L’AMF encore enfargée dans la ligne bleue

Par Yves Bonneau | 1 octobre 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La mince ligne qui sépare la mission de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de son irrépressible envie de se mêler de ce qui ne la regarde pas vient encore d’être franchie allègrement avec le nouveau questionnaire d’évaluation du conseiller. Initiative de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) et du Fonds pour l’éducation des investisseurs (FEI) soutenue par l’AMF, le questionnaire est la nouvelle façon que semble avoir trouvé l’AMF pour vous enquiquiner.

Appelez ça manque de jugement, arrogance, abus de mandat, la conclusion demeure : les conseillers sont une cible facile et l’AMF doit montrer à la face du public qu’elle remplit son rôle. Toute initiative visant à lui donner le haut du pavé dans cette guerre à finir contre le fraudeur potentiel et à démontrer son omnipotence autant que sa présence salvatrice auprès d’un public souvent illettré financièrement est une occasion de faire miroiter son blason et sa cape de superhéros. Cinq ans jour pour jour après la sortie de l’infâme enquête d’Option Consommateur publiée dans Protégez-vous et financée par l’AMF, voilà que notre AMF récidive.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

Au lieu d’envoyer de faux clients pour essayer de piéger de vrais conseillers, le trio AMF-ACFC-FEI a plutôt décidé cette fois-ci de remettre la responsabilité de « tester » le conseiller entre les mains du client. Dans une industrie archi-réglementée, la mission de l’AMF est de protéger le public. Pour s’acquitter de cette tâche, l’AMF a à sa disposition des moyens substantiels et une équipe de 700 quelque personnes. Mais l’AMF a aussi une responsabilité qu’elle semble systématiquement balayer sous le tapis aussitôt que l’occasion se présente malgré les discours d’ouverture et de collaboration de ses deux présidents, Jean St-Gelais hier, et Mario Albert aujourd’hui. Cette responsabilité est, entre autres, de tracer une ligne entre ses obligations de résultats d’organisme gouvernemental et la nécessité de maintenir une saine activité et concurrence dans l’industrie des produits et services financiers.

Pourquoi? Parce que justement la protection du public en dépend. La concentration des services n’est jamais à l’avantage des consommateurs. C’est une règle universelle. Les conseillers autonomes, les conseillers rattachés à des groupes financiers qui opèrent dans leurs bureaux, les conseillers indépendants sont tous des intervenants qui méritent d’être considérés parce qu’ils font un excellent travail avec leur clientèle et qu’ils participent à la saine concurrence qui existe dans cet écosystème que vous ne semblez pas comprendre. Vous piétinez la réputation des conseillers avec vos gros sabots et vous ne vous souciez aucunement des conséquence de vos interventions. Criez aux loups et le réflexe du petit épargnant est de prendre son pécule et le mettre « à la banque »! Pourquoi vous immiscez-vous ainsi dans ce qui est une transaction privée entre un fournisseur de service et son client? Favorisez-vous un groupe par rapport à un autre? Pourquoi votre questionnaire n’interpelle-t-il pas une compagnie d’assurance ou une institution financière directement?

Pour bien comprendre, je vous donne un exemple:

  • Votre compagnie d’assurance vous explique-t-elle pourquoi elle vous offre un produit d’assurance-habitation qui coûte le double de son concurrent? Ou
  • Votre banque vous explique-t-elle pourquoi votre marge de crédit vous coûte trop cher et comment économiser en consolidant vos dettes?

Sinon, changez de banque ou de compagnie d’assurance!

Je n’ai rien vu de tel dans votre florilège de bonnes intentions… Comment se fait-il que vous n’y ayez pas encore pensé? Il s’agit pourtant ici de protéger les consommateurs contre eux-mêmes, non? C’est drôle à dire mais saviez-vous que ce sont très souvent des planificateurs financiers et des conseillers qui, après avoir pris connaissance des finances personnelles de leurs clients, leur prodiguent ce genre de conseils pour les aider à améliorer leur santé financière? Il est très facile de tout mettre dans le chapeau de la protection du consommateur, personne ne peut critiquer la vertu, n’est-ce pas?

Êtes-vous surpris de vous retrouver sur la sellette encore une fois pour une action que vous jugiez des plus édifiantes? Depuis la sortie de la nouvelle la semaine dernière, j’ai été inondé de messages de conseillers outrés par votre nouvelle initiative. Vous n’en aviez pas entendu parler? Je vais vous confier quelque chose : les conseillers ne veulent pas se plaindre directement chez vous… Ils craignent de voir leur pratique scrutée à la loupe par vos inspecteurs, comme dans une république de bananes. Il y a des rumeurs d’inspections abusives qui circulent, vous savez. Entretemps, vous faites la pluie et le beau temps et personne ne semble se plaindre. Vous devriez faire une petite introspection à l’occasion. Ce n’est pas normal qu’un organisme de réglementation obtienne de si mauvais commentaires en coulisse de la part de l’industrie qu’elle encadre. Que l’AMF soit à l’origine de cette initiative ou qu’elle l’appuie, le principe demeure. Nous écoutons nos lecteurs qui sont en contact quotidiens avec les consommateurs. Ils nous disent que vous faites fausse route et que vous nuisez à leur affaires. En appuyant ce genre d’interventions, vous vous exposez aux critiques. J’imagine que vous vous y attendiez…

