L’assurance vie entière, une stratégie d’optimisation fiscale

Par La rédaction | 23 juillet 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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À compter du 1er janvier prochain, la mesure fiscale annoncée par la réforme fédérale concernant le revenu passif s’appliquera aux années d’imposition des sociétés débutant après 2018. Conseiller se penche sur l’assurance vie entière comme stratégie d’optimisation fiscale.

Entrevue avec Mathieu Huot, fiscaliste, planificateur financier et gestionnaire de portefeuille agréé pour le Groupe Investors.

Conseiller : Quel est l’intérêt de l’assurance vie entière en tant que stratégie d’optimisation fiscale? Mathieu Huot : En gros, l’accumulation de l’épargne à l’intérieur d’une police d’assurance vie permet aux clients de profiter d’un rendement à l’abri de l’impôt selon certaines limites. L’assurance qu’ils auront souscrite dans le cadre d’une compagnie fera en sorte que les rendements générés ne seront pas imposables et permettront d’éviter potentiellement l’effet des nouvelles règles, qui prévoient une augmentation du taux d’imposition sur les revenus actifs lorsque les revenus passifs excèdent 50 000 $. Avec les nouvelles règles du jeu, qui entreront prochainement en vigueur, ce niveau de rendement obligera les conseillers en services financiers et les planificateurs financiers à se creuser davantage la tête pour déterminer de quelle façon faire croître l’épargne d’un client sans qu’il soit pénalisé une fois franchi le cap de 50 000 dollars.

En fait, l’intérêt premier de ce dispositif est qu’il permettra potentiellement d’éviter les nouvelles règles gouvernementales et de faire en sorte que les rendements générés par l’argent investi ne viennent pas pénaliser l’imposition sur les revenus actifs. Dans ces conditions, il est pertinent d’évaluer dès aujourd’hui la possibilité de souscrire une police d’assurance vie permanente (vie entière ou universelle). Mais il y a aussi d’autres avantages. Par exemple, comme il s’agit d’une police d’assurance, il y a bien sûr un capital décès.

C : Les rendements générés dans le cadre d’une police d’assurance ne seront donc pas imposables? M. H. : L’intérêt de ce dispositif est que les rendements générés à l’intérieur d’une police d’assurance ne seront en effet pas imposables dans une certaine limite. Donc il offrira une solution intéressante pour le client, puisqu’il permettra de faire croître son épargne dans le cadre d’une police plutôt que d’une manière conventionnelle. Dans ce dernier cas, cela l’aurait obligé à payer de l’impôt sur les rendements. Autrement dit, grâce à sa police d’assurance, les rendements annuels qu’il obtiendra ne seront pas imposables, et cela pourrait permettre d’éviter l’application des nouvelles règles.

Concrètement, les rendements obtenus d’une façon traditionnelle, c’est-à-dire à l’extérieur d’une police d’assurance, sont imposés à hauteur de 50 % sur les revenus pleinement imposables, comme les revenus d’intérêt ou de location. Et dans le cas des gains en capital, c’est deux fois moins, ce qui signifie que c’est seule la moitié du gain est imposable à ce taux de 50 %. En revanche, les rendements obtenus à l’intérieur d’une police ne sont soumis à aucun impôt. Résultat : un client ayant investi dans ce cadre n’aura rien à payer au fisc à la fin de l’année puisque ses gains seront libres d’impôt.

C : Quels contribuables pourront profiter de ce dispositif? M. H : Les assurances vie permanente ou vie universelle s’appliquent à tous, mais dans le cas qui nous concerne, elles deviennent plus intéressantes pour les personnes morales ayant une bonne capacité d’épargne à l’intérieur de leur société. Certaines d’entre elles n’épargnent pas dans leur société et elles se sont souvent dotées d’une personnalité juridique pour d’autres raisons, que ce soit pour protéger leur actif ou mieux vendre les actions de leur société une fois à la retraite en profitant d’avantages fiscaux. Dans le passé, certains le faisaient aussi pour le fractionnement de revenu, mais aujourd’hui les possibilités dans ce domaine sont plus limitées. En définitive, beaucoup de gens ont le statut de personne morale sans qu’ils accumulent nécessairement des sommes importantes au sein de leur compagnie.

Il faut souligner que le gouvernement a laissé aux contribuables qui pourraient être concernés une certaine marge de manœuvre en stipulant que le premier 50 000 dollars de revenu passif n’affectait aucunement l’imposition des revenus actifs. Dans son dernier budget, le ministre des Finances donnait d’ailleurs l’exemple d’une personne qui aurait accumulé un million de dollars et, à 5 % d’intérêt, donc avec un rendement de 50 000 dollars, elle n’était pas touchée par le dispositif fédéral. Il faut aussi noter que le fait de pouvoir accumuler un million et plus ne concerne qu’une petite partie des Canadiens, et il n’y a qu’eux qui seront touchés par les nouvelles règles. Au bout du compte, seuls ceux qui ont une bonne capacité d’épargne et peuvent accumuler des montants importants dans le cadre de leur compagnie représenteront une clientèle intéressante pour ce type de produit.

C : Concrètement, qui est concerné? M. H. : Ce dispositif concernera les gens capables d’accumuler de l’argent à un certain rythme, qu’il est possible de déterminer en effectuant une planification financière à long terme. Ça peut notamment intéresser un jeune professionnel qui vient d’obtenir son diplôme, s’il est médecin spécialiste et gagne déjà 200 000, voire 500 000 dollars par an, par exemple. Dans ce cas, il pourrait être opportun pour lui d’envisager d’utiliser un tel produit, surtout si sa capacité d’épargne est élevée. Encore une fois, c’est donc souvent en effectuant la planification financière d’un client qu’on arrive à déterminer s’il est admissible à ce produit, parce que la planification permettra d’évaluer la progression d’épargne et de déterminer s’il sera affecté par ces règles.

