Le budget fédéral suscite des réactions mitigées

Par La rédaction | 20 mars 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Micro tenu par un homme d'affaires.
Photo : twinsterphoto / 123RF

Dévoilé mardi, le budget du ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, a suscité des réactions contrastées parmi les intervenants du secteur économique, en particulier dans les milieux financiers. En voici quelques-unes.

Soulignant qu’« investir dans la classe moyenne implique le développement des entreprises, la création de bons emplois et la stimulation de la croissance économique », l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) juge que le budget « n’est pas à la hauteur de ces attentes ».

Dans un communiqué, l’ACCVM explique en effet que « les mesures prévues ne seront pas suffisantes pour répondre au besoin de maintenir une forte croissance et de créer des emplois au Canada », deux actions vitales « pour une économie de fin de cycle en plein ralentissement ».

« Une forte mobilisation des capitaux pour développer les entreprises et créer des emplois est indispensable à la croissance économique. Le budget ne fera pas grand-chose pour redresser la tendance à la baisse des investissements des entreprises au pays et pour endiguer l’exode des capitaux d’investissement. Les investisseurs et les sociétés seront déçus lorsqu’ils se rendront compte qu’il ne prévoit aucune solution au manque de compétitivité (…) des taux d’imposition des sociétés et des particuliers », déplore Ian Russell, président et chef de la direction de l’Association.

« MUET SUR L’EXAMEN DU SYSTÈME FISCAL »

L’ACCVM estime cependant que le budget présenté par le ministre Morneau contient « plusieurs mesures positives », comme l’élargissement du régime d’accession à la propriété (RAP) en instaurant un incitatif à l’achat d’une première habitation ou encore l’amélioration de la protection des régimes de retraite des employés en cas de faillites d’entreprises. L’organisme se félicite également « des nouveaux efforts déployés par le gouvernement pour lutter contre le blanchiment d’argent, notamment la plus grande collaboration entre les divers organismes de mise en application de la loi et l’augmentation du financement du CANAFE » (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada).

Comptables professionnels agréés du Canada estime pour sa part que si le budget propose « un éventail de mesures pour aider les Canadiens », il « reste muet sur l’examen du système fiscal ». Ottawa cherche notamment « à favoriser l’accès à la propriété, à soutenir les aînés et à aider les Canadiens à renforcer leurs compétences professionnelles ». Mais dans le même temps, Bill Morneau n’a pas tenu compte du fait que « la politique fiscale constitue un levier essentiel à l’atteinte des objectifs socio-économiques clés du pays ». Aussi CPA Canada se dit-elle « déçue de constater que le gouvernement n’a pas annoncé d’examen exhaustif du système fiscal canadien, exercice qui n’a pas été tenu depuis les années 1960 ».

« Il s’agit là d’une occasion manquée, déplore Joy Thomas, présidente et cheffe de la direction de l’organisation. Pourtant, tout milite en faveur d’un examen approfondi du système fiscal canadien : cette évaluation tant souhaitée ouvrirait la voie à l’instauration d’un système amélioré qui favoriserait la croissance socio-économique du pays. Nous espérons que, lors de la prochaine campagne électorale fédérale, le parti au pouvoir et les autres partis politiques manifesteront, dans leurs plateformes respectives, leur soutien à un examen complet du système fiscal. » Pour CPA Canada, certaines mesures fiscales proposées sont néanmoins intéressantes, notamment l’augmentation du plafond de retrait du RAP, qui passe de 25 000 à 35 000 dollars, ou encore la limitation du recours au régime d’imposition actuel des options d’achat d’actions des employés des entreprises en démarrage ou en croissance. Enfin, CPA Canada applaudit à l’arrivée de fonds supplémentaires pour lutter contre l’évasion fiscale et juge positivement l’instauration de nouvelles mesures destinées à combattre le recyclage des produits de la criminalité.

L’ÉPARGNE-RETRAITE POUR SOUSCRIRE UNE RENTE

De son côté, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes se félicite du plan annoncé par Ottawa pour mettre en place « des mesures visant à rendre plus accessibles et plus abordables pour tous les Canadiens les médicaments sur ordonnance », notamment avec la création de l’Agence canadienne des médicaments, « dont le mandat sera de tirer parti du plein pouvoir d’achat du marché canadien pour faire baisser le prix des médicaments ». « Notre industrie a exhorté le gouvernement fédéral à adopter une optique raisonnable en matière d’assurance médicaments, permettant aux assureurs publics et privés de travailler ensemble et de répondre aux principales attentes des consommateurs, à savoir un accès étendu à tous ceux qui en ont besoin et une hausse sous contrôle du coût des médicaments », commente Stephen Frank, président et chef de la direction de l’ACCAP.

Dans un second communiqué, l’Association affirme par ailleurs soutenir la proposition du budget d’améliorer les options de retraite des Canadiens. En effet, explique-t-elle, ceux-ci pourront désormais « utiliser une partie de leur épargne-retraite pour souscrire des rentes garantissant un revenu à vie, dont le service commence au plus tard à 85 ans ». « Ce changement dans la façon de traiter les rentes est une mesure que notre industrie et d’autres parties prenantes demandent au gouvernement depuis un certain temps », note Stephen Frank, qui rappelle que l’industrie des assurances vie et maladie appuie aussi la proposition d’autoriser ceux qui participent à des régimes de retraite à cotisations déterminées à mettre en commun le risque de longévité et le risque de placement. « Parvenir à un équilibre entre la prise en charge de ces risques individuellement et leur transfert intégral à des contrats d’assurances permet en outre de répondre aux besoins des consommateurs. Rendre ces options disponibles à un plus grand nombre constitue donc une politique d’intérêt public judicieuse », conclut le dirigeant.

