L’article 44.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu : une disposition méconnue?

8 juin 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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tirelire_epargne_CELI_364Lorsqu’un praticien du milieu fiscal effectue une planification, son principal objectif est toujours de minimiser les incidences fiscales découlant des transactions proposées. Bien que le plus grand défi du fiscaliste soit d’éliminer, dans l’immédiat, les répercussions fiscales, il arrive que la seule option possible soit de les reporter. Plusieurs mécanismes populaires permettent ce report − nous n’avons qu’à penser au REER pour les particuliers. Cependant, depuis février 2000, la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) donne la possibilité de différer l’impôt sur le gain en capital réalisé lors de certaines dispositions admissibles. L’article 44.1 de la LIR pourrait donc intéresser tout actionnaire qui, à la suite de la disposition de ses actions, réalise un gain en capital supérieur à la déduction pour gains en capital (DGC) de 750 000 $. Cependant, cette mesure semble peu appliquée dans la pratique. Est-elle méconnue ou tout simplement trop complexe à réaliser?

Cette disposition vise à faciliter le financement des petites entreprises par des investisseurs privés. N’ayant pas été imposé sur le gain réalisé lors de la disposition de ses actions, l’investisseur jouit de sommes plus importantes à investir. Dans un autre contexte, des parents qui ont disposé des actions de leur société admissible pourraient investir dans les entreprises de leurs enfants, afin que celles-ci obtiennent plus facilement de nouveaux capitaux.

Ce texte présente une analyse de l’application de cette mesure¹. La qualification pour le report d’impôt en vertu de l’article 44.1 de la LIR consiste en une série de conditions et d’étapes à respecter, dont les principales sont résumées ci-après.

Prenons l’exemple suivant: un père dispose des actions de sa société le 1er avril 2011, pour un montant de 4 millions de dollars. Le prix de base rajusté (PBR) de l’action est de 100 dollars. Sa fille, qui a lancé une entreprise quelques années auparavant, a besoin de capitaux pour prendre de l’expansion. Plutôt que de voir sa fille emprunter les fonds à des sociétés de capital de risques à des taux d’intérêts relativement élevés, le père suggère de lui prêter 1,5 million de dollars.

Y aurait-il avantage d’appliquer l’article 44.1 de la LIR pour différer l’impôt du père?

Qualification de la disposition des anciennes actions de « disposition admissible » Première condition: la disposition de l’ancienne action doit être effectuée par un particulier, autre qu’une fiducie. Deuxièmement, durant la période de 185 jours terminée immédiatement avant la disposition, l’action a appartenu au particulier. Troisièmement, tout au long de la période pendant laquelle le particulier en a été propriétaire, cette action a été une action ordinaire² d’une société exploitant activement une entreprise (SEAE). Notons qu’il n’y a aucune indication dans la LIR que cette action doit être votante.

Aux fins de cet article, une SEAE est une société canadienne imposable, dont 90 % ou plus de la juste valeur marchande (JVM) de ses actifs est attribuable à des actifs utilisés principalement dans le cadre d’une entreprise exploitée activement.

Une attention particulière doit être portée au type d’entreprise exploitée puisqu’une société de professionnels, une société dont l’entreprise principale consiste à louer ou à vendre des immeubles et une société dont plus de 50 % de la JVM des biens est attribuable à des biens immeubles ou réels ne sont pas considérées comme des SEAE.

Un autre critère à respecter est que l’action dont on dispose doit aussi être une action déterminée de petite entreprise (ADPE), c’est-à-dire une action ordinaire émise par une société dans les circonstances suivantes :

Au moment de l’émission de l’action, la société était une société admissible exploitant une petite entreprise (SAEPE)³, c’est-à-dire :

  • une société privée sous contrôle canadien;
  • une société dont 90 % ou plus de la JVM des actifs est utilisé principalement dans le cadre d’une entreprise exploitée activement au Canada;
  • immédiatement avant et après émission de l’action, la valeur comptable des actifs de la société n’excédait pas 50 millions de dollars4.

