Les bonis sont néfastes à la performance

Par Didier Bert | 24 novembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les représentants sont-ils plus performants quand on leur verse des primes de performance? Non, répond Jacques Forest, professeur au département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM. Ce chercheur en motivation au travail est aussi conseiller principal d’une firme spécialisée en assurance collective et en conseil en développement organisationnel.

Conseiller : Les primes peuvent-elles avoir un effet positif sur la performance des représentants?

Jacques Forest : Elles ont des effets positifs à court terme. On oriente les efforts des représentants vers davantage de ventes. Le principe est de donner une grosse carotte pour faire courir le cheval plus vite. Mais les répercussions individuelles et collectives sont élevées, car cette fixation sur un objectif se fait au détriment de la santé des personnes. Elles sont plus sujettes à l’épuisement. Il y a aussi un coût pour l’organisation : les bonis individuels augmentent les comportements de compétition. Une enquête menée en 2011 auprès de 800 membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (ORHRI) a montré que la prime à la performance incite les employés du secteur privé à adopter des comportements contre-productifs au travail. Cela peut par exemple aller jusqu’à voler les ventes d’un collègue. Et l’épuisement d’un employé peut nécessiter de le remplacer… cela coûte entre 50 et 150% du salaire annuel de trouver et de former quelqu’un!

Jacques Forest

C : Comment motiver des représentants sans promettre de primes?

JF : Ce qui fonctionne, c’est de verser un salaire juste et équitable, et de mettre en place les conditions du respect de trois besoins psychologiques fondamentaux des personnes. Des études montrent que 70% des personnes continueraient à travailler même si elles avaient suffisamment d’argent pour vivre jusqu’à la fin de leurs jours.

C : Quels sont ces besoins?

JF : Nous avons trois besoins innés que nous devons satisfaire pour être performants. D’abord, nous devons bénéficier d’autonomie dans notre travail. Cela nous permet d’être nous-mêmes, et d’avoir la marge de manœuvre nécessaire pour régler efficacement certaines situations.

Nous devons aussi nous sentir compétents dans notre travail, c’est-à-dire capables de surmonter les obstacles. Enfin, nous avons besoin de relations interpersonnelles mutuellement bénéfiques. En d’autres termes, sentir que nous appartenons à un groupe social.

C : Les primes de performance empêchent-elles de satisfaire ces besoins?

JF : Les bonis entrent en conflit avec la satisfaction de ces trois besoins. Ils encouragent la performance à court terme, mais les objectifs sont toujours plus élevés et plus difficiles à atteindre. En restreignant notre attention uniquement sur ce qui augmentera nos primes, nous perdons en autonomie, en efficacité et en qualité des relations sociales. Les primes sont contraires à la nature humaine : à moyen terme et à long terme, nous ne serons pas plus performants parce qu’on nous promet une prime, car nos besoins fondamentaux ne seront pas satisfaits.

C : Que se passe-t-il si on cherche à motiver ses troupes uniquement avec des primes?

JF : Cela revient à faire reposer entièrement la motivation de l’organisation sur l’argent et sur l’orgueil. Et on voit bien que dans nos organisations, on s’entête à utiliser l’argent comme motivateur. Pourtant, c’est ce qui fonctionne le moins bien!

C : Peut-on supprimer les primes dans une entreprise?

JF : Cela s’est fait dans une entreprise norvégienne par exemple. Tous les bonis ont été remplacés par une explication sur l’importance du travail de chaque employé. Les résultats se sont améliorés. L’absentéisme a été réduit, ainsi que le présentéisme.

C : Que peut-on mettre en place pour remplacer avantageusement les primes de performance?

JF : En plus de verser un salaire de base, on peut offrir n’importe quoi qui contribue à satisfaire les trois besoins psychologiques : des possibilités de développement, des choix dans les règles de fonctionnement… Cela ne coûte pas nécessairement de l’argent. Mais cela crée le climat favorable à l’épanouissement des personnes.

C : L’argent ne fait donc pas le bonheur?

L’argent apporte une très grande contribution au confort. Pas au bonheur. On peut avoir le ventre vide et être sans domicile… mais quand même se sentir heureux parce qu’on est bien entouré.

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Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.