La transmission d’une résidence aux prochaines générations

30 avril 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Tom Baker / 123RF

Le client propriétaire d’une résidence dite « familiale » (que ce soit une résidence principale, un chalet ou une maison de campagne) et qui souhaite transférer, de son vivant ou à son décès, cette propriété aux générations suivantes désirera concilier des objectifs de propriété légale avec des objectifs de réduction de la charge fiscale intergénérationnelle. Voyons différents modes de détention possibles dans ce contexte.

1. Transfert à une fiducie familiale « entre vifs » Le principe général veut qu’une fiducie constituée du vivant du client-constituant ne peut avoir plusieurs générations de bénéficiaires à moins de payer l’impôt sur le gain en capital lors du transfert, car il ne peut pas y avoir de roulement fiscal si la fiducie prévoit d’autres bénéficiaires que le client. Cet impôt à payer au moment du transfert est généralement un frein à la mise en place de la fiducie, à moins évidemment que la résidence soit admissible alors à la déduction pour résidence principale.¹

Au moment du transfert, une autre incidence à analyser est celle des droits de mutation (communément appelée « taxe de bienvenue »). L’alinéa 20 e) de la Loi sur les mutations immobilières fait généralement en sorte que le transfert en fiducie en faveur de soi-même et de descendants sera exonéré.

Par ailleurs, si l’objectif du client est de conserver la résidence indéfiniment, au bénéfice des générations futures, la fiducie n’est pas l’instrument à privilégier. En effet, le Code civil du Québec limite la durée de vie d’une fiducie à un maximum de deux ordres de bénéficiaires des fruits et revenus, outre celui du bénéficiaire du capital. En pratique, cela fait en sorte que la fiducie pourrait être viable pour un maximum de cinq générations si, par exemple, les enfants et les petits-enfants sont les bénéficiaires de premier ordre sur un même pied d’égalité.

Par ailleurs, un autre problème existe, celui-là d’ordre fiscal : la disposition présumée des biens en fiducie au 21e anniversaire de sa création. À cet anniversaire, il y aura vente présumée de la résidence et l’impôt sur le gain en capital devra être payé. Par conséquent, il faut soit que les fonds dans la fiducie soient suffisants pour le payer, c’est-à-dire que le constituant a transféré suffisamment d’argent au moment de sa constitution, soit que les bénéficiaires eux-mêmes l’assument. Évidemment, d’autres fonds seront aussi nécessaires au paiement des frais d’entretien et de réparations de la résidence, et ce, pendant toute sa durée.

Une autre conséquence fiscale éventuelle est la perte de la déduction pour résidence principale pour un bénéficiaire. En effet, lorsqu’une fiducie désigne une propriété comme étant sa résidence principale pour une année donnée, cette désignation s’applique aussi à chaque bénéficiaire déterminé de la fiducie, de sorte que certains bénéficiaires qui possèderaient une autre propriété perdraient cette déduction pour leur propre résidence, pour la période désignée. La rédaction de l’acte de fiducie prend toute son importance² : par exemple, il pourrait prévoir que la fiducie n’est pas autorisée à prendre la déduction. Dans ce cas, si la résidence était vendue, un gain en capital serait généré dans la fiducie et pourrait être distribué parmi les bénéficiaires.

Pendant la durée de la fiducie, les détenteurs de cette propriété pourraient passer, en quelque sorte, d’un bénéficiaire à l’autre sans que les titres de propriété aient à être changés, ce qui signifie une économie de coûts de transfert.

L’acte de fiducie devrait prévoir les règles d’utilisation, d’entretien et de réparations de la résidence, le paiement des taxes, etc.

Un aspect important au plan légal : en vertu des règles du Code civil du Québec³, il doit toujours y avoir un fiduciaire « indépendant », soit un fiduciaire qui n’est pas le client-constituant ni un bénéficiaire. C’est donc dire que l’on devra toujours faire appel à une tierce personne pour effectuer la gestion de la fiducie détentrice de la résidence. Cette condition peut susciter chez le client des réticences à choisir ce type d’instrument.

La fiducie constitue un patrimoine distinct de ses bénéficiaires, qui offre une protection contre certaines réclamations, par exemple d’un créancier, d’un bénéficiaire ou d’un conjoint.

2. Le transfert à une société par actions La société par actions, quant à elle, offre l’avantage de faire bénéficier d’un roulement fiscal lors du transfert de la résidence en sa faveur4.

Le transfert ne bénéficiera cependant généralement pas de l’exonération pour droits de mutation, prévue à l’aliéna 19 a) de la Loi sur les mutations immobilières, s’il y a plusieurs actionnaires après le transfert (ce qui sera fort probablement le cas si les enfants sont impliqués), à moins que le client-cédant possède à lui seul plus de 90 % des actions ayant plein droit de vote de la société.