De plus, lorsque le particulier détient ses actions depuis deux ans ou moins, la société doit avoir exploité activement son entreprise principalement au Canada durant toute cette période. Dans les autres cas, la société doit avoir exploité activement son entreprise principalement au Canada au moins deux ans durant toute la période au cours de laquelle le particulier a détenu des actions5.

Lorsque l’ensemble de ces critères est respecté, nous sommes en présence d’une disposition admissible au sens de l’article 44.1 de la LIR. L’étape suivante consiste à acquérir l’action de remplacement.

Acquérir une « action de remplacement » Suite à la disposition admissible, le père devra faire l’acquisition d’une action de remplacement dans la société de sa fille6. L’action doit se qualifier d’ADPE telle que définie précédemment. Des actions privilégiées de gel ne peuvent donc pas être admissibles. De plus, cette action de remplacement doit :

  • d’une part, être acquise au cours de l’année de la disposition admissible ou dans les 120 jours suivant la fin de cette année;
  • d’autre part, être désignée, dans la déclaration de revenus produite cette année-là, comme action de remplacement relativement à la disposition admissible.

Montant du « report autorisé »

Reprenons l’exemple décrit ci-haut. L’étape suivante consiste à déterminer le report autorisé7. Il s’agit du montant obtenu à l’aide de la formule suivante :

(G / H) * I G = le produit de disposition de la disposition admissible, ou, s’il est inférieur, le total des montants représentant le coût, pour le particulier, d’une action de remplacement relativement à la disposition admissible H = le produit de disposition de la disposition admissible I = le gain en capital du particulier, provenant de la disposition admissible

Le père pourra donc reporter un montant de 1 499 962,50 $ de gain en capital, soit (1 500 000 $ / 4 000 000 $) * 3 999 900 $. Le gain en capital du père pour l’année est réputé correspondre à l’excédent de son gain en capital (compte non tenu de l’article 44.1) sur le montant du report autorisé. En supposant que le père bénéficie de sa DGC de 750 000 $, seul un montant de 1 749 937,50 $ sera imposable8, au lieu de 3 249 900 $.

Dans la situation où le produit de disposition des anciennes actions n’est pas complètement réinvesti, seul un report partiel sera applicable. Le particulier devra donc s’imposer immédiatement sur une partie de son gain en capital réalisé sur la disposition admissible.

Réduction du « prix de base rajusté » (PBR) Une fois le montant du report calculé, le PBR des actions de remplacement doit être réduit. Cet ajustement permet d’assurer aux gouvernements que l’impôt différé sera payé lors de la disposition ultérieure des actions de remplacement. En ce qui concerne l’action de remplacement, son PBR sera réduit du montant obtenu à l’aide de la formule suivante :

D * (E / F) D = le montant de report autorisé du particulier relativement à la disposition admissible E = le coût, pour le particulier, de l’action de remplacement F = le coût, pour le particulier, de l’ensemble de ses actions de remplacement, relativement à la disposition admissible

L’application de cette formule a pour effet de réduire le PBR de 1 499 962,50 $, soit 1 499 962,50 $ * (1 500 000 $ /1 500 000 $). Pour le père, le PBR des actions de remplacement est donc de 37,50 $. Le gain en capital découlant de la réduction de PBR est donc reporté à la disposition future de ces actions.

Dans l’exemple illustré ci-haut, le contribuable a profité de l’application de l’article 44.1 pour reporter une partie de son gain en capital, soit une somme de 1 499 962,50 $. Globalement, différer l’impôt est intéressant pour un contribuable. Cependant, d’autres aspects peuvent être moins intéressants, comme le fait pour le père de détenir des actions participantes dans la société de sa fille.

Pourrions-nous à ce moment procéder à un gel des actions en question pour éviter que la plus-value ne s’accumule sur les actions du père?

Avant de procéder à une telle transaction, il est impératif d’analyser judicieusement la règle générale anti-évitement ainsi que la règle spécifique du paragraphe 44.1(12)9. Pour que s’applique cette dernière, trois conditions doivent être réunies. En résumé, cette règle répute nul le report lorsqu’il est raisonnable de conclure que l’une des principales raisons de la série d’opérations est de permettre au particulier de bénéficier du report10.

