Le PL 141 soulève des inquiétudes

Par Pierre-Luc Trudel | 9 novembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Andrey Bortnikov / 123RF

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a beau se faire rassurante, la distribution de produits d’assurance sans représentant sur le web, introduite par le projet de loi 141, soulève interrogations et inquiétudes dans l’industrie.

« Le projet de loi 141 ne vient pas diminuer les exigences réglementaires des représentants et des firmes », a assuré Jean-Christophe Bernier, avocat à l’AMF, lors d’un panel organisé la semaine dernière dans le cadre du Colloque retraite, investissement institutionnel et finances personnelles, à Québec.

Il souligne que l’obligation de convenance, qui consiste à s’assurer que le produit vendu convienne au client, s’applique de la même façon peu importe le mode de distribution. « La vente d’assurance demeurera toujours exclusive aux personnes inscrites et certifiés. La loi permet dorénavant la collecte d’informations sur le client par un tiers, mais c’est encore le représentant qui demeure l’unique responsable de proposer des produits qui conviennent aux clients », insiste M. Bernier, qui affirme que grâce au projet de loi 141, l’AMF est dorénavant « mieux outillée pour suivre les nouvelles tendances de l’industrie. »

Ces arguments ne parviennent pas à convaincre Bertrand Larocque, planificateur financier et trésorier de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).

« La législation est élaborée en fonction des produits financiers et des firmes qui les conçoivent. Tout l’aspect du conseil est laissé de côté, on ne semble pas voir la valeur ajoutée apportée par les conseillers », a-t-il déploré lors du même panel.

La Chambre de la sécurité financière (CSF) soulève également certaines inquiétudes par rapport à l’application de la réglementation pour la vente de produits d’assurance par internet, bien qu’elle dise « saluer le projet de loi 141 ».

« En gros, ce n’est plus une infraction de parler d’assurance si cela ne mène pas à une vente, a précisé Marc Beauchemin, avocat à la Chambre. Le conseil n’est plus exclusif au représentant, mais la vente de produits, oui. De notre point de vue, c’est un changement qui a une portée limitée. »

Il avoue néanmoins qu’une telle règle ne sera pas simple à appliquer dans la réalité. Car si un conseil donné par une personne non inscrite mène directement à une vente de produits, cette fois par un représentant inscrit, il serait considéré comme illégal. Théoriquement, une firme ne pourrait donc pas engager des employés sans inscriptions qui auraient pour mandat de conseiller les clients, puis de les référer à un représentant dûment inscrit lorsque vient le temps de conclure la transaction, c’est-à-dire d’acheter le produit.

« Il y a aura un grand défi déontologique à déterminer quels conseils peuvent être donnés par une personne non inscrite, et quels conseils ne le peuvent pas », avance M. Beauchemin.

DOUBLE ENCADREMENT DROIT DEVANT!

Les modifications réglementaires introduites par le projet de loi 141 ne sont pas les seules à préoccuper Bertrand Larocque. Les projets de réforme des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) portant sur les obligations et dispenses d’inscriptions et les obligations continues des personnes inscrites (Règlement 31-103) risquent également d’alourdir inutilement le travail des conseillers, dit-il.

« Il y a des éléments importants dans ce projet de réforme, mais au Québec ils sont déjà tous couverts par les codes de déontologie de la CSF. En dédoublant la réglementation, on alourdit le travail des conseillers et on rend plus difficile leur travail auprès de la clientèle. C’est un peu comme porter une ceinture avec des bretelles », se désole le planificateur financier.

Jean-Christophe Bernier, de l’AMF, a rappelé que le projet de révision du Règlement 31-103 inclut cinq réformes. Les exigences liées à la connaissance du client seront entre autres rehaussées, tandis que les exigences concernant la connaissance du produit se baseront dorénavant sur les produits comparables.

L’obligation de convenance, elle, ne s’appliquera plus produit par produit, mais plutôt de façon holistique pour chacun des clients. La gestion des conflits d’intérêts devra également se faire au mieux des intérêts du clients, et les obligations de divulgation, si un représentant ne vend que des produits maison par exemple, seront rehaussées.

« Il s’agit davantage d’obligations de moyens que d’obligations de résultats. C’est un projet de réforme qui est très positif, à la fois pour l’industrie et pour les consommateurs », juge M. Bernier.

« C’est un peu paradoxal, car avec le projet de loi 141 on a le sentiment qu’il y a un abaissement de la protection des consommateurs, alors que 31-103 vient alourdir la réglementation pour les représentants. Mais au bout du compte, on sert le même client! », mentionne Bertrand Larocque.

Selon lui, les régulateurs et les législateurs regardent trop les produits et le conseil en silos, sans vraiment voir l’interaction entre les deux.

La Chambre de la sécurité financière s’inquiète elle aussi du double modèle d’encadrement qui risque de voir le jour au Québec si les projets de réforme des ACVM sont adoptés.

« Nous sommes en faveur des obligations introduites par 31-103 et toute mesure qui améliore la protection du public, mais on craint que l’augmentation du fardeau réglementaire ait des effets négatifs sur l’industrie », soutient Marc Beauchemin.

Selon lui, le danger d’une réglementation excessive est la disparition de certains produits actuellement sur le marché. Et le cas échéant, ce sont les petits épargnants qui seraient les plus pénalisés.

Du côté de l’AMF, on ne cache pas que l’un des objectifs de ces projets de réforme est justement de faire un ménage dans les produits financiers offerts aux Canadiens. « L’idée, c’est d’éliminer des produits qui restent sur les tablettes tout simplement parce qu’ils ne conviennent à personne. De notre point de vue, une meilleure connaissance des produits favorisera une meilleure qualité de l’offre de produits offerts », affirme Jean-Christophe Bernier.

Bertrand Larocque est loin d’en être convaincu. « Je n’ai pas l’impression que les produits sur le marché vont s’uniformiser. Je crains plutôt un rétrécissement de l’offre de produits. »

Pierre-Luc Trudel