Les assureurs seront-ils libres de s’autoréglementer?

Par Jean-François Parent | 7 juillet 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Veut-on resserrer la réglementation en distribution d’assurance de personnes? Ou cherche-t-on au contraire à l’alléger?

Certaines des recommandations applicables aux assureurs contenues dans le Rapport d’application de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF, ou loi 188) sont comme une auberge espagnole : on en tire les conclusions que l’on veut.

C’est en tout cas ce que pensent nos interlocuteurs, notamment concernant la recommandation qui porte sur un éventuel encadrement des employés des assureurs. « On ne sait pas trop quelle direction le rapport prend à ce sujet », remarque Mario Grégoire, président du Conseil des professionnels en services financiers. On n’arrive pas à savoir précisément si les recommandations vont dans le sens d’un encadrement plus serré ou allégé.

« Il semble en effet que, pour l’assurance, on veuille tout mettre sur la table », au contraire des autres disciplines, concède de son côté Yves Millette, vice-président, Québec, de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes.

LE FLOU

Alors que les recommandations sur l’autoréglementation et l’indemnisation semblent orienter le débat, celle sur l’encadrement des employés des assureurs est sibylline.

Elle se lit comme suit : « Les avantages du double encadrement n’apparaissent pas aussi grands pour le consommateur, alors que les désavantages pour l’industrie en ce qui concerne les possibilités de conflits, tant en matière de réglementation que de surveillance, s’avèrent importants. »

Le double encadrement, c’est celui des employés à la fois par les assureurs et par la CSF.

« On semble dire que les pratiques commerciales des assureurs contredisent la réglementation, et qu’il faudrait donc se fier davantage aux assureurs pour réglementer afin d’éviter les conflits », commente un avocat spécialiste du droit de l’assurance sous couvert de l’anonymat. Il préfère taire son nom, car il représente plusieurs assureurs et réseaux de distribution.

L’avocat relève en outre que le rapport reste muet sur la distribution en assurance dans son ensemble.

ÉCARTS RÉGLEMENTAIRES

Historiquement, l’industrie des fonds communs a souvent contesté l’obligation qu’ont ses représentants d’être rattachés à un cabinet, et donc à un service de conformité, alors que ce n’est pas le cas pour l’assurance. D’où l’existence, en assurance, de « cabinets » autonomes, qui sont en fait des représentants faisant cavaliers seuls.

« L’existence de représentants autonomes est un problème qu’on semble ignorer complètement dans le rapport d’application », remarque Daniel Bissonnette, président et chef de la conformité de Planifax.

Il y aurait pourtant lieu de se pencher sur la question, selon l’avocat spécialisé en assurance. « On dirait qu’on souhaite revenir en arrière, à l’époque où l’assurance était peu ou pas encadrée. On semble également vouloir copier ce qui se passe ailleurs au Canada, où l’encadrement de la distribution en assurance est plus faible. »

Rappelons-le, le Québec est la seule province canadienne qui regroupe sous un même toit la réglementation en assurance et en placements, l’AMF étant ainsi l’unique régulateur intégré au pays.

Cela n’empêche pas l’écart réglementaire entre l’assurance et le placement de se creuser alors que chez le premier, on n’est pas soumis aux nouvelles contraintes imposées par le Modèle de relations conseiller-client. La divulgation complète de la rémunération, obligatoire en épargne collective par exemple, ne s’applique pas à l’assurance, remarque Daniel Bissonnette.

ENCADREMENT NÉCESSAIRE

Nos interlocuteurs se demandent d’ailleurs s’il n’y aurait pas corrélation entre le désir d’un encadrement moins lourd en assurance et le fait qu’à la CSF, dans les deux dernières années, les deux tiers des plaintes reçues concernent l’assurance de personnes.

Daniel Bissonnette s’insurge en outre contre le laxisme entourant la distribution sans représentants (DSR), faite notamment par l’entremise d’Internet.

« Peu importe ce qu’il achète, un client aura toujours besoin de conseils. » Le conseiller relate l’exemple d’un client, refusé par le représentant d’une compagnie, mais accepté par la même compagnie à la suite d’une soumission par Internet. « Pas d’analyse, pas d’étude de cas, pas de questions sur les autres assurances détenues par le client », déplore Daniel Bissonnette.

L’avocate spécialisée en droit disciplinaire Carolyne Mathieu estime quant à elle que le rapport semble préconiser une distribution à deux vitesses. « On a les clients qui sont conseillés, et ceux qui ne le sont pas. Où sont les analyses de besoins financiers dans la DSR? Où est le conseil? », se demande-t-elle.

Une analyse que partage Flavio Vani, président de l’Association des professionnels en services financiers. « On ne veut plus de conseillers, on veut des “peddlers”, prêts à tout pour conclure une vente », s’indigne-t-il. Le président de l’APCSF déplore également le « nivellement par le bas » annoncé par le rapport d’application.

Daniel Bissonnette conclut enfin que « ce serait une grave erreur que d’oublier que le conseiller est, d’abord et avant tout, au service du client ».

« On n’a jamais trop de réglementation »

En entrevue préélectorale avec Conseiller.ca, celui qui allait être ministre des Finances, Carlos Leitao, actuel commanditaire du rapport d’application, commentait ainsi la réglementation financière :

« On peut bien sûr trouver qu’il y a beaucoup de réglementation, mais le fait est qu’on n’en a jamais trop. Bien sûr, quand j’étais de l’autre côté, je trouvais que c’était lourd et bureaucratique. Mais des règles claires et efficaces sont nécessaires pour que les gens aient confiance dans cette industrie. »

Il rappelait aussi que la confiance est essentielle à l’industrie financière. « C’est encore plus pertinent depuis 2008. Il faut absolument maintenir la vigilance. »

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Jean-François Parent