La société par actions a aussi l’avantage de ne pas avoir de durée de vie limitée (une société ne meurt pas!). D’un autre côté, elle a le désavantage de conférer un avantage fiscal aux actionnaires, sauf si l’on adopte le point de vue de certains fiscalistes selon lequel le fait de contribuer aux coûts d’entretien et de réparations de la résidence constitue un loyer suffisant qui élimine cet avantage. Si ce point de vue n’est pas retenu, l’actionnaire devra payer un impôt annuel résultant de cet avantage, ce qui n’est pas souhaitable.

Par ailleurs, les actionnaires devront payer les conséquences fiscales lors du transfert de leurs actions, de leur vivant, à leur décès ou advenant certaines situations5 (notamment en cas de faillite, d’un don, d’une vente ou d’un rachat d’actions).

Une autre conséquence fiscale éventuelle est la perte de la déduction pour résidence principale puisqu’une société ne peut prendre une telle déduction. Il y aura donc un impôt sur le gain en capital à payer par la société s’il y a disposition de celle-ci.

Pendant la durée de la société, les détenteurs de cette propriété pourront changer, par voie de transferts d’actions, sans avoir à modifier les titres de propriété, ce qui signifie une économie de coûts de transfert et aussi de droits de mutation.

La société constitue un patrimoine distinct de ses actionnaires, qui offre une très bonne protection contre les créanciers pour l’activité de la société. Les actions détenues par un individu demeurent cependant assujetties à l’ensemble des créanciers de ce dernier.

Enfin, les actionnaires pourront mettre en place une convention entre actionnaires qui prévoira les modalités d’utilisation et de paiement des coûts de la résidence. Elle devrait prévoir les cas de retrait d’un actionnaire, que ce soit de son vivant ou à son décès, et certaines autres éventualités.

3. Le transfert à un organisme sans but lucratif (OSBL) Le transfert d’une résidence à un OSBL a le désavantage de ne faire bénéficier d’aucun roulement fiscal. Un impôt à la disposition devra donc être payé, à moins, encore une fois, que la résidence soit admissible à la déduction pour résidence principale. Les droits de mutation ne seront pas non plus exonérés pour la résidence.

Cependant, ce type de transfert a l’avantage, lui aussi, d’être assujetti à une durée de vie limitée.

Un autre désavantage de taille est que la famille pourrait perdre éventuellement toute la valeur de la résidence. En effet, les lois fiscales exigent que les membres d’un tel OSBL ne puissent recevoir aucun avantage pécuniaire de celle-ci. La résidence est donc transférée dans un but précis d’utilisation pour la famille, mais les membres ne récupèreront ni sa valeur ni sa propriété, à moins de payer l’impôt si un transfert était un jour effectué, par exemple, à une société par actions.

Par ailleurs, les membres devront payer les conséquences fiscales lors du transfert de leurs parts dans l’organisme, de leur vivant, à leur décès ou advenant certaines situations. On peut cependant penser que la valeur de telles parts serait faible en raison du caractère familial de cette propriété.

Un tel organisme n’est pas admissible à la déduction pour résidence principale. Ceci a cependant peu d’incidence puisque l’OSBL génère des revenus non imposables.

Pendant la période d’existence de l’organisme, les membres pourront changer, par voie de transferts de leurs parts, sans avoir à modifier les titres de propriété, ce qui signifie ici aussi une économie de coûts.

Comme dans le cas d’une convention entre actionnaires, les membres devront prévoir les modalités d’utilisation et de paiement des coûts de la résidence. Ce document devrait prévoir les cas de retrait d’un actionnaire.

L’organisme constitue un patrimoine distinct de ses membres, qui offre une bonne protection compte tenu de sa mission familiale.

L’OSBL devra respecter la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, entrée en vigueur en novembre 2011, notamment en respectant certaines formalités, telles que fournir des états financiers à ses membres dans certaines situations.

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Mise en garde : Les auteurs tiennent à aviser le lecteur qu’en raison de l’espace autorisé pour ce texte et compte tenu de l’étendue de ce sujet, les principales distinctions entre les divers modes de détention possibles dans un contexte de transfert intergénérationnel sont présentées de façon abrégée et ne couvrent pas tous les aspects. Nous recommandons au lecteur de consulter un professionnel ou de faire des recherches approfondies pour plus de précisions.

Cet article est tiré de l’édition de mai du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.


  • Article 54 de la LIR.
  • Sur ce sujet, voir la chronique des mêmes auteurs dans le numéro de décembre 2007 de Conseiller : « La déduction pour résidence principale par une fiducie : une planification valable? ».
  • Article 1275 du C.c.Q.
  • En vertu du paragraphe 85(1) de la LIR.
  • On peut penser notamment à une faillite, un don, une vente ou un rachat d’actions.
  • Articles 1025 à 1037 du C.c.Q.