L’affaire Finkelstein décryptée

Par Me Karen M. Rogers | 20 mai 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
5 minutes de lecture

Ce jeudi 21 mai, l’ancien avocat Mitchell Finkelstein et quatre conseillers en placement sont convoqués devant la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) pour débattre des sanctions qui leur seront imposées.

Cette convocation fait suite à la décision de la CVMO rendue en mars dernier, concluant que ces personnes ont contrevenu à la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario en raison de leur participation à des transactions d’initiés illégales ou pour communication d’informations privilégiées relatives à trois émetteurs assujettis.

Cette décision de la CVMO est la plus récente rendue au Canada en matière de délit d’initié. Elle s’inscrit dans le cadre de la stratégie globale adoptée par les autorités en valeurs mobilières en Amérique du Nord, qui consiste à se montrer proactif et sévère à l’égard de personnes profitant d’une information privilégiée reliée aux titres d’un émetteur, soit en participant à une opération d’initié interdite ou en communiquant un « tuyau » à un tiers à cette même fin.

Même si certains mots ou éléments de la preuve quant aux délits d’initiés peuvent varier d’une province à l’autre ou d’un état à l’autre, le but de l’ensemble des autorités en valeurs mobilières est sensiblement le même : empêcher qu’un initié, ou une personne en relation de confiance avec un initié puisse faire usage de l’information « privilégiée », d’un « fait pertinent » ou d’un « changement matériel » inconnu du public pour l’utiliser et en bénéficier ou la communiquer à un tiers pour qu’à son tour cette personne puisse en profiter.

DU BOUCHE-À-OREILLE PAYANT

M. Finkelstein était un éminent avocat exerçant à Toronto dans le domaine de la fusion et acquisition. Étant donné sa spécialité, il avait bien entendu accès à de l’information relative à d’importantes transactions éventuelles de compagnies publiques (probabilité que la transaction se réalise, impact sur la valeur du titre, etc.).

Devant la CVMO, Finkelstein a été accusé d’avoir partagé de l’information reliée à ces transactions éventuelles avec l’un de ses bons amis, un conseiller en placement de Montréal rattaché à une banque canadienne, avant que cette information ne devienne publique.

À son tour, le conseiller a partagé ces renseignements avec d’autres conseillers qui ont négocié sur ces titres, soit personnellement ou pour d’autres personnes, avant l’annonce publique, profitant ainsi de gains substantiels.

Les régulateurs ont toujours été actifs en Amérique du Nord pour poursuivre les personnes qu’ils soupçonnent d’avoir été impliquées dans des délits d’initiés ou dans la communication illégale d’information privilégiée sur un émetteur afin de les punir et obtenir un effet dissuasif. Par le passé, ils déposaient systématiquement des accusations criminelles contre les personnes ciblées, mais à moins d’avoir une admission confirmant l’acte illégal ou une preuve directe, il était difficile d’obtenir une condamnation au criminel.

En effet, en matière criminelle, les régulateurs doivent établir « hors de tout doute raisonnable » que les acteurs ont illégalement réalisé une opération sur le marché boursier relativement aux émetteurs en raison d’informations privilégiées non connues du public ou qu’ils avaient donné de telles informations à un tiers à cette même fin.

Au cours des dernières années, les personnes visées par ces accusations étaient principalement des membres de conseils d’administration, des émetteurs, mais aussi des conseillers en placement, des avocats (comme M. Finkelstein) et des comptables.

FARDEAU DE PREUVE MOINS ÉLEVÉ

Par contre, vu la rareté d’une admission ou d’une preuve directe établissant « hors de tout doute » qu’un délit d’initié a été commis, les régulateurs, plutôt qu’abandonner certains dossiers, se sont mis à instituer des recours devant les tribunaux administratifs tels que l’Ontario Securities Commission en Ontario, et le Bureau de décision et de révision au Québec.

Devant ces instances, leur fardeau de preuve est moins élevé. En fait, dans le cadre d’un recours administratif en délit d’initié, il faut démontrer « selon la balance des probabilités » que l’acte reproché a eu lieu. Pour ce faire, une preuve circonstancielle suffit, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une action criminelle.

La décision Finkelstein s’inscrit dans la nouvelle stratégie des commissions des valeurs mobilières au Canada et aux États-Unis qui consiste à déposer une poursuite devant les tribunaux administratifs pour obtenir des sanctions pécuniaires contre leur cible lorsqu’ils n’ont pas la preuve « hors de tout doute » du délit d’initié ou de communication d’information privilégiée. Même s’il ne peut y avoir de peine de prison devant ces instances, les sanctions peuvent être très élevées.

L’IMPORTANCE DE LA PREUVE INDIRECTE

L’audition de l’affaire Finkelstein a duré 22 jours. Finkelstein et les quatre conseillers en placement ont nié avoir commis les gestes reprochés et la Ontario Securities Commission n’avait pas de preuve directe.

La preuve de l’autorité réglementaire n’était que circonstancielle, soit :

  • les feuilles de temps de l’avocat pour déterminer les moments où il a travaillé sur les transactions concernées;
  • les recommandations faites au conseil d’administration par l’avocat pour démontrer sa connaissance de l’information privilégiée non publique;
  • le nombre, la durée et la date des appels téléphoniques, textes, et courriels entre l’avocat et le conseiller en placement et l’établissement de liens entre ses communications et les transactions boursières;
  • le trading pattern des achats de titres;
  • la date des transactions et le fait que les titres n’étaient pas des titres achetés dans le passé;
  • la concentration des titres achetés;

Sur la base de cette preuve indirecte, la CVMO a conclu que Finkelstein, son ami, conseiller en placement, ainsi que les autres conseillers en placement ont commis, selon la balance des probabilités, des délits d’initiés ou de la communication d’information privilégiée relativement à des opérations sur les titres de Masonite, Dynatec et/ou Legacy Hotels REIT.

La décision Finkelstein démontre le contraste important entre la norme de preuve qui doit être faite pour que les autorités réglementaires aient gain de cause dans un dossier criminel comparativement à celle que nécessite le tribunal administratif.

Il y a tout de même des dossiers où les régulateurs continuent de déposer des accusations criminelles, car ils croient pouvoir établir hors de tout doute l’infraction d’un délit d’initié. En fait, récemment aux États-Unis, Mathew Martoma, un ancien gestionnaire de portefeuilles pour SAC Capital, a écopé de 9 ans de prison en raison de la preuve voulant qu’il ait échangé des titres pharmaceutiques alors qu’il était en possession d’informations privilégiées. Son délit d’initié a permis à SAC Capital de faire 276 M $US en gains et d’éviter des pertes matérielles.

Me Karen M. Rogers