Les banques doivent détruire les barrières raciales

Par Melissa Shin | 9 juillet 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture
Femme noire pensive
Photo : Juanmonino / iStock

Ces derniers mois, les appels se sont multipliés pour que les banques examinent comment le racisme systémique affecte leur service à la clientèle et leurs pratiques de prêt.

Une enquête menée auprès de 342 entrepreneurs noirs et publiée en mai a révélé que le racisme systémique anti-Noir, en particulier dans les banques, crée des obstacles généralisés. L’enquête, commandée par l’African Canadian Senate Group et le sénateur Colin Deacon, a révélé que seulement 19 % des entrepreneurs noirs ont déclaré faire confiance aux banques pour faire ce qui est bon pour eux et leur communauté.

Cette méfiance est corrélée à un manque d’accès aux prêts : presque tous les répondants à l’enquête ont déclaré avoir commencé à financer leur entreprise grâce à leur épargne personnelle ou à leur carte de crédit, et seulement 15 % ont eu recours à un prêt bancaire.

« La réalité du racisme anti-Noir est qu’il vous affecte dans toutes les institutions avec lesquelles vous êtes en contact. Le secteur bancaire n’est pas différent », souligne la sénatrice de la Nouvelle-Écosse Wanda Thomas Bernard, membre du groupe sénatorial afro-canadien.

Un autre rapport publié en avril a révélé que 78,5 % des femmes noires chefs d’entreprise avaient des difficultés à accéder à un financement.

« La banque a été un obstacle à l’acquisition par la communauté noire de toute forme de richesse générationnelle, note Charline Grant, cofondatrice du groupe de défense Parents of Black Children et partenaire de Kedz Consulting, un organisme de formation à la lutte contre le racisme basé à Vaughan, en Ontario. Obtenir un bon service pour une personne noire [dans une banque] équivaut à remporter un tirage au sort. Mon résultat dépend des personnes rencontrées et de la façon dont elles me perçoivent. »

Selon Charline Grant, les banques ont fait preuve d’un manque de compréhension à l’égard de ses expériences et des entreprises qu’elle dirige, ce qui a rendu difficile l’accès au financement.

« Les souscripteurs ne me ressemblent pas quand ils font les prêts hypothécaires. Les agents de crédit ne me ressemblent pas lorsqu’ils accordent des prêts commerciaux », résume-t-elle, ajoutant que les prêteurs n’ont pas compris les perspectives de croissance de ses entreprises qui servent la communauté noire.

Elle a également critiqué les « pratiques discrétionnaires » des prêteurs lorsqu’ils décident qui obtient un prêt et à quel taux.

« Partout où il y a du pouvoir discrétionnaire, il y aura toujours de la discrimination. Qui sera victime de discrimination ? Les Noirs et les autochtones. Parce que tous les récits disent qu’il faut craindre notre peau noire. Et c’est à cela, cette perception, que nous sommes confrontés lorsque nous entrons dans une banque. »

Girish Ganesan, responsable mondial de la diversité et de l’inclusion au sein du Groupe Banque TD, a reconnu que les banques ont du travail à faire, notamment à la lumière d’une série d’incidents survenus dans une succursale TD d’Ottawa qui ont fait les manchettes en avril.

« Nous savons que l’élimination des préjugés et des impacts du racisme n’est pas un effort passif. Cela exige que nous soyons activement antiracistes, affirme Girish Ganesan. En plus des programmes éducatifs, nous savons que nous avons du travail à faire en matière d’élimination des préjugés qui pourraient exister dans les procédures. Cela ne se limite pas à la TD ; il s’agit de l’industrie. Nous examinons une variété de stratégies sur la façon de travailler à ce sujet. »

Girish Ganesan a indiqué qu’à la fin avril, 94 % des employés de la TD avaient suivi les modules de formation intitulés Comprendre les expériences des Noirs et Racisme anti-Noir/Antiracisme.

FAIRE TOMBER LES BARRIÈRES 

 Les six grandes banques font toutes partie du Black Entrepreneurship Loan Fund du gouvernement du Canada, qui a commencé à accepter les demandes le 31 mai.

Les banques prennent également des mesures pour éliminer les préjugés des expériences de service à la clientèle.

Brent Chamberlain, vice-président associé de l’inclusion et de la diversité à la CIBC, a déclaré que la banque a réorganisé sa formation sur les préjugés inconscients au cours des 12 derniers mois.