Dans votre récente mise au point, vous parlez de refléter les spécificités québécoises mais, par exemple, la section planification financière de l’outil de l’ACFC auquel l’AMF est associé est complètement inspirée de la pratique du ROC et ne tient aucunement compte des sept champs d’intervention de la planification financière. Les connaissez-vous? Le placement, l’assurance, la fiscalité, la retraite…

Comme vous savez l’IQPF a aussi comme mission de protéger le public en matière de finances personnelles par l’entremise de la formation de ses planificateurs financiers. Je ne vois rien de tel dans la version en français de l’ACFC… Les planificateurs financiers pratiquant au Québec et qui ont des clients ici sont également très indisposés par ce genre d’actions improvisées qui tirent dans tous les sens et qui sèment le doute dans l’esprit des consommateurs à leur encontre.

Pourquoi donc des professionnels comme les planificateurs financiers guidés par des valeurs d’intégrité, de rigueur et de transparence sont dans le collimateur des organismes de réglementation alors qu’ils sont déjà très bien encadrés, qu’ils doivent observer des règles très strictes de déontologie et d’éthique basées justement sur le respect et l’intérêt du client? Trouvez-vous que la Chambre surveille mal ses membres?

Vous devriez vous en tenir à faire de l’éducation sur la littératie financière et à continuer d’aider les consommateurs à identifier les arnaques possibles avec leurs avoirs. Il y a des conseillers fraudeurs (0,5 %), on en convient, mais il y a aussi des avocats fraudeurs, des dentistes incompétents ou des ingénieurs qui ratent leurs viaducs… Sont-ils sujets à des questionnaires d’évaluation du public fait par l’Office de protection du consommateur? Pourtant le public est lésé chaque jour par des professionnels. Sans vouloir vous paraphraser, vous devriez consulter avant de vous investir… dans de pareils projets.

Demain : Un questionnaire pour évaluer votre AMF.

L’IFIC a ainsi eu l’idée de demander à Ipsos Reid approfondir les données de son étude CFM pour brosser un tableau des finances personnelles des ménages canadiens sous l’angle spécifique du conseil financier en 2010.

La firme de sondage a donc identifié 3 200 familles directement tirés de leur étude et en mis en parallèle deux groupes de ménage: ceux qui bénéficient des services d’un conseiller et ceux qui disent ne pas faire affaire avec un conseiller en services financiers. Au total, dans l’étude CFM, on a identifié plus de 3 200 ménages qui se trouvaient dans les enquêtes CFM 2005 et 2009.

L’accent a été mis sur ceux qui s’étaient servis ou ne s’étaient pas servis de conseils durant ces deux années de l’enquête pour s’assurer justement que, si le ménage se servait de conseils, il le faisait depuis suffisamment longtemps pour que cela leur soit profitable (le cas échéant), et que, à l’opposé, si le ménage ne se servait pas de conseils, il n’en avait pas eu depuis un certain temps. Au total, il y avait 1 030 ménages dans le groupe conseillé et 1 371 ménages dans le groupe non conseillé.

Enfin, parce qu’ils sont basés sur des relations, l’étude conclut que la pérennité des résultats basés sur les conseils est davantage assurée que si les services reposent uniquement sur des transactions. Voici les points clés tirés de l’étude :

  • Se faire conseiller est fortement associé à l’accumulation d’un patrimoine financier et ce, sans égard au niveau de revenu ou l’âge du ménage;
  • Les ménages conseillés contribuent deux fois plus aux REER et aux CELI que les ménages non conseillés;
  • Les ménages conseillés ont près du triple en participation à des FEER et REEE que ceux qui n’ont pas été conseillés;
  • Les ménages qui ont été conseillés épargnent davantage, peu importe le revenu et l’âge, que leurs pairs non conseillés;
  • Les conseillers encouragent leurs clients à adopter très tôt de bons comportements d’épargne et de placement, et à maintenir ces pratiques la vie durant;
  • Les investisseurs avisés ont plus confiance en leur avenir que les ménages non conseillés;
  • Les investisseurs conseillés sont, pour 33 % d’entre eux, plus susceptibles de penser qu’ils sont aptes et éduqués que ceux qui investissent sans conseils;

Enfin, le dernier et non le moindre :

  • Les investisseurs qui utilisent les services d’un conseiller sont beaucoup moins susceptibles d’être la cible de fraudes que ceux qui ne sont pas conseillés.

Yves Bonneau