Le CDPSF accueille le projet de loi 141 « positivement »

Par Christine Bouthillier | 18 octobre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Malgré les craintes suscitées par le projet de loi 141 dans l’industrie, le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF) voit plutôt d’un bon œil les changements proposés la semaine dernière par le ministre des Finances Carlos Leitao.

L’absorption de la Chambre de la sécurité financière (CSF) par l’Autorité des marchés financiers (AMF) soulève notamment des inquiétudes, plusieurs conseillers ayant peur d’y perdre leur statut de professionnel.

Le président du CDPSF, Mario Grégoire, estime de son côté que la profession se trouve au contraire renforcée par la future Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières. Conseiller s’est entretenu avec lui.

Conseiller : Quelle est votre impression générale du projet de loi 141?

Mario Grégoire : Nous voyons d’un bon œil l’intégration de l’intelligence réglementaire en train de [s’élaborer]. Nous accueillons positivement le dépôt du projet de loi, notamment au chapitre de la protection du consommateur.

Par exemple, la couverture du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) sera élargie au bénéfice des consommateurs qui ont été victimes de manœuvres dolosives, […] tous produits financiers confondus, même si le permis du représentant ou de l’entreprise ne correspond pas au produit en cause.

Cette mesure vient corriger les lacunes soulevées par la vérificatrice générale du Québec. Le CDPSF considère que c’est une bonne chose. Le public doit faire confiance aux professionnels et au secteur financier.

C : Craignez-vous que les frais facturés aux conseillers pour le FISF augmentent à la suite de ce changement?

MG : Je n’entrevois pas d’augmentation. Le financement passe déjà principalement par les représentants et entreprises qui agissent dans le cadre du permis délivré par l’Autorité, donc nous ne pensons pas et ne souhaitons surtout pas voir de frais additionnels pour le fonds.

C : Certains auraient aimé que les conseillers aient voix au chapitre en ce qui a trait à la supervision du FISF, mais le projet de loi n’aborde pas la question. Qu’en pensez-vous?

MG : Nous allons assurément prendre position [lors des consultations sur le projet de loi] pour que les professionnels y soient représentés.

C : Vous dites voir d’un bon œil « l’intégration de l’intelligence réglementaire ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement?

MG : Nous avons une expertise unique au Québec, développée autant par les organismes d’autoréglementation que le volet réglementaire. Pour moi, unir les forces de ces modèles d’affaires pour en faire un guichet unique n’est pas une désintégration, mais plutôt un rehaussement intelligent du modèle réglementaire pour la protection du consommateur.

On ne perd pas d’expertise, au contraire, on va être assis tous à la même table. Tous les intervenants des Chambres demeurent en place et continuent à apporter leur valeur ajoutée.

C : Le projet de loi semble toutefois retirer le système d’évaluation par les pairs à la CSF et donner ces pouvoirs au Tribunal administratif des services financiers…

MG : Deux personnes [de l’industrie] accompagneront le tribunal. En ce qui me concerne, le modèle d’affaires demeure. Les pairs continuent à intervenir.

[NDLR : Selon le projet de loi, le président du tribunal administratif nomme deux assesseurs issus de l’industrie chargés de le conseiller sur toute question de nature professionnelle. Ils ne sont toutefois pas membres du personnel du tribunal. Le quorum d’un avocat et deux représentants qui prévalait à la CSF ne semble pas non plus obligatoire, selon une juriste consultée par Conseiller.]

C : Certains conseillers ont peur d’y perdre leur statut de professionnels. En 2015, vous disiez vous-même craindre une « déprofessionnalisation de l’industrie des services financiers » en de telles circonstances. Est-ce toujours le cas aujourd’hui?

MG : Il y a eu beaucoup de zones d’ombre. Nous avions très hâte que le projet de loi soit déposé, car différentes interprétations circulaient à l’effet que nous allions perdre le comité de discipline, la déontologie, etc.

Nous saluons le dépôt du projet de loi, qui vient confirmer que le modèle d’affaires des chambres demeure. Il propose un système innovant, qui prend toute l’expertise réglementaire développée au Québec : tout le monde s’assoit ensemble. Le CDPSF est rassuré, car le modèle [d’autoréglementation] dont nous avons fait notre fleuron est maintenu et intégré au système proposé par le projet de loi.

[NDLR : À cet effet, le projet de loi précise que « les employés des chambres qui deviennent ceux de l’Autorité occupent le poste et exercent les fonctions qui leur sont assignés par l’Autorité ». De plus, le Code de déontologie de la CSF « continue de s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, jusqu’à ce qu’il soit abrogé ou remplacé par un règlement pris par l’Autorité ».]