Selon l’article 44.1 de la LIR, le capital versé (CV) des actions de remplacement n’est pas réduit. Par contre, le particulier n’a aucun avantage à posséder un CV très élevé dans une telle situation, puisque le PBR de ses actions de remplacement est très bas. En effet, advenant le cas d’un rachat de ces dernières, le paragraphe 84(3) de la LIR s’appliquera et aura comme conséquence de déclencher un gain en capital immédiat. Procéder par une réduction du CV aurait des conséquences semblables. En effet, le paragraphe 84(4) de la LIR entraîne automatiquement une réduction proportionnelle du PBR des actions de remplacement11. Dans notre exemple, le PBR étant de 37,50 $, une réduction du CV supérieur à ce montant entraînerait un PBR négatif, ce qui aurait comme résultat la réalisation d’un gain en capital immédiat12. Peu importe la situation, le particulier devra payer un gain en capital sur le montant qu’il a reporté en vertu de l’article 44.1 de la LIR.

En terminant, nous pouvons constater que le plus grand défi pour les praticiens sera de respecter les règles strictes énoncées au paragraphe 44.1(1) de la LIR, lors de la qualification des actions dont on dispose. Cette mesure n’est certainement pas applicable à tous les investisseurs qui désirent vendre les actions de leurs entreprises pour réinvestir le produit de la vente dans une autre société. Comme nous l’avons vu tout au long de ce texte, il y a une multitude de conditions à respecter, ce qui a pour effet de rendre difficile l’admissibilité d’un particulier au report des gains en capital13. Bien qu’elle semble peu utilisée dans le monde fiscal en ce moment, cette disposition a des attributs qui peuvent être intéressants lors de la mise en place d’une planification fiscale ayant comme objectif de différer l’impôt14.

Me Odile St-Hilaire, notaire et fiscaliste, Groupe Conscia. Michel Lessard, fiscaliste, assureur vie agréé et Pl. Fin., Groupe Conscia.

Les auteurs remercient Monsieur Hugo Sirois Robert, fiscaliste, pour le soutien apporté à la rédaction de cette chronique.

Cet article est tiré de l’édition de mai du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

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1. L’article 44.1 de la LIR s’applique aux gains en capital réalisés après le 17 octobre 2000. 2. Une action ordinaire est une action visée par le Règlement 6204 de la LIR. En résumé, il s’agit d’une action participante. 3. N’est pas une SAEPE une société de professionnels, une société dont l’entreprise principale consiste à louer ou à vendre des immeubles et une société dont plus de 50 % de la JVM des biens est attribuable à des biens immeubles ou réels. 4. Inclut aussi les sociétés liées à celle-ci. 5. Stéphane Grégoire, « Option de différer l’imposition du gain en capital : article 44.1 LIR », Congrès 2001, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2002, p. 24 : 1-28. 6. À noter que c’est le particulier qui doit faire l’acquisition des actions de remplacement et non une société de gestion lui appartenant. 7. Le plafond de deux millions de dollars applicable au moment de l’investissement initial admissible au report de même qu’au montant où il peut être réinvesti dans des actions de SAEPE est éliminé par les modifications législatives du 18 février 2003. 8. L’impôt minimum de remplacement n’est pas applicable sur la partie du gain en capital reporté, mais pourrait être applicable à la DGC. 9. ARC, Interprétation technique 2006-0194571I7, « Section 44.1 » (19 juillet 2007) (Taxnet.pro, ARC views). 10. Luc Lacombe, « La relève familiale – volet pragmatique et protection du patrimoine », Congrès 2008, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2008. 11. En vertu du sous-alinéa 53(2)a)(ii) de la LIR. 12. En vertu du paragraphe 40(3) de la LIR. 13. Supra note 5. 14. À noter que le présent texte ne traite pas volontairement d’un « arrangement admissible de mise en commun » ainsi que des règles spéciales des paragraphes 44.1(3) à 44.1(8) de la LIR.