De façon générale, une personne qui aurait déjà amassé plus d’un million dans sa compagnie pourrait éventuellement être affectée par les nouvelles règles selon sa répartition d’actif actuelle. Mais on peut aussi imaginer le cas d’une personne qui disposerait seulement d’un demi-million, mais aurait réalisé de très bons rendements de 10 % sur une année; dans ce cas, elle aussi pourrait être concernée parce que ses 500 000 dollars auraient généré 50 000 dollars d’intérêts. En résumé, tout cela fait que plusieurs personnes, au Québec, sont potentiellement admissibles à ce produit en fonction des rendements des marchés. Cela dit, il est vrai que, globalement, celui-ci demeurera réservé à des gens bien nantis. C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement a fixé ce seuil de 50 000 dollars : il voulait ainsi toucher les grands accumulateurs, et notamment certains professionnels qui ont une forte capacité d’épargne et profitent ainsi de la société uniquement pour l’accumulation d’épargne.

C : En quoi ce mécanisme est-il intéressant pour préparer la retraite? M. H. : Dans ce cas, il constitue en effet un choix d’investissement intéressant. Pourquoi payer une prime d’assurance chaque année plutôt qu’investir de façon conventionnelle? La réponse est qu’il s’agit d’une forme d’épargne avantageuse pour la retraite. La personne fait un choix d’investir son argent différemment en le plaçant dans une police plutôt qu’en l’investissant dans des fonds individuels ou dans des actions, par exemple. Mais à la fin, dans les deux cas, ce sera quand même pour la retraite. Pour un objectif de retraite, la somme à investir à l’intérieur de la police peut être déterminée selon une portion de la proportion de titres à revenu fixe du portefeuille d’épargne annuelle.

Donc, l’intérêt du mécanisme d’assurance vie entière ou universelle, c’est qu’une fois que l’argent aura été accumulé à l’intérieur de la police, le client aura la possibilité d’aller le récupérer une fois sa retraite arrivée. Ce dispositif qui permet d’investir à l’intérieur d’une police d’assurance permet aussi de ne payer de l’impôt que lorsqu’on sort l’argent de la police. Concrètement, le souscripteur de la police empruntera sur la valeur de rachat. Il ira voir une institution financière qui lui accordera un prêt en prenant en garantie une partie de la valeur de rachat de sa police et, à ce moment-là, ce prêt ne sera pas imposable. Finalement, au décès du souscripteur, son assurance vie, qui n’est pas non plus imposable, viendra rembourser le prêt. Il faut néanmoins noter que, dans ce scénario, le prêt a été effectué dans le cadre de la société. Lorsqu’il s’agit d’un prêt personnel, il faudra tenir compte d’un avantage imposable.

C : Et dans le cas d’une succession? M. H. : Dans le cas d’une succession, ce système est encore plus intéressant. Notamment dans un contexte où la planification financière évalue que, au décès du souscripteur, il restera encore beaucoup d’argent dans sa compagnie, de l’argent que jamais il n’utilisera de son vivant. Alors plutôt que de laisser cet argent-là placé de façon conventionnelle et ensuite, au décès, fermer la compagnie et avoir un impôt à payer sur la succession, l’idée est de prendre ces surplus d’épargne qui ne seront jamais décaissés et de les investir dans une police d’assurance. Dans cette hypothèse, l’avantage est que, à la mort du souscripteur, cet argent deviendra une prestation de décès non imposable. Cette prestation pourra être versée aux héritiers en passant par le compte de dividende en capital (CDC) selon le coût de base rajusté de la police, sans qu’il y ait de l’impôt à payer. Sans cela, les sommes auraient dû être sorties de la société et être imposables à la succession sous forme de dividende ou de gain en capital.

C : Que diriez-vous à un client si vous deviez lui résumer les avantages d’une telle formule? M. H. : Je lui expliquerais qu’il s’agit d’un concept qui permet une croissance d’investissement à l’abri de l’impôt, mais que l’assurance vie entière peut aussi figurer dans des portefeuilles souvent assez prudents, puisque rien n’oblige à mettre tout son argent ou son épargne dans la police. Prenons le cas d’une personne qui épargnerait 50 000 dollars par an dans sa compagnie et dont le profil d’investisseur comporterait 70 % d’actions et 30 % de revenus fixes : sur les 50 000 dollars épargnés, ces 30 % de revenus fixes représenteraient environ 15 000 dollars, et plutôt que de les investir dans des obligations ou des fonds communs à revenus fixes, la personne pourrait choisir d’investir une partie de ces 15 000 dollars dans une police d’assurance en lien avec la partie en revenus fixes de son portefeuille. Dans cette hypothèse, les rendements deviendraient beaucoup plus intéressants que si elle avait placé son argent dans des outils conventionnels.

Pour inciter un client à choisir ce dispositif, je lui expliquerais aussi qu’il s’agit d’une stratégie financière et fiscale particulièrement intéressante pour répondre aux nouvelles règles d’imposition que le gouvernement fédéral a instaurées en vue de limiter l’accumulation de l’épargne. Mais en même temps, cette stratégie a ses limites et peut fort bien faire en sorte que plusieurs professionnels seront tout de même affectés par les nouvelles règles concernant les revenus passifs. Il s’agit toutefois d’une forme d’investissement sur le long terme, en lien avec la répartition d’une partie de son portefeuille. Sauf que, dans ce cas, on aborde la question davantage avec un langage financier qu’avec le langage habituel de l’assurance.

La rédaction