« Les initiatives présentes dans le budget, comme l’allocation de soutien à la formation, les investissements dans Internet haute vitesse et l’appui aux entreprises innovantes, seront utiles aux entreprises de toutes les régions du Québec », se réjouit lui aussi Stéphane Forget. Toutefois, le président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec croit qu’il aurait fallu débloquer « des moyens plus importants » et procéder à « un déploiement plus rapide » pour assurer réellement la compétitivité des entreprises et « la capacité des employés de répondre aux exigences du marché du travail actuel et futur ». Rappelant qu’elle réclamait des mesures pour « aider les entreprises à faire face à la rareté de la main-d’œuvre », la FCCQ dit « saluer » la bonification de l’exemption des gains du Supplément de revenu garanti (SRG), un changement « qui incitera les travailleurs expérimentés à faible revenu, les plus susceptibles à avoir besoin de travailler, à rester sur le marché du travail ».

LES AÎNÉS SE DISENT EN COLÈRE

Même son de cloche au Conseil du patronat du Québec, qui juge que si les mesures annoncées mardi par le ministre Morneau répondent à certains besoins, notamment en matière d’accès à une première propriété, elles « n’aideront pas les entreprises à améliorer leur compétitivité ». « En cette dernière année de son mandat, le gouvernement a choisi de déposer un budget qui contient des mesures pouvant être appréciées par certaines clientèles, mais qui engendre plusieurs nouvelles dépenses. Par ailleurs, nous craignons que le manque de mesures concrètes permettant de favoriser un climat d’affaires compétitif et la promesse brisée du retour à l’équilibre budgétaire n’empêchent de poser les bases d’une économie solide pouvant résister aux chocs », commente Norma Kozhaya, économiste en chef et vice-présidente à la recherche du CPQ.

Les critiques les plus virulentes émanent cependant du Réseau FADOQ, qui regroupe plus de 500 000 membres, ce qui en fait le plus important organisme de l’âge d’or au pays. Déplorant le fait que le nouveau budget ne prévoit « pas d’argent pour les aînés les plus vulnérables », son président, Maurice Dupont, rappelle que le Réseau avait pourtant insisté auprès du ministère des Finances sur « l’importance de rehausser le SRG d’au moins 50 dollars par mois par aîné ». « Alors qu’il a fallu tant d’années avant que le Supplément soit plus accessible avec l’inscription automatique, voilà que le plus récent budget du ministre Bill Morneau néglige de préserver de la pauvreté de nombreux Canadiens », dénonce l’organisation.

« Un aîné ayant seulement la pension de la Sécurité de la vieillesse et le SRG continuera de croupir sous le seuil de pauvreté avec un revenu annuel de moins de 18 000 dollars. Le Réseau FADOQ ne comprend pas pourquoi le gouvernement n’a proposé aucune solution pour remédier à la situation dans ce budget. Après s’être battu pendant près de six ans pour obtenir l’inscription automatique au SRG, combien de temps devrons-nous encore nous battre pour que les prestataires reçoivent le minimum décent? », questionne Maurice Dupont.

En revanche, le patron du Réseau FADOQ se réjouit du fait qu’Ottawa ait suivi sa recommandation de rehausser l’exemption de gains associée au SRG afin de la faire passer de 3 500 à 5 000 dollars, tout en instaurant une exemption partielle de 50 % qui s’appliquera jusqu’à 15 000 dollars en revenu d’emploi et de travail indépendant.

« CE GOUVERNEMENT A MANQUÉ D’AMBITION »

Enfin, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques soutient que « les propositions contenues dans le budget du gouvernement soufflent le froid et le chaud », mais qu’« aucune ne permet d’appuyer l’ambition affichée à son arrivée au pouvoir ». « Les dépenses de programmes devraient passer de 14,7 % du produit intérieur brut en 2019-2020 à moins de 14 % en 2023-2024, soit un niveau qui s’approche tranquillement du ratio de dépenses atteint par le gouvernement canadien à la suite des coupes sévères du ministre des Finances Paul Martin au milieu des années 1990. C’est très bas », observe Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS. Dans le même temps, fait-il remarquer, le ratio de la dette au PIB du Canada demeure le plus faible des pays du G7 et il continuera à baisser durant les cinq prochaines années, tandis que le service de la dette (1 %) est à son plus bas depuis la période 1965-1966.

En matière d’accès à la propriété, l’IRIS juge que le gouvernement adopte également « une position contradictoire » : « D’un côté, en mettant en place un incitatif à l’achat d’une première propriété, il encourage le marché immobilier, qui commençait tout juste à se remettre de la surchauffe des dernières années. De l’autre, il doit veiller à la stabilité de l’économie du pays, fragilisée par le ratio d’endettement des ménages qui avoisinait les 178 % des revenus à la fin de 2018. » Conclusion de l’Institut en forme d’avertissement : « La croissance économique se fait sur le dos de la sécurité financière des ménages canadiens, qui pourraient être lourdement affectés advenant un ralentissement économique. »

La rédaction