Les banques italiennes en pleine tourmente

Par La rédaction | 6 Décembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La banque Montei dei Paschi, à Sienne, en Italie.

Alors qu’une dizaine de banques italiennes se trouvent en mauvaise posture financière, les plans pour les remettre à flot apparaissent maintenant menacés par le rejet dimanche d’un projet de réforme constitutionnelle, rapporte Le Temps.

Par voie de référendum, les Italiens ont refusé le projet du président du conseil Matteo Renzi, qui visait à revoir le poids de la Chambre des députés et du Sénat, ainsi que de mettre fin à l’instabilité politique en Italie. En effet, 62 gouvernements s’y sont succédé depuis 1945.

L’enjeu à court terme est majeur, souligne le quotidien suisse, puisque l’incertitude née du revers subi par Matteo Renzi, qui a démissionné lundi, pourrait compromettre les programmes de recapitalisation d’une dizaine de banques italiennes écrasées par une montagne de créances pourries, pour un montant total de 360 milliards d’euros (514 milliards de dollars canadiens).

Ainsi, UniCredit, la principale banque du pays, se trouve dans une position délicate. Ayant perdu 60 % de sa valeur depuis le début de l’année, elle est censée récupérer 13 milliards d’euros (18,5 milliards de dollars) d’ici la fin du mois pour éviter le naufrage.

BANCA MONTE DEI PASCHI DANS L’EAU CHAUDE

Selon plusieurs médias européens, c’est toutefois le cas de la Banca Monte dei Paschi di Siena (BMPS) qui paraît le plus problématique. Sa valeur boursière a chuté de 84 % depuis janvier et le test de résistance (stress test) que la Banque centrale européenne (BCE) lui a fait subir au printemps dernier a révélé qu’elle avait besoin de « laver » son bilan de quelque 28 milliards d’euros (40 milliards de dollars) de créances douteuses avant le 31 décembre.

Un plan de recapitalisation de cinq milliards d’euros (7,11 G$) a bien été approuvé au mois de juillet par le conseil d’administration de la plus vieille banque du monde, mais, depuis, « pas un seul [sou] n’a encore été trouvé à ce jour », souligne Le Temps, qui précise qu’un plan visant à convertir les obligations en actions et à émettre de nouvelles actions a également été mis en veilleuse.

« Les investisseurs n’aiment pas les incertitudes. Auparavant, ils attendaient l’issue du référendum; désormais, ils voudraient connaître la tournure des événements post-référendum avant de fixer leur stratégie », commente dans le journal suisse Adolfo Laurenti, l’économiste en chef de la banque privée J. Safra Sarasin.

ROME POURRAIT METTRE LA MAIN AU PORTEFEUILLE

Les banques d’investissement pressenties pour renflouer BMPS, dont Qatar Investment Authority, vont probablement attendre quelques jours, le temps de voir comment la situation politique évolue, indique pour sa part Reuters, qui cite « des sources proches du dossier ». Conformément à un arrangement passé avant la souscription, elles pourraient renoncer à contribuer à l’augmentation de capital de Monte Dei Paschi si elles jugent que les conditions de marché sont défavorables.

Celle-ci, qui comptait s’assurer de l’engagement ferme d’un ou plusieurs investisseurs stables et procéder à une augmentation de capital dès cette semaine, risque donc de devoir encore patienter. Et peut-être même longtemps, si l’on en croit Morgan Stanley, qui juge que la victoire du Non au référendum fait qu’il lui sera difficile de trouver un nouvel actionnaire.

« Si l’on se fonde sur le volume et la valorisation de l’augmentation de capital nécessaire, la difficulté paraît de taille », estiment des analystes de la banque américaine cités par Reuters.

Dans le cas où l’augmentation de capital de BMPS ne se ferait pas, Rome interviendra probablement financièrement pour éviter la faillite de la troisième banque du pays, estiment plusieurs banquiers et responsables politiques européens, à commencer par Ewald Nowotny, patron de la banque centrale autrichienne et membre du Conseil des gouverneurs de la BCE.

SCÉNARIO CATASTROPHE POUR LES PETITS ÉPARGNANTS

« La différence entre l’Italie et d’autres États comme l’Allemagne ou l’Autriche, c’est qu’en Italie, il n’y a pas eu à ce jour d’aide publique significative ou de nationalisation de banques. On ne peut donc pas exclure qu’il soit nécessaire pour l’État de prendre des participations dans des institutions financières d’une manière ou d’une autre », déclare M. Nowotny.

Un scénario catastrophe pour le gouvernement italien et, surtout, pour les petits épargnants, indique Reuters, puisque, conformément aux règles européennes, il impliquerait des pertes pour les créanciers obligataires non prioritaires.

« Même au plus fort de la crise de la dette de la zone euro, l’Italie s’était toujours refusée à mobiliser les deniers publics pour ses banques ou encore à solliciter de l’aide auprès de l’Union européenne (UE) pour les remettre à flot », souligne l’agence de presse.

Une dizaine d’autres banques de plus petite taille se trouvent également dans la même situation qu’UniCredit ou BMPS, relève Le Temps, qui juge cependant qu’une intervention de l’État italien ou de l’UE n’est pas encore d’actualité. « La question de solliciter une aide de l’Union bancaire ne se pose pas à ce stade », explique dans le journal suisse Adolfo Laurenti. En outre, cela signifierait une perte importante pour les petits investisseurs et les ménages italiens qui disposent de comptes dans les banques concernées.

« Le coût d’un bail-in [lorsque les clients participent aux pertes] sera politiquement insupportable pour tout gouvernement. Dès lors, l’État encouragera sans doute plutôt la consolidation dans le secteur », conclut l’économiste en chef.

« PAS DE BREXIT À L’ITALIENNE »

Malgré cette avalanche de mauvaises nouvelles et le fait qu’après le référendum de dimanche, l’Italie semble rejoindre les pays réticents face à la mondialisation, la plupart des analystes assurent qu’il serait prématuré d’établir un parallèle entre la situation de l’Italie et celle du Royaume-Uni.

« Je peux comprendre que la lecture des journaux internationaux donne l’impression que le pays est sur le bord d’une autre crise systémique européenne, mais je pense que ce n’est pas le cas », soutient le professeur Alessandro Barattieri, du Département des sciences économiques de l’École de sciences de la gestion de l’UQAM.

Interrogé par Conseiller, le spécialiste, également chercheur au Collegio Carlo Alberto de Turin, se veut rassurant. « Le Non de dimanche est le résultat d’une convergence entre des forces très différentes, rendue possible par l’erreur politique de Matteo Renzi de personnaliser le référendum et de le transformer d’un référendum sur un changement constitutionnel en référendum sur son gouvernement », estime-t-il.

Tout cela ne signifie donc pas qu’en Italie, les partis anti-Europe et anti-euro sont majoritaires, poursuit le spécialiste, qui dit « ne pas penser que la possibilité d’un Brexit à l’italienne soit sur la table ». De toute façon, « il faut se rappeler qu’en Italie, la Constitution interdit les référendums sur les questions d’imposition et de participation aux traités internationaux, et donc un référendum sur l’euro ne serait pas juridiquement contraignant », insiste-t-il.

Sa conclusion? « La principale conséquence de ce vote négatif va être un ralentissement du rythme des réformes dans le pays, avec un impact négatif sur les perspectives macroéconomiques italiennes. Mais cela est différent de la crainte d’une crise systémique européenne stimulée par une éventuelle sortie de l’Italie de l’euro, ce qui explique peut-être pourquoi les marchés n’ont pas trop mal réagi lundi et pourquoi l’euro n’a pas trop bougé. »

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