Le projet de loi 141 abolit le Fonds pour l’éducation

Par Didier Bert | 14 Décembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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S’il est adopté tel quel, le projet de loi 141 mettra fin au Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance en modifiant la loi sur l’Autorité des marchés financiers (AMF), une mesure décriée par plusieurs.

« La suppression du Fonds d’éducation nous met hors de nous! s’exclame Normand Caron, conseiller en formation au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Nous ne comprenons pas ce qui s’est passé pour qu’on abolisse cet outil. »

« L’abolition [du FSEG] est préoccupante, car rien dans le projet de loi n’indique comment seront dorénavant financées les initiatives en matière d’éducation financière, indique de son côté la Chambre de la sécurité financière (CSF). Une chose est certaine, l’éducation financière doit demeurer une priorité pour le gouvernement. »

L’actuel article 38.1 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers va donc disparaître. Rappelons qu’il stipule que « l’Autorité constitue, à son actif, le Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance. Ce fonds est affecté à l’éducation des consommateurs de produits et services financiers, à la protection du public, à la promotion de la saine gouvernance et à l’amélioration de la connaissance dans les domaines reliés à la mission de l’Autorité, selon les modalités qu’elle établit. »

Le projet de loi 141 obligera plutôt l’Autorité à remettre au ministre des Finances la moitié des sommes perçues à titre d’amendes, de sanctions ou de pénalités administratives.

UN FONDS BIEN ALIMENTÉ

Or, ces montants étaient ceux versés jusqu’à présent pour financer le Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance. « Le Fonds était bien alimenté, ce qui a permis de créer des organismes d’éducation du public, relève M. Caron. Des gens compétents étudiaient les projets à financer. Les critères de sélection étaient connus. »

Les demandes soumises au FESG sont évaluées par un comité d’experts indépendants constitué de Jannick Desforges, directrice du Service des affaires institutionnelles et de la conformité des pratiques à la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD), Luc St-Arnault, président du Cercle de la finance internationale de Montréal, Patricia Hanigan, consultante en éducation et ex-directrice du Collège de Rosemont, Komlan Sedzro, directeur du département de finance de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, et Louise-Marie Brousseau, vice-présidente de la Fondation du Collège Montmorency.

Les critères d’évaluation sont divulgués dans le Guide des projets du FESG. La pertinence, la faisabilité, l’expertise du demandeur et les retombées attendues figurent parmi les principaux.

Le MÉDAC lui-même a eu sa part du gâteau, souligne Normand Caron. « Nous avons conduit de nombreux projets avec l’Autorité, grâce au Fonds… Et là, on lit que c’est terminé… Cela nous déstabilise. »

Ces derniers mois, le MÉDAC a ainsi mené le projet Sécur-Aîné en partenariat avec le Réseau FADOQ, regroupement des personnes de 50 ans et plus. Le MÉDAC donnait des conférences en région auprès des aînés pour leur expliquer le fonctionnement des marchés. Les thèmes abordés incluaient la présentation des différents produits financiers, la notion de rendement, les intervenants du marché et le rôle de l’Autorité.

En plus des initiatives de formation, le Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance finance des projets de recherche et des bourses d’études à la maîtrise et au doctorat. Un des derniers projets de recherche financé s’intéressait ainsi au soutien apporté aux enseignants en mathématiques du secondaire lorsqu’ils initient leurs élèves à l’éducation financière. Il était conduit par Annie Savard, chercheuse à l’Université McGill.

En 2005, l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) avait reçu 1,2 million de dollars du FESG. L’argent avait permis de contribuer au démarrage de l’institut dirigé par Michel Nadeau. Celui-ci n’a pas souhaité s’exprimer sur l’abolition de ce fonds.

« TRÈS GRAND RECUL »

Normand Caron regrette qu’avec l’abolition du Fonds, c’est « un des seuls fonds pour l’éducation en matière d’économie au Québec qui disparaît ».

« C’est un très grand recul », lâche-t-il.

France Latreille, directrice générale de l’Union des consommateurs, est moins inquiète. « Les sommes accumulées demeurent, d’autres projets seront financés, précise-t-elle. Le fonds est bien garni et génère des intérêts. » L’organisme a bénéficié de 44 500 $ du FESG en 2015 pour lancer son programme Bien choisir le crédit.

Mme Latreille pointe plutôt le sous-financement chronique des associations de défense des droits des consommateurs, qui est une bien plus grande préoccupation pour elle que le financement de projets supplémentaires. « Nous avons besoin de financement pour fonctionner à l’année, pas pour toujours faire de nouveaux projets, ce qui est archi-essoufflant », explique-t-elle.

Interrogé par Conseiller sur l’abolition du FESG, Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité des marchés financiers, soutient que « la mission éducative a toujours été et demeurera au cœur des activités de l’Autorité des marchés financiers. […] Le projet de loi 141 sera examiné en commission parlementaire et fera l’objet de discussions. Nous verrons au terme de ce processus ce qui sera définitivement décidé en ce qui a trait à l’avenir du FESG. »

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Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.