L’année de la commission nationale?

Par Yves Bonneau | 18 janvier 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Depuis son arrivée en poste, le nouveau ministre des Finances Bill Morneau n’a pas été très volubile sur le sujet de la commission nationale des valeurs mobilières (CNVM). On le comprend aisément. Avec les promesses faites par son parti en campagne et la gymnastique nécessaire qu’il faudra pour les soutenir dans un cadre financier au milieu d’un contexte économique complètement chamboulé, M. Morneau avait bien d’autres chats à fouetter. Pour la première fois en 97 ans qu’un néophyte en politique est nommé au prestigieux portefeuille des Finances, c’est tout un baptême du feu!

Jusqu’à ce qu’il fasse le saut en politique, M. Morneau était pdg de Morneau Shepell, un fleuron canadien spécialisé en services destinés aux régimes de retraite et assurances collectives des entreprises. La firme a été fondée par son père en 1966. Bill Morneau a grandi et vécu dans la Ville Reine et il est un pur produit de Bay Street. Il a, on s’en doute, un réseau de contacts très bien établi. De même, il peut compter sur de nombreux partisans et amis. Dans ce milieu, on croit depuis très longtemps à une CNVM. De plus, M. Morneau représente la circonscription de Toronto-Centre, où se trouve Bay Street.

À la suite de l’élection fédérale du 19 octobre dernier, la planète AMF a néanmoins poussé un grand soupir de soulagement quand Joe Oliver et les conservateurs ont été répudiés par les électeurs et avec eux, pensait-on, leur projet de commission pancanadienne des valeurs mobilières qui s’en venait comme un train.

Du côté de Bay Street et même à la CVMO, on était plutôt fort aise que ce projet de CNVM soit enfin sur les rails et sur le point de se concrétiser. Même si, après le jugement de la Cour suprême, les observateurs intéressés des provinces croyaient que la décision de la plus haute instance du pays avait refroidi les ardeurs d’Ottawa.

C’était sans compter les ardeurs du fédéral, toujours alimentées par celles de Bay Street, Bank inc. et l’Ontario (qui n’a jamais participé au régime de passeport en valeurs mobilières).

Lors d’une discussion, il y a quelques années, mon prof de droit constitutionnel Henri Brun m’avait confié qu’il avait travaillé sur le dossier épineux de la fameuse CNVM. Une idée qui remonte aux conservateurs de Mulroney. Il m’avait dit alors qu’il croyait que le fédéral allait l’emporter avec la carte constitutionnelle, c’est-à-dire grâce à l’utilisation de l’introduction de l’article 91 (la théorie de l’intérêt national) et l’article 91(2) (qui balise les règles relatives à la circulation du commerce interprovincial) de la loi constitutionnelle de 1867. Mais la Cour suprême a plutôt décidé de se ranger du côté des arguments des provinces (le Québec et l’Alberta) en vertu de l’interprétation de l’article 92(13) selon laquelle la réglementation des valeurs mobilières est de compétence provinciale. Au bout du compte, la cour a seulement invalidé le projet d’une commission des valeurs qui supplanterait les régulateurs provinciaux.

C’est néanmoins par cette petite ouverture de l’intérêt national que le gouvernement central passera pour mettre sur pied son propre organisme national de réglementation. La nouvelle CNVM n’exclura donc pas les régulateurs provinciaux mais collaborera avec eux. Et rien dans la constitution canadienne n’empêche le gouvernement de travailler dans ce sens, bien au contraire. Et de toute façon, il pourra toujours invoquer s’il le faut l’introduction de l’article 91, qui traite précisément de l’intérêt national, si jamais on décidait de retourner en cour, ce que Québec a déjà entamé avec son renvoi de la question en cour d’appel.

Peu importe que les ACVM aient planché depuis des années sur l’harmonisation des lois et réglementations provinciales, que des ententes multilatérales soient déjà en place, comme le régime d’examen concerté des prospectus (qui permet à une entreprise de n’émettre qu’un prospectus dans sa province d’origine pour être reconnue dans le reste du pays), que les provinces aient instauré un mécanisme de passeport entre les juridictions, Ottawa considère son incursion partielle dans ce champ de compétence comme un pas en avant en matière d’efficience. Dès lors, il faut convenir qu’il devient difficilement soutenable pour les provinces qui travaillent ensemble et qui parlent d’harmonisation croissante entre elles de refuser un degré de plus d’harmonisation, soit celui du fédéral.

Tous ces jeux de coulisses (les hauts fonctionnaires fédéraux ne se sont pas volatilisés après l’arrivée des libéraux!) qui annoncent une nouvelle mouture du projet de CNVM ont évidemment rendu nerveuses les autorités provinciales qui s’opposent à l’idée d’une commission nationale.

Mais le plan du ministre Morneau est clair : il y aura une commission pancanadienne des valeurs. L’AMF et les autres régulateurs provinciaux pourront demeurer, mais il est acquis d’avance que le fédéral voudra prendre sa place sur l’échiquier. De passage à Montréal à la mi-janvier, Bill Morneau disait que Carlos (Leitão) était très gentil et qu’il sentait que c’était le début d’une nouvelle ère de collaboration (entre Québec et Ottawa). « Je respecte entièrement la dissidence des provinces dans ce dossier, mais il y a d’autres provinces qui ont opté pour le modèle que l’on propose. Nous allons donc tous devoir travailler ensemble », a-t-il conclu.

Par un étrange retournement de situation, le ministère des Finances et l’AMF, qui faisaient encore récemment peser une épée de Damoclès au-dessus de la Chambre, occupent maintenant un siège semblable.

Yves Bonneau