L’acharnement bureaucratique

Par Yves Bonneau | 1 février 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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justice statue with sword and scale. cloudy sky in the background

Vous connaissez sans doute l’acharnement thérapeutique qui consiste à maintenir en vie un humain à tout prix, souvent au détriment de la plus élémentaire dignité. L’acharnement bureaucratique procède du même entêtement, sinon qu’il fait de vraies victimes, chaque jour, plutôt que de les sauver…

Février marque le premier septennat de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Bien des contribuables à l’époque se demandaient à quoi servait cet organisme qui relève du ministre des Finances. Même si l’AMF est plus connue — après Norbourg, Norshield, Mount Real, Earl Jones et compagnie —, bien des contribuables investisseurs se demandent toujours à quoi elle sert. Surtout ceux-là (et leurs proches) qui ont eu le malheur de tomber entre les pattes de fraudeurs.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Ainsi, par exemple, dans le cas hypermédiatisé de Norbourg et de Vincent Lacroix, l’AMF a tenté de rattraper les faits qu’elle avait ignorés en jetant avec célérité un déluge d’accusations au pénal pour impressionner la galerie et son ministre. La stratégie a fonctionné quelques années. Puis – surprise – les médias ont commencé à s’intéresser au sort des victimes de la fraude, se rendant compte que ces derniers s’étaient organisés pour faire valoir leurs droits et récupérer les miettes restantes. Pendant ce temps et par son aveuglement, l’AMF avait « contaminé » dans ses poursuites au pénal quantité de preuves qui auraient pu servir dans la poursuite au criminel intentée contre Vincent Lacroix. Cette inconséquence de l’AMF a eu pour effet de retarder indûment le procès criminel de Lacroix, au cours duquel il aurait pu être condamné à des peines plus sévères; pendant qu’au pénal, on a erré en voulant additionner des sentences qui ne s’additionnent pas. La justice s’est tiré dans le pied et l’opinion publique s’est faite à l’idée que les fraudeurs à cravate (l’expression est maintenant consacrée !) s’en tirent toujours. L’AMF a bien tenté de défendre sa position et ses décisions mais, peu à peu, on s’est aperçu que tout n’était pas aussi noir et blanc au pays de Jean Saint-Gelais, et que l’organisme de réglementation a peut-être aussi commis des erreurs dont elle pourrait être tenue responsable.

Incidemment, l’AMF est ou a été intimée dans au moins trois causes en recours collectif. On a appris récemment que « d’intenses négociations avaient lieu pour rembourser les investisseurs floués par Lacroix ». Si ces négociations ont lieu aujourd’hui, près de six ans après l’éclatement du scandale Norbourg, c’est que l’AMF aurait maintenant des dollars pour payer. Selon une source digne de foi, un haut placé de l’Autorité aurait affirmé qu’on se servirait du montant des amendes perçues sur le papier commercial (la Banque Nationale en a payé 75 M$) pour renflouer les malheureux investisseurs.

À l’AMF, on déclare que :

– en 2007 : 1 988 116 $ d’amendes ont été signifiées; montant perçu : 1 566 928 $;

– en 2008 : 3 312 382 $ d’amendes ont été signifiées; montant perçu : 1 461 415 $;

– en 2009 : 2 948 925 $ d’amendes ont été signifiées; montant perçu : 1 651 929 $;

– jusqu’en février 2010 : 81 617 978 $ d’amendes (incluant les amendes sur les PCAA) ont été signifiées; montant perçu : 74 311 489 $.

Comme le mentionne le porte-parole de l’AMF, « la Banque Nationale a payé dans les délais prévus l’ensemble de l’amende découlant du papier commercial, 50 % de cette somme est allée au Fonds d’éducation et de saine gouvernance, et les 50 % restants iront à différentes initiatives en matière de lutte aux crimes financiers ».

Suis-je naïf de penser que si on prenait la moitié de la somme payée par la BN, le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) serait déjà recapitalisé, et on pourrait enfin libérer l’ensemble des conseillers d’une dette qu’ils paient chèrement chaque année au moment de renouveler leur permis ? Qui plus est, il s’agit d’une dette dont ils n’ont JAMAIS été responsables, ni directement, ni par association.

Et oui, je suis naïf, ce serait trop simple ! Mais avant de jeter la pierre à l’AMF, vous devez savoir qu’elle n’est pas responsable de cette injustice. La loi qui régit le FISF interdit à l’AMF de le recapitaliser grâce à la perception des amendes. Cette même loi permet plutôt à l’Autorité de percevoir les sommes directement dans vos poches. Sans même que vous soyez représentés au CA du FISF !

L’histoire déplorable qui entache en grande partie les belles réalisations de l’AMF des dernières années découle de cet entêtement à vouloir conserver le contrôle du FISF et d’être l’organisme qui dédommage les investisseurs victimes de fraude. Il résulte aussi de cet entêtement qu’on refuse, pour des raisons kafkaïennes de dols et autres, de renflouer des investisseurs qui ont plein droit d’être indemnisés. Le même entêtement a continué de prévaloir dans la défense de l’indéfendable, devant les investisseurs qui demandent justice. L’AMF a même indiqué qu’elle était prête à se rendre en Cour suprême. Puis, les rumeurs d’ententes hors cour sont venues calmer le jeu et donner un peu d’espoir aux victimes.

Un fait demeure : si les épargnants craignent tant aujourd’hui d’investir, c’est parce qu’ils ont perdu confiance dans le système. Un fonds d’indemnisation sous capitalisé, géré arbitrairement par un organisme de réglementation, financé par les conseillers comme si d’emblée il fallait les faire payer à l’avance parce qu’ils sont des fraudeurs potentiels, ne fait absolument rien pour rétablir la confiance du public.

Le ministre Bachand, ou son remplaçant, doit prendre faits et actes de ces dérives bureaucratiques découlant de la gestion du FISF et simplement en retirer la gestion des mains de l’AMF, pour le bien des investisseurs victimes comme pour l’image même de l’AMF.

Un fonds d’indemnisation doit être alimenté par les utilisateurs qui tirent profit des services. Il doit être universel et imperméable aux pressions politiques ou bureaucratiques, comme l’est le Fonds d’assurance automobile du Québec.

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Yves Bonneau, rédacteur en chef Conseiller


Cet article est tiré de l’édition de février du magazine Conseiller.

Yves Bonneau