Le retour de la règle des trois D

Par Patrick O’Toole | 13 juillet 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Un homme d'affaires posant un cube portant le numéro 1, sur une colonne de deux autres cubes portant le numéro 2 et 3.
Andrii Yalanskyi / iStock

À mesure que les gouvernements réduisent leurs injections de liquidités dans l’économie, la règle habituelle des trois D va s’appliquer de nouveau sur les marchés obligataires, croit Patrick O’Toole, vice-président, titres à revenu fixe mondiaux, Gestion d’actifs CIBC.

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« Pour offrir des perspectives sur le revenu fixe alors que l’économie se dirige vers un nouveau normal, il faut d’abord décider en quoi consiste ce nouveau normal. Et ça, on ne le sait pas encore », affirme d’emblée Patrick O’Toole.

L’expert cite plusieurs tendances qui pourraient avoir un effet, comme l’accélération du télétravail qui pourrait accroître la productivité, ou les dépenses accrues des entreprises qui vont sans doute demeurer élevées. Mais dans le fond, pour l’investisseur à long terme, la règle de base n’a pas changé, et c’est pourquoi l’inflation n’a pas dépassé 2 % au cours du dernier cycle. Cette règle est celle des trois D :

  • D’abord la dette : « Il y en a trop, et c’est encore pire dans l’après-coronavirus. »
  • Ensuite, la démographie : « Aucun changement de ce côté. On va même peut-être voir une accélération des départs à la retraite. »
  • Enfin, la déflation : « Elle est rendue possible par les avancées technologiques, or celles-ci se sont accélérées depuis le virus. »

« Nous traversons actuellement un high de sucre créé presque entièrement par les dépenses des gouvernements. Mais, on sait que leurs programmes vont commencer à être moins généreux. On devrait donc retomber de notre high à l’aube de 2022. Dans ce contexte, les rendements obligataires seront potentiellement plus bas à la fin de l’année », explique Patrick O’Toole.

Selon lui, l’effet des trois D sera le retour d’une tendance inflationniste de 2 %, et c’est d’ailleurs ce qu’on a pu constater depuis la crise financière jusqu’à la pandémie.

« Les rendements obligataires pourraient augmenter d’ici là, surtout si l’inflation s’avère moins transitoire que dans les prédictions des banques centrales. Mais ils finiront par baisser et même plus tôt que ce que la plupart pensent », assure Patrick O’Toole.

Il rappelle que lorsque les rendements augmentent, le choc sur les consommateurs, les entreprises et les gouvernements se fait sentir vite, car il se reflète sur leurs dettes. C’est pourquoi, selon lui, les rendements plus élevés ne durent habituellement pas longtemps.

Il s’attarde au cas des obligations à rendement réel, une sous-catégorie à part entière du secteur du revenu fixe.

« Ces titres devraient bien se comporter, car la plupart des gens croient qu’ils peuvent les acheter quand l’inflation augmente. Mais ils suivent habituellement les rendements obligataires nominaux. Ils divergent lorsque les prévisions sur l’inflation changent, mais brièvement. Alors je ne serais pas surpris de voir les rendements réels accuser une baisse, mais pas aussi vite que les rendements nominaux, si bien sûr ceux-ci baissent. Certains disent que les banques centrales souhaitent que les rendements nominaux restent dans le négatif, ce qui facilite le remboursement des dettes », argue l’expert.

Qu’en est-il alors de l’inflation ? « C’est la grande question de cette année », dit-il.

« Sera-t-elle transitoire comme le prévoit la Réserve fédérale, la Banque du Canada et d’autres banques centrales ? Je crois que oui. Les salaires sont habituellement déterminants dans la capacité des entreprises à augmenter les prix. Les salaires ont augmenté en moyenne, mais cela est essentiellement dû aux pertes d’emplois moins bien payés. Plus les petits salaires sortent du marché de l’emploi, plus ceux des personnes qui restent semblent augmenter ! », poursuit Patrick O’Toole.

Il fait alors appel à l’indicateur Atlanta Fed Wage Tracker, qui fait le suivi du même groupe de travailleurs sur 12 mois pour éviter les distorsions. Or, cet indicateur est à son plus bas depuis le début 2018.

« Certains croient que ce sont les prix élevés des matières premières qui poussent l’inflation. Mais on les voit déjà redescendre, comme le bois, le cuivre et le maïs. D’autres disent que le coronavirus force les pays à produire davantage de biens chez eux, et à moins dépendre d’autres pays et que cela aurait un effet inflationniste. Il est vrai que ça se produit à certains endroits, mais la mondialisation est loin d’être morte et elle a été un moteur de déflation dans les 20 dernières années. Et malgré le coronavirus, les échanges commerciaux ont remonté à des sommets », observe Patrick O’Toole.

L’inflation est surtout un problème américain pour le moment, note-t-il.

« Elle a monté au Canada au-delà de la cible de 2 %, mais elle reste sous celle des États-Unis, et au niveau mondial, elle atteint presque ses creux historiques. Nous croyons que dans un an, elle se trouvera à 2 % aux États-Unis et un peu en dessous au Canada. »

Ses conseils pour les investisseurs dans ce contexte ? Garder la tête froide avant tout.

« D’abord, ne vous laissez pas embarquer dans les tendances à court terme. À long terme, la règle des trois D s’applique. Restez équilibrés. Il y a toujours des balles courbes, comme l’an dernier, mais les obligations continuent de faire leur travail lorsque cela arrive. Rien n’a vraiment changé à long terme. »

Ce texte fait partie du programme Gestionnaires en direct, de la CIBC. Il a été rédigé sans apport du commanditaire.

Homme d'affaires dans un champ de blé, levant les bras vers le ciel.

Patrick O’Toole

Entré au service de Gestion d’actifs CIBC en mai 2004, Patrick est membre de l’équipe des placements à revenu fixe à l’échelle mondiale oeuvrant à l’intérieur de la plate-forme de gestion de placements de la société.