Elle devrait prévoir aussi les cas de retrait d’un sociétaire, de son vivant, à son décès ou advenant certaines éventualités.

Force est donc de constater qu’aucune méthode n’est meilleure qu’une autre. Le client devra souvent sacrifier certains de ses objectifs au bénéfice d’autres!

Mise en garde : Les auteurs tiennent à aviser le lecteur qu’en raison de l’espace autorisé pour ce texte et compte tenu de l’étendue de ce sujet, les principales distinctions entre les divers modes de détention possibles dans un contexte de transfert intergénérationnel sont présentées de façon abrégée et ne couvrent pas tous les aspects. Nous recommandons au lecteur de consulter un professionnel ou de faire des recherches approfondies pour plus de précisions.

Cet article est tiré de l’édition de mai du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.


7. À noter qu’il existe aussi la substitution dite « de residuo », mais puisque celle-ci ne sert pas l’objectif visé, les règles qui lui sont applicables ne sont pas analysées dans le présent texte.

8. Articles 1218 à 1255 du C.c.Q.