Le poids de vos mots

Par Yves Bonneau | 6 mai 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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« L’esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu’à en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit l’est de vous parfaitement. » – Jean de La Bruyère (Paris 1645-Versailles 1696)

On vous a souvent dit que la manière dont vous bougiez, dont vous positionniez vos mains, ou votre posture avaient une influence sur la façon dont votre client recevrait l’information que vous tentez de lui transmettre… Mais avant toute chose, avez-vous simplement pensé à l’impact des mots que vous utilisez ?

La plupart du temps, il existe plusieurs façons de dire la même chose. Les services de marketing des manufacturiers nous ont habitués depuis longtemps à une panoplie de descriptions pour une même idée ou un même concept. « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, diversifier ses placements, procéder à la répartition stratégique des actifs… » sont des expressions qui peuvent en théorie se substituer l’une à l’autre parce qu’elles veulent dire la même chose objectivement. Du moins, c’est ce que l’on croit.

L’exemple d’une perche plongée à moitié dans l’eau donné par le philosophe Descartes nous éclaire sur cette question de la perception. Lorsque nous regardons cette tige d’un bout à l’autre, nous avons l’impression qu’elle est brisée alors que ce n’est pas le cas.

La réalité est tout autre, puisqu’elle fait intervenir la subjectivité, le vécu et les sentiments qui conduisent à la perception. La perception produit un jugement immédiat qui amalgame le réel et la représentation qu’une personne se fait de quelque chose ou d’un message. La perception peut donc nous empêcher d’accéder à une connaissance exacte de la réalité.

On a constaté depuis quelques années que la question de la perception est des plus importantes en communication financière.

Il y a une douzaine d’années, la filiale Invesco Consulting, basée à Chicago, a commandité pour la première fois une recherche auprès des consommateurs de produits et services financiers. Avec l’aide de la firme de communication stratégique Maslansky Luntz + Partners, spécialisée dans l’impact du langage sur un public donné, elle a mené des centaines de groupes de discussions avec des consommateurs de tous âges.

Ce qu’ils ont découvert les a renversés. À tel point que chaque année depuis, ils continuent de tenir ces consultations avec les consommateurs et ils ont élargi leur champ d’enquête à différents marchés, incluant le Canada anglais et… français. Depuis quatre ans, Invesco applique ainsi cette démarche au marché canadien pour son enquête intitulée « New Word Order », menée auprès de quelque 800 clients de conseillers. Bien que certaines observations soient les mêmes que celles du marché américain, plusieurs autres sont distinctes.

Comme nous a expliqué le vice-président d’Invesco Consulting, Rob Kochel, en entrevue : « Avec cette étude, une constatation fondamentale revient chaque fois : ce n’est pas ce que vous dites qui compte, mais ce qu’ils entendent. Combien de fois vous est-il arrivé de vous retrouver dans une conversation de sourds où l’un déclare :  »Je n’ai pas dit ça » et l’autre répond : « Je n’ai pas compris ça » ? ».

En clair et selon les conclusions de l’enquête, les conseillers doivent bannir certains mots toxiques de leur vocabulaire avec les clients car tout est dans la perception, encore une fois.

L’étude d’Invesco a fait ressortir de grands principes de communication, nous dit M. Kochel : « Les quatre principes de base que nous avons établis demeurent les mêmes, que ce soit au Japon, aux É.-U. ou au Canada. »

D’abord, ce dont vous vous doutiez, faire ressortir le positif. On ne peut réaliser une transaction avec un client en établissant son argumentation sur la peur ou sur le risque. Par exemple, parmi les répondants, 84 % préfèrent que vous leur disiez que vous travaillez à les aider à maintenir leur niveau de vie à la retraite, plutôt que vous entendre parler de gérer le risque lié à l’inflation, qui attire l’intérêt de 16 % des clients.

En second lieu, il faut être crédible en tout temps. Les explications données doivent être plausibles. Toujours selon M. Kochel, les clients ne croient plus à la liberté financière. Cette notion n’étant plus perçue comme crédible, ils préfèrent de loin celle de sécurité financière, de même que les termes « retraite confortable » plutôt que « retraite de rêve ».

Troisièmement, l’utilisation d’un langage clair est primordiale. En tout temps, évitez le jargon ou les termes techniques. Une stratégie de placement « diversifiée » remporte 75 % des faveurs, alors que si la stratégie est « disciplinée », seulement 14 % de vos clients sont intéressés. Et si ladite stratégie est plutôt « non corrélée au marché », elle intéressera un minuscule pour cent de la clientèle. D’ailleurs, le mot stratégie est à privilégier dans toutes les discussions, alors que solution est perçu négativement. Une « solution », dans l’esprit du client, c’est pour répondre à un problème. Or le client n’avait pas de problème avant de vous rencontrer…

Finalement, on doit personnaliser le message pour son interlocuteur. Les mots « vous » et « votre » sont les clés de la communication, ici. Les groupes de clients testés pour l’étude ont eu des réactions extrêmement positives à un discours comme celui-ci : « Je suis votre guide, je vous aiderai à diversifier votre portefeuille pour maximiser les gains et minimiser les pertes. Vous êtes au centre de cette stratégie à long terme. Je travaille avec vous pour que vous puissiez maintenir votre niveau de vie et vous offrir une retraite confortable. »

Dans la foulée du MRCC 2, qui obligera les conseillers à divulguer leur mode de rémunération et à expliquer les frais inhérents au compte d’un client, il serait bon de vous inspirer de ce que les clients aiment entendre pour que vous soyez bien compris.

• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

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