« J’ai entendu des membres de l’équipe décrire notre ancienne approche comme un lavage de voiture : vous suivez votre formation sur les préjugés inconscients et vous en ressortez tout propre de l’autre côté. Mais ce n’est pas vrai », assure-t-il.

Pour changer cette perception, la CIBC a fait évoluer sa formation « d’une chose unique à un voyage expérientiel qui dure plusieurs mois et qui comporte des étapes de renforcement en cours de route ».

En février, la CIBC a également lancé un programme bancaire visant à « éliminer les obstacles à l’accès des propriétaires d’entreprises de la communauté noire », en complément du Black Entrepreneurship Loan Fund.

Dominic Cole-Morgan, premier vice-président de la rémunération globale à la Banque Scotia, rapporte que la banque a lancé une formation sur l’inclusion pour tous les employés en contact avec la clientèle au Canada, qui « comprend des conseils ou des stratégies pour aider à gérer plusieurs scénarios, notamment si un client dit quelque chose de raciste à un employé ».

La formation fait partie de l’engagement global de la banque envers l’inclusion et « un élément fondamental est que nos employés en contact avec la clientèle comprennent que les expériences [d’un client] peuvent être différentes des leurs », retient Dominic Cole-Morgan.

Un porte-parole de la Banque de Montréal assure que plus de 90 % du personnel de première ligne et des succursales de la banque ont suivi les modules de formation relatifs aux perspectives autochtones et aux préjugés inconscients. La banque lancera une formation sur la justice raciale et l’expérience noire pour tous les employés « dans les mois à venir ».

RBC, qui n’a pas répondu aux demandes d’entrevue pour cet article, a annoncé en juillet 2020 qu’elle prêterait 100 millions de dollars aux entrepreneurs noirs sur cinq ans et qu’elle rendrait obligatoire une formation sur l’antiracisme et les préjugés pour tous les employés.

La Banque Nationale du Canada a refusé d’être interviewée, mais selon le livret sur la diversité et l’inclusion de la banque, 97 % des employés de la Banque Nationale avaient suivi une formation sur la diversité et l’inclusion au 31 décembre 2020.

FAIRE LES CHOSES CORRECTEMENT 

 En mars, la Amalgamated Bank est devenue la première grande banque à soutenir la législation américaine prévoyant la création d’une commission chargée d’élaborer des réparations pour les Noirs américains.

Les réparations ont-elles leur place dans le secteur bancaire canadien ?

« Si vous pensez au préjudice multigénérationnel causé par le racisme anti-Noir systémique, alors oui, les réparations sont certainement importantes et dues », concède Thomas Bernard.

Selon lui, de nombreuses banques prennent déjà des mesures de type réparation, comme le financement de bourses d’études pour les étudiants noirs et des dons à des organisations communautaires noires.

« Il existe de nombreux types de stratégies différentes qui peuvent être utilisées pour faire avancer les réparations », constate Thomas Bernard. Une partie de ces stratégies consiste à reconnaître que le racisme anti-Noir systémique est mauvais ; les institutions doivent dire : « Nous savons que nous avons fait partie de ce problème et nous voulons maintenant faire partie de la solution ». Une partie de cette solution peut consister à s’engager avec la communauté pour changer le cycle de l’inégalité et créer des cycles d’opportunités. »

Charline Grant affirme qu’elle aimerait voir des mesures telles que des frais bancaires réduits ou des prêts aux entreprises qui peuvent être partiellement annulés, comme le Compte d’urgence canadien pour les entreprises offert par le gouvernement fédéral pendant la pandémie.

« Il n’y a rien que je ne dise qui n’a pas été fait pour d’autres communautés », expose-t-elle, notant que les banques ont réduit les frais pour les équipes de hockey de ligues mineures.

Thomas Bernard assure que les communautés marginalisées recherchent « des opportunités pour les aider à atteindre leur plein potentiel », et non une aumône. « Si nous avons plus d’équité dans les opportunités qui sont données, nous aurons plus d’équité dans les résultats ».

Melissa Shin

Melissa Shin est directrice de la rédaction du groupe des publications financières de Newcom Media Inc. Elle fait partie de l’équipe depuis 2011 et a été reconnue par l’ACGA et la CFA Society Toronto pour ses reportages. Rejoignez-la à mshin@newcom.ca.