Le MÉDAC monte au front contre les paradis fiscaux

Par La rédaction | 4 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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À l’occasion des assemblées annuelles des actionnaires de quatre banques, le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires va soumettre à leur vote une proposition de retrait de ces institutions financières des paradis fiscaux, annonce le MÉDAC.

Les assemblées qui sont visées se tiennent aujourd’hui, mardi, dans le cas de la Banque Scotia et de la Banque de Montréal, tandis que celles de la RBC et de la CIBC auront lieu jeudi, indique le Mouvement dans un communiqué.

Ce dernier précise que sa proposition figure dans les circulaires de sollicitation de procurations des directions de chacun de ces quatre groupes. Et il rappelle que tous les actionnaires peuvent désigner par Internet un fondé de pouvoir, c’est-à-dire un représentant responsable d’exercer le droit de vote qui est rattaché à leurs actions. Pour cela, ils doivent utiliser leur numéro de contrôle figurant dans le formulaire de procuration (les dates limites pour le faire varient de deux à trois jours avant l’assemblée).

6 G$ DE PERTES ANNUELLES POUR LE CANADA, DONT 800 M$ POUR LE QUÉBEC

Pour introduire son texte et tenter de sensibiliser les actionnaires des quatre banques au problème, le MÉDAC commence par rappeler que chacune d’elle fait actuellement affaire avec des paradis fiscaux ou « territoires à faibles taux d’imposition », comme l’ont récemment démontré les Panama Papers et comme le confirment d’ailleurs en partie leurs rapports annuels respectifs ou leurs déclarations devant les membres de la Commission québécoise des finances publiques l’an dernier.

Ainsi, la Scotia a des succursales dans les îles Vierges britanniques, tandis que BMO en possède au Luxembourg et à la Barbade et que la RBC est également établie dans cette dernière. De son côté, la CIBC est elle aussi active à la Barbade ainsi que dans les Bermudes.

Après avoir donné cette information, le Mouvement souligne que si l’évitement fiscal n’est pas illégal, il est néanmoins « immoral ». Et pour appuyer sa démonstration, il rappelle ces quelques chiffres destinés à « bien illustrer l’envergure de l’évitement fiscal au Canada » :

√ les particuliers canadiens ont accumulé 300 milliards de dollars dans les paradis fiscaux , selon une étude publiée en 2014 par l’économiste Gabriel Zucman;

√ ce montant représente au moins six milliards de pertes fiscales chaque année pour le Canada, dont quelque 800 millions pour le Québec.

« LES ACTIONNAIRES SERAIENT PRÊTS À SACRIFIER CE REVENU ADDITIONNEL »

« Nous sommes bien conscients que la présence de [votre] banque dans les paradis fiscaux profite à la banque, mais également à ses actionnaires : en réduisant les impôts à payer, la banque produit plus de profits permettant ainsi d’offrir de bons dividendes à ses actionnaires », écrit ensuite le MÉDAC.

Avant de poursuivre : « Peut-on quantifier la somme additionnelle versée sous forme de dividendes due à la présence dans les paradis fiscaux et à l’évitement fiscal? Sûrement qu’un grand nombre d’actionnaires seraient prêts à sacrifier ce revenu additionnel pour vivre conformément à leurs valeurs et investir dans une institution financière qui se fait un devoir de payer sa juste part d’impôt. » Toutes ces questions, y compris celle du risque encouru, « devraient être formellement abordées par la banque dans sa documentation, notamment son rapport RSE », conclut le Mouvement, qui propose donc que « le conseil d’administration adopte une politique de retrait de ces paradis fiscaux ou de ces “territoires à faibles taux d’imposition” ».

Dans la documentation remise aux actionnaires, BMO annonce que cette proposition du MÉDAC ne sera toutefois pas soumise à leur vote. Pour justifier sa position, la banque argue du fait qu’elle « a mis en place un programme et des mesures de sanction solides afin de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, notamment une politique sur la lutte contre le blanchiment d’argent ainsi qu’un programme de conformité éprouvé (…) qui reflètent de saines pratiques ».

« VALEURS D’INTÉGRITÉ, D’EMPATHIE ET DE RESPONSABILITÉ »

« Les groupes d’exploitation de la Banque doivent connaître les clients avec lesquels ils font affaire, les produits et circuits de distribution qu’ils utilisent et les territoires avec lesquels ils ont des liens, qui constituent des éléments essentiels dans l’évaluation du risque associé à un client et la prise de mesures appropriées à cet égard. En outre, la Banque se conforme pleinement aux lois fiscales canadiennes et étrangères actuellement en vigueur », ajoute BMO, qui affirme « gérer ses activités de manière responsable et en adhérant aux standards de gouvernance les plus élevés ».

« En plus de respecter les exigences prévues par la réglementation, la Banque a des attentes claires en matière de comportement éthique, qui sont énoncées dans son Code de conduite (…) qui repose sur des valeurs d’intégrité, d’empathie, de diversité et de responsabilité », soutient l’institution financière.

De son côté, le conseil d’administration de la RBC répond au MÉDAC que « limiter les activités de la banque aux territoires où les taux d’imposition sont égaux ou
supérieurs à ceux du Canada ne lui offrirait pas une souplesse stratégique
 suffisante » et « compromettrait ses intérêts commerciaux à plus long terme ». La Banque Royale ajoute que « dans les territoires, où les exigences sont limitées en matière de déclaration, (…) les services bancaires légitimes que nous offrons à leurs résidents et à nos clients favorisent un développement économique local bénéfique ». Se disant « convaincue » qu’elle agit « de manière éthiquement responsable », l’institution financière assure qu’elle exerce ses activités « dans le respect des règles en place en matière de lutte contre la fraude et d’évasion fiscale ». Sa conclusion? « Nous ne ferons pas affaire avec un client si nous croyons que celui-ci a l’intention de commettre une évasion fiscale. »

Oxfam dénonce l’attitude des banques européennes

L’ONG britannique Oxfam dénonce les bénéfices réalisés par les 20 plus grandes banques européennes dans des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande, « en décalage flagrant » avec le chiffre d’affaires qu’elles y réalisent, rapporte l’Agence France-Presse.

Dans un rapport publié la semaine dernière conjointement avec le réseau Fair Finance Guide International, l’ONG souligne que ces institutions financières « déclarent 26 % de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, soit 25 milliards d’euros [36 G$] en 2015, mais seulement 12 % de leur chiffre d’affaires et 7 % de leurs employés ».

« CES RÉSULTATS DÉPASSENT L’ENTENDEMENT »

En outre, elles déclarent « globalement 628 millions d’euros [896 M$] de bénéfices dans des paradis fiscaux où elles n’ont pourtant aucun employé ». Cette « utilisation abusive des paradis fiscaux » peut permettre aux banques de « délocaliser artificiellement leurs bénéfices pour réduire leur contribution fiscale, faciliter l’évasion fiscale de leurs clients ou contourner leurs obligations réglementaires », souligne Oxfam.

Ces résultats, « qui dépassent parfois l’entendement, montrent l’étendue du problème et l’impunité totale qui entoure les pratiques des plus grandes banques européennes dans les paradis fiscaux », conclut l’ONG.

La rédaction