C : Vous dites que ce guichet unique sera bénéfique à la protection des consommateurs. De quelle façon?

MG : Il y aura un numéro de téléphone 1-800, qui aidera sûrement aux bonnes communications. Le consommateur pourra être sûr d’appeler au bon endroit. Tous les intervenants réglementaires pourront jouer leur rôle tout en unissant leurs forces.

C : Certains intervenants ont milité pour ce régulateur unifié afin de réduire les coûts réglementaires. Est-ce également l’opinion du CDPSF?

MG : Au CDPSF, une partie de notre mission est justement de faire baisser la facture réglementaire. Nous souhaitons donc effectivement qu’une unification se reflète sur cette facture.

C : Le projet de loi prévoit également que l’AMF chapeaute l’offre de formation. Comment entrevoyez-vous cette perspective?

MG : Ce que j’en comprends, c’est que la CSF va continuer à superviser la formation, mais sous l’AMF. Ce personnel pourrait même aller chercher des pouvoirs élargis. Il a développé une expertise et l’AMF va vouloir travailler avec ces forces.

C : Au chapitre de l’assurance, est-ce que la possibilité d’effectuer de la vente en ligne sans l’intervention d’un conseiller posera des problèmes à l’industrie, selon vous?

MG : Il y a déjà de la vente sur Internet présentement, et elle n’est pas encadrée. Ce qui me rassure, c’est que le projet de loi propose de l’encadrer.

C : Le projet de loi reste flou sur cet encadrement, auriez-vous des demandes spécifiques sur ce qu’il devrait inclure?

MG : Ce qui est bon pour le professionnel est aussi bon pour le consommateur. On nous demande d’effectuer une analyse de besoins financiers (ABF), de bien connaître nos clients avant de leur proposer un produit. Le même processus doit être appliqué sur Internet. Toutes ces années où l’on nous a demandé de faire des ABF et imposé des amendes s’il y avait des lacunes… Pouvoir acheter des produits d’assurance en ligne sans encadrement similaire ne tiendrait pas la route.

C : Craignez-vous que cela ouvre la porte à la vente de produits d’investissement en ligne?

MG : Cela existe déjà du côté du courtage à escompte, mais la part de marché est très minime. La valeur du rôle-conseil va toujours demeurer. Dans les prochaines semaines, vous verrez que notre plan d’affaires mettra de l’avant l’importance de faire affaire directement avec un conseiller. C’est l’objectif du CDPSF et c’est sa mission.

C : Plusieurs intervenants militaient pour la mise en place d’un ordre professionnel dans l’industrie. Ça n’a pas été pris en compte dans le projet de loi. Auriez-vous aimé que cet élément y soit?

MG : Le CDPSF a toujours dit que l’AMF et la CSF, de par leurs missions, ressemblaient à un ordre professionnel. Pour moi, avec l’intégration des chambres, l’AMF devient comme un ordre professionnel.

C : Pourtant, l’AMF est un régulateur, davantage un gendarme des marchés financiers qu’un ordre professionnel, non?

MG : Il faudra laisser le temps faire son œuvre et voir comment le tout va s’adopter. Mais le fait que la CSF, organisme d’autoréglementation, soit intégrée au régulateur, en fait une structure semblable à un ordre professionnel. Le modèle unique, avec le tribunal incluant des pairs, la déontologie et la formation, préserve cette similarité.

C : Êtes-vous surpris qu’il n’y ait pas eu davantage d’harmonisation de la réglementation entre le secteur des valeurs mobilières et celui de l’assurance, par exemple sur des produits semblables comme les fonds communs et les fonds distincts?

MG : Il reste des consultations à avoir à ce chapitre. Nous devions avoir une révision de nos lois chaque cinq ans, ça a finalement pris des années. Plusieurs enjeux demeurent en suspens actuellement : la phase 3 du Modèle de relation client-conseiller (MRCC), par exemple. Il faudra aussi que les titres professionnels deviennent plus limpides, on s’attendait à un peu plus du projet de loi de ce côté-là.

C : Au chapitre des titres professionnels, auriez-vous aimé qu’une distinction y soit faite entre le conseiller automne et le conseiller rattaché à une institution financière?

MG : On s’attendait à une « appellation contrôlée » professionnelle. Nous allons donc continuer nos représentations en ce sens. Le consommateur doit bien distinguer les conseillers rattachés des indépendants.

Cette entrevue a été éditée et condensée afin d’assurer sa clarté.

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Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.