L’AMF a-t-elle trop tardé à agir?

Par Priscilla Franken | 2 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les victimes avec lesquelles nous nous sommes entretenus et qui n’ont pas porté plainte sont formelles : aucune n’a été contactée par BMO ni par l’AMF à des fins d’information ou de vérification de leurs produits d’assurance vie. Elles ont toutes appris la radiation de M. Thibault dans la presse ou par des amis.

Celles qui ont pris contact avec BMO de leur propre chef pour s’enquérir de la marche à suivre se sont simplement vu assigner un nouveau représentant. « Mon nouveau conseiller, je l’ai rencontré une fois. Il était très pressé de me vendre autre chose », nous confie un titulaire de police BMO.

À ce jour, l’AMF n’a jamais infligé d’amende à AIG/BMO Assurance pour défaut de transmission des plaintes des consommateurs depuis qu’il est obligatoire de le faire (11 décembre 2002). Cela signifie que l’organisme de réglementation a reçu une copie de toutes les plaintes formulées à l’endroit de M. Thibault qui ont été adressées à l’assureur.

L’ex-représentant a par ailleurs fait l’objet d’une inspection de la part de l’AMF le 30 janvier 2008, dont le rapport révèle de nombreux et graves manquements. En voici quelques-uns : sur 12 dossiers clients examinés, 8 ne contenaient pas d’analyse des besoins financiers alors que celles des 4 autres étaient incomplètes; les inspecteurs ont aussi noté l’absence de plusieurs autres renseignements ou documents, comme les revenus de l’assuré, le mode et la date de paiement du produit vendu ou les contrats d’assurance eux-mêmes; dans certains cas, le document d’information remis au client différait de la proposition ou de la police émise.

Les inspecteurs rapportent également qu’ils n’ont pas trouvé de registre des commissions, ni de relevés de rémunération des compagnies d’assurance dont M. Thibault offrait les produits, ni de politique de traitement des plaintes, ni de règles de procédure écrites pour assurer le service à la clientèle et la continuité de ses activités essentielles en situation d’urgence (souvent appelé « plan de continuité »)

Le 2 février 2009, l’AMF interdit à M. Thibault « dorénavant d’agir, directement ou indirectement, comme dirigeant responsable ». L’Autorité impose donc au cabinet de M. Thibault de le remplacer à ce poste et c’est à ce moment que David Hébert entre en scène. En mars 2009, il accepte de devenir le dirigeant responsable de M. Thibault. Une décision qu’il regrettera amèrement puisqu’elle le mènera tout droit à la perte de son emploi à peine deux ans plus tard.

Mais M. Thibault pourra continuer à vendre des assurances pendant quatre ans encore. Il faudra attendre le 14 décembre 2012 pour que l’AMF lui barre la route en lui refusant le renouvellement de son permis de pratique. Parmi les motifs invoqués, on retrouve les poursuites civiles intentées par Pierre et Marie Audet et Empire, ainsi que la faillite de 2012, le fait que des clients figurent parmi les créanciers et le fait qu’il n’a pas divulgué la faillite à l’Autorité.

Malheureusement, l’Autorité n’était vraisemblablement pas au courant de la faillite de 2004, puisqu’elle souligne que celle de 2012 est la première. Il faut savoir que lorsqu’un représentant fait faillite, l’AMF peut suspendre son certificat si des clients ou des intervenants du domaine des services financiers font partie des créanciers. Or, Marie et Pierre Audet font partie des créanciers de la faillite de 2004, comme de celle de 2012.

La prise en compte de cette information aurait peut-être changé le destin de bien des personnes.

Tout comme, sans doute, une meilleure collaboration des acteurs de l’industrie avec les autorités.

QUAND LA LOI DU SILENCE L’EMPORTE

« L’industrie préfère généralement régler ses problèmes à l’amiable et à l’interne, c’est connu, déplore un expert en conformité. Souvent, l’institution cesse simplement de travailler avec la personne qui pose problème et l’AMF ne sait rien. L’entreprise protège sa réputation et le bonhomme peut aller travailler ailleurs. Bref, tout le monde est content… »

Un point de vue que partage un conseiller en sécurité financière qui a souhaité garder l’anonymat : « La concurrence est immense entre les assureurs, alors ils ne vont pas s’entraider ni partager de l’information. Un assureur qui a des problèmes avec un représentant sera très content de le voir partir chez un concurrent! Même les agents généraux se crossent entre eux… Bref, chacun se protège lui-même en premier, surtout quand il y a beaucoup d’argent en jeu, et ça permet aux mauvais éléments de naviguer pendant bien trop longtemps. »

L’histoire du gars malhonnête qui butine pendant 10 ans avec différents réseaux et assureurs puis quitte le milieu n’est donc pas un phénomène rare, selon nos différents interlocuteurs. Ce qui est hors norme en revanche, c’est quand la carrière du gars en question fait long feu.

Notre conseiller qui affiche 40 ans d’expérience estime aussi que la réglementation de l’industrie de l’assurance doit être totalement revue, surtout la structure de rémunération : « Elle incite à vendre, pas à se soucier de la suite. Heureusement, la grande majorité des conseillers sont honnêtes. Mais si les commissions avaient été nivelées et non immédiates, M. Thibault n’aurait jamais pu faire ce qu’il a fait. »

D’étranges insinuations

Un échange de courriels entre Theresa (Terry) Sims, responsable des contrats et de la rémunération des représentants à BMO Assurance, et M. Thibault nous apprend que celui-ci avait une dette en souffrance de près de 135 000 $ avec BMO à la suite de la résiliation d’une police. Le 14 mai 2009, Mme Sims lui écrit notamment qu’il faut qu’il s’entende sur un programme de remboursement avec BMO Assurance.

Le 29 mai 2009, M. Thibault lui répond qu’il est prêt à offrir 100 000 $ pour « acheter la paix » et conclut par la phrase qui suit : « Vous noterez que ma proposition n’est pas un acquiescement de ma part à une quelconque responsabilité mais bien une proposition d’entente à l’amiable qui permettrait de ne pas avoir à dévoiler certaines circonstances dont vous connaissez la teneur. »

Peter McCarthy est en copie conforme de cette réponse.

Terry Sims n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

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Notre dossier sur l’affaire Thibault :

  • BMO Assurance protégeait-elle un top producer véreux?
  • Plusieurs autres clients lésés
  • 30 ans de bons sévices
  • « C’est pire que Norbourg! »
  • Pour AIG, « seules les commissions comptaient »
  • L’AMF a-t-elle trop tardé à agir?
  • Des crimes qui n’intéressent personne?
  • Un goût prononcé pour les gros chiffres

Priscilla Franken