La vie universelle remise en question

Par Pierre-Luc Trudel | 8 Décembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Faire souscrire une police d’assurance vie universelle à un client dans un but qui n’est pas purement successoral ne constitue pas une faute déontologique, a récemment tranché le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

Dans le cadre de cette affaire, les conseillers en sécurité financière Pascale Leclerc et Noël Bonnici ont fait l’objet d’une plainte disciplinaire déposée par la syndique de la CSF. On leur reprochait notamment de ne pas avoir priorisé l’intérêt du client en lui faisant souscrire une police d’assurance vie en l’absence de besoins successoraux.

Au terme de l’audition sur culpabilité, qui a eu lieu en octobre 2014, le comité de discipline de la CSF a finalement rejeté l’ensemble des chefs d’accusation portés à l’endroit des deux conseillers.

« La partie plaignante avançait que les conseillers avaient fait souscrire cette police d’assurance pour en tirer des bénéfices personnels et toucher la commission », explique René Vallerand, associé chez Donati Maisonneuve et avocat des défendeurs dans l’affaire.

Dans ce cas-ci, cette police allait permettre au client de placer des sommes à l’abri des créanciers et de bénéficier de l’imposition différée, tout en permettant de couvrir des impôts au décès.

DEUX ÉCOLES DE PENSÉE

L’expert de la syndique, Denis Preston, qui est par ailleurs planificateur financier et formateur à l’Institut québécois de planification financière (IQPF), a soutenu lors de l’audition qu’en l’absence de besoins successoraux, une police d’assurance vie n’est pas nécessaire.

« Il y a deux écoles de pensée sur le sujet, analyse René Vallerand. M. Preston est de l’école traditionnelle qui veut qu’une police d’assurance vie doive uniquement servir à couvrir des besoins d’assurance. Pourtant, bien des individus fortunés utilisent l’assurance vie comme produit de placement ou pour réduire leur fardeau fiscal. Le comité de discipline adhère à cette deuxième école de pensée », explique-t-il.

En effet, le comité a jugé que la police d’assurance vie était parfaitement adéquate pour le client et que les conseillers ont priorisé son intérêt : « Le placement dans un tel produit était donc conforme à l’objectif du client de protéger une partie de ses biens contre d’éventuels créanciers », peut-on lire dans la décision du comité de discipline rendue le 15 septembre dernier.

FAIRE CONFIANCE AUX DÉCLARATIONS DU CLIENT

Dans le même dossier, la syndique de la CSF avait également reproché aux conseillers Pascale Leclerc et Noël Bonnici de « ne pas avoir recueilli tous les renseignements ni procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers du client en lui faisant souscrire la police d’assurance vie universelle ».

Denis Preston avait notamment souligné l’absence d’une analyse de besoins justifiant l’assurance vie d’une valeur de 1,8 M$ souscrite par le client, estimant que le conseiller doit dès le départ déterminer les sommes qui devront être disponibles au décès. Le comité de discipline a plutôt jugé que les besoins d’assurance au décès peuvent croître avec le temps et que rien n’interdit que le montant d’assurance dépasse les besoins successoraux immédiats du client, s’il le désire.

« C’est logique de prévoir une police d’une valeur plus élevée pour se prémunir en cas d’accroissement des actifs », indique René Vallerand.

LE CONSEILLER N’A PAS À CALCULER LE PATRIMOINE SUCCESSORAL

La syndique de la CSF avait par ailleurs critiqué l’absence de calcul du patrimoine successoral du client par les deux conseillers. Il faut savoir que dans ce cas-ci, le client était un homme d’affaires qui a clairement indiqué quelle somme était nécessaire pour répondre à son besoin successoral.

Compte tenu de ces circonstances, le comité a tranché qu’aucun motif ne permettait de sérieusement douter des affirmations du client et qu’il n’était donc pas nécessaire de reprendre le calcul de son patrimoine successoral.

« La syndique veut que le budget soit fait à la cenne près, ça va trop loin. Le comité a jugé qu’on peut faire confiance aux déclarations du client sans remettre en doute tout ce qu’il dit. Le patrimoine successoral peut être calculé par un comptable, par exemple », affirme René Vallerand. L’avocat rappelle d’ailleurs qu’en droit civil, les contrats d’assurance sont fondés sur la plus grande bonne foi.

L’affaire a été portée en appel par la syndique de la CSF et devrait être entendue en 2016 ou en 2017.

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Pierre-Luc Trudel