L’entente entre le Québec et l’AMF française contestée

Par La rédaction | 21 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture

La récente signature d’un accord entre certaines autorités canadiennes en valeurs mobilières, dont celle du Québec, et l’Autorité des marchés financiers française, est critiquée par ce conseiller en sécurité financière. Que lui reproche-t-il?

Bertrand Larocque, économiste de formation, conseiller en sécurité financière, Pl. Fin. et représentant en épargne collective pour SFL Partenaire de Desjardins Sécurité financière et SFL Placements, s’étonne que les autorités québécoise et française veuillent jouer un rôle actif dans le développement des fintech. Il s’agit pour lui d’« une fonction qui revient habituellement aux présidents de banques, de gestionnaires de fonds ou de compagnies d’assurances. »

Interrogé par Conseiller, M. Larocque affirme trouver « préoccupant » que la réglementation ait « alourdi considérablement la tâche des conseillers financiers depuis 10 ans ». Une évolution qu’il considère d’autant plus regrettable qu’on assiste aujourd’hui « à la promotion de la distribution directe » (notamment avec les fintech), « qui profite d’une réglementation moins contraignante dans ses obligations envers le public ». Pour lui, l’Autorité devrait prendre un ensemble de mesures en vue de veiller à ce que le développement des fintech ne se fasse pas au détriment d’une offre démocratique des conseils financiers professionnels personnalisés.

M. Larocque va plus loin encore, se demandant si les Autorités n’auraient pas « outrepassé leur mandat ».

LES FABRICANTS DE PRODUITS FAVORISÉS?

Rappelons qu’avec cette entente, les autorités françaises et canadiennes ont affiché leur volonté de favoriser le développement des fintech au pays, notamment en matière d’échange d’information, de soutien aux innovateurs financiers, de recommandations, de partage du savoir-faire, de détachements de personnel et de dialogue sur les fintech et les services financiers novateurs, comme l’explique Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, dans un communiqué émis le 8 février.

Robert Ophèle, président de l’Autorité française, y renchérit : « La coopération entre l’AMF-France et ses homologues canadiens créera des synergies entre nos autorités et devrait permettre aux entreprises de fintech d’étendre leurs activités mondiales et d’apprendre les unes des autres ».

Ces propos déconcertent Bertrand Larocque, qui juge que dans le contexte du projet de loi 141 – qui permet notamment la vente d’assurance en ligne sans l’intervention d’un représentant – on pourrait interpréter cette entente « comme une étape de plus dans le but de favoriser la distribution de produits sans conseil au Québec ».

En effet, le conseiller se demande si les choix qui sont faits aujourd’hui ne favorisent pas plutôt les fabricants de produits au détriment des conseillers financiers autonomes, qui font pourtant eux aussi partie de l’industrie. Comme ils possèdent « les connaissances et l’expérience nécessaires afin de juger de la qualité des produits financiers », ces derniers jouent « un rôle déterminant pour la protection du public », croit Bertrand Larocque. Le conseiller affirme douter que l’Autorité des marchés financiers (AMF) québécoise soit bien consciente de l’importance de cette mission « pour l’émancipation financière de la classe moyenne ».

Il estime « compréhensible » que la pénurie de conseillers en services financiers en France (3 000 conseillers multidisciplinaires en gestion de patrimoine pour 67 millions d’habitants) incite les fabricants de produits et les autorités françaises à favoriser la distribution directe pour répondre aux besoins immédiats de la classe moyenne. Mais il s’étonne du fait que l’entente franco-québécoise reste « muette » sur la distribution avec des conseils personnalisés. « Pourquoi ne trouve-t-on pas dans cette annonce de développement des fintech des contre-mesures qui maintiendraient un certain équilibre au Québec entre les conseils professionnels et la distribution sans conseil? » demande-t-il.

« FAVORISER LES CONSEILS PROFESSIONNELS À VALEUR AJOUTÉE »

Pour M. Larocque, l’AMF québécoise devrait démontrer que les conseils financiers de qualité font partie de ses priorités dans le cadre de sa mission de protection du public.

Le conseiller se pose ainsi plusieurs questions : « Dans l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs, l’AMF-Québec ne néglige-t-elle pas son rôle « d’offrir des services financiers de haute qualité et à un prix concurrentiel pour l’ensemble des personnes », c’est-à-dire pour tous, et pas seulement pour les Québécois aisés? Est-ce que la « mise en place d’un cadre réglementaire efficace favorisant le développement du secteur financier » signifie de favoriser les fabricants de produits, sans considération pour les professionnels indépendants ou autonomes, qui accompagnent et conseillent leurs clients sur des périodes de 10, 20 ou 30 ans? »

Même s’il convient que les autorités réglementaires doivent veiller à actualiser la loi afin de protéger le public face aux enjeux que posent les innovations technologiques dans le monde, Bertrand Larocque ajoute que « la réglementation devrait rester neutre en matière de développement des affaires ».

« L’AMF N’A PAS OUTREPASSÉ SON MANDAT »

Pour Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF, non seulement l’Autorité n’a pas outrepassé son mandat en concluant un accord avec son homologue française, mais cette approche cadre au contraire pleinement avec sa mission.

« Les régulateurs à travers le monde signent ce type d’entente, car ils sont conscients que l’industrie, particulièrement les joueurs dans le secteur de l’innovation, ne se limitent pas à notre territoire. Ainsi, des joueurs français peuvent vouloir venir exercer au Québec et il est tout à fait pertinent de savoir quelles sont les informations détenues par le régulateur français à leur égard, ainsi que les conditions imposées les autorisant à être en activité ici, par exemple. En recevant ces informations, l’Autorité sera à même de mieux évaluer la demande de ces homologues étrangers tout en étant plus efficace dans le processus d’évaluation. Cela permettra d’encadrer plus efficacement le marché. »

Ce type d’entente permet aux régulateurs d’être plus efficaces dans l’exercice de leur mission, selon M. Théberge. « Il serait curieux de les blâmer alors qu’on invoque fréquemment la lenteur des autorités à réagir à certains phénomènes ou à certaines demandes. Des ententes similaires ont d’ailleurs été signées à l’égard des sociétés en vue d’exercer un meilleur encadrement transfrontalier, et le type d’entente dont il est ici question revêt un caractère similaire. »

Même son de cloche du côté de Daniel Guillemette, président de Diversico, Experts-conseils.

« Qu’un organisme de réglementation signe une entente avec un autre organisme étranger ayant le même mandat ne m’offusque pas. La mondialisation est amorcée dans plusieurs secteurs. Je m’attends à voir apparaître une foule d’autres initiatives, toutes orientées dans le sens de la disparition de notre profession. Les assureurs et les banques rêvent du jour où ils pourront se passer de nous pour vendre directement à la population. »

Expliquant qu’il est indispensable de « se préparer à toutes les initiatives prises par les parties prenantes » de l’industrie sur lesquelles les conseillers n’ont aucun contrôle, Daniel Guillemette appelle « tous ses collègues » à en faire de même « rapidement ». « Pas seulement pour protéger leur carrière, mais surtout parce que le public a besoin des meilleurs d’entre nous », insiste-t-il.

La rédaction vous recommande :

La rédaction