L’argent comptant va-t-il disparaître?

Par La rédaction | 3 mai 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La technologie et la multiplication des nouveaux moyens de paiement viendront-ils à bout de l’argent comptant? Le dernier Point de vue économique publié hier par Desjardins tente de répondre.

Rédigée par Hendrix Vachon, économiste chevronné au sein du Mouvement, cette analyse évalue la crédibilité d’un scénario où l’argent comptant disparaîtrait complètement au Canada d’ici une décennie ou deux.

Mais attention, prévient-il d’emblée, ce cas de figure est loin d’être en train de se réaliser, puisque la tendance au pays est au contraire à un accroissement de la quantité de liquide en circulation (voir encadré).

Toutefois, il peut de moins en moins être utilisé comme moyen de paiement.

Une ventilation par type de coupures montre que l’augmentation de l’encours des billets de banque provient surtout des coupures de 100 dollars, qui comptent désormais pour plus de la moitié. Or, relève Hendrix Vachon, « il est probable qu’ils servent très peu à l’achat de biens et services » et qu’ils soient plutôt utilisés comme moyen de mettre de l’argent de côté, sans parler de leur usage dans le cadre d’activités illicites.

D’après les données les plus récentes de la Banque du Canada, on assiste bien à un repli de l’argent comptant comme moyen de paiement au pays : en 2009, 53,6 % du nombre de transactions étaient réalisées en liquide, contre 43,9 % en 2013. Toutefois, exprimée en valeur, la part demeure stable aux alentours de 23 %.

POURQUOI SUPPRIMER L’ARGENT LIQUIDE?

Plusieurs arguments militent en faveur de l’élimination de l’argent comptant, rapporte Hendrix Vachon. D’abord, cela permettrait de faciliter la lutte contre les activités illicites et l’économie souterraine, qui représenteraient de 10 % à 20 % du PIB national.

En effet, « le secret et la discrétion sont des qualités recherchées dans un mode de paiement pour ceux qui réalisent des transactions illicites et ceux qui cherchent à éviter l’impôt ou autres taxes et tarifs », souligne-t-il.

Pour les banques centrales, cette révolution présenterait l’avantage d’améliorer l’efficacité de leur politique monétaire, explique l’économiste. Par exemple, « elles pourraient plus facilement adopter des taux d’intérêt négatifs si les gens n’avaient pas l’option de conserver leur avoir en espèces ». En revanche, les épargnants, eux, « paieraient vraisemblablement une note plus salée ».

Enfin, la suppression des billets et des pièces de monnaie pourrait permettre de réduire les frais de transaction, puisque « les coûts de fabrication, de manipulation et de distribution de l’argent, lesquels sont en partie assumés par les consommateurs qui paient des frais pour effectuer des retraits » auraient disparus.

DES ARGUMENTS CONTRE LA SUPPRESSION

Même si les arguments en faveur de l’abandon du liquide peuvent sembler convaincants, note Hendrix Vachon, « plusieurs contre-arguments viennent brouiller les cartes », notamment le fait qu’« il n’est probablement pas aussi simple d’évacuer l’argent comptant d’un pays ».

En premier lieu, l’argument voulant que sa disparition nuise aux activités illégales « est vite mis en doute par la possibilité que d’autres tactiques ou d’autres moyens de paiements offrant secret et discrétion s’enracinent », comme les crypto-monnaies de type bitcoin, étant donnée « la capacité des fraudeurs à s’ajuster et à innover, surtout si un net avantage peut en découler », note-t-il.

Par ailleurs, une telle opération serait très difficile à réaliser sur le plan politique, insiste l’économiste.

« Il apparaît très difficile de croire que le gouvernement américain pourrait un jour abolir l’argent comptant. Le billet vert est un symbole majeur et proposer de le faire disparaître pour forcer les citoyens à utiliser des moyens alternatifs contrôlés par le gouvernement et les grandes institutions financières serait un véritable suicide politique. »

« UN SYMBOLE FORT DE LIBERTÉ INDIVIDUELLE »

« À l’image des Américains, il est probable que plusieurs Canadiens voient dans l’utilisation de l’argent comptant un symbole fort de liberté individuelle et de distance avec le contrôle des gouvernements ou d’autres entités, poursuit-il. Des gens honnêtes vont préférer ce mode de paiement pour différentes raisons et souhaitent que ce choix leur appartienne. »

Peut-être certains jugent-ils qu’« il est plus facile d’utiliser des pièces et des billets », tandis que d’autres « peuvent y voir un outil pour mieux contrôler leurs dépenses ou pour initier leurs enfants à la gestion de leurs finances », sans oublier le fait que les personnes âgées et les personnes à faible revenu ou ayant un degré de scolarité peu élevé risquent d’être pénalisées, ajoute Hendrix Vachon.

De même, la protection des renseignements personnels peut également justifier de continuer à utiliser de l’argent comptant plutôt qu’un autre mode de paiement pouvant laisser des traces. « Un consommateur pourrait juger que les informations recueillies par un tiers lors d’une transaction électronique pourraient éventuellement être utilisées à son désavantage ».

S’ADAPTER AUX BESOINS DES CONSOMMATEURS

« Bien que l’on puisse observer une diminution de l’utilisation de l’argent comptant au Canada comme moyen de paiement, sa disparition complète dans un horizon de 10 à 20 ans nous apparaît très peu probable », conclut Hendrix Vachon.

« Au final, la solution est donc de s’adapter aux besoins des consommateurs plutôt que d’essayer de précipiter les événements », ce qui n’empêche pas que « des choix devront être faits afin de minimiser les coûts associés au maintien de l’argent comptant, d’autant plus que des innovations pourraient encore réduire les coûts d’autres modes de paiement ».

L’argent liquide est en déclin… en Suède

La valeur de l’argent liquide qui circule au Canada représente aujourd’hui environ 80 G$, selon Desjardins. Et bien que les moyens de paiement se soient multipliés, la quantité de billets et pièces de monnaie augmente de 4 à 7 % chaque année.

Résultat, l’encours des pièces de monnaie et des billets de banque avoisine désormais 3,8 % du produit intérieur brut (PIB), comparativement à une moyenne de 3,3 % entre 2005 et 2008.

« FORTE CONNOTATION NÉGATIVE »

Cette tendance va à contre-courant de ce qui est observé dans certaines parties du monde, spécialement en Suède, où l’utilisation de l’argent comptant affiche une baisse marquée, souligne Desjardins. La valeur du liquide y représente en effet à peine 1,5 % du PIB, contre 4 % il y a une quinzaine d’années.

Ce déclin accéléré est dû à plusieurs facteurs, explique l’institution financière, notamment à la « forte connotation négative qui semble être associée à l’utilisation de l’argent comptant » et à certaines innovations, comme l’application Swish pour le paiement mobile, qui connaissent des succès importants dans ce pays.

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