Les clients et leur conseiller vieillissent : quel en est l’impact?

Par André Giroux | 8 mai 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Avec les baby-boomers qui commencent à prendre leur retraite, le mode épargne passera bientôt en mode décaissement. La diminution des actifs des clients entraînera-t-elle une diminution de revenus pour leur conseiller financier?

« Dans moins de 15 ans, presque tous les baby-boomers seront à la retraite, rappelle Daniel Laverdière, planificateur financier et expert conseil à la Financière Banque Nationale. Dans 35 ans, ils seront presque tous décédés. »

Autre donnée, celle-ci concernant le Régime des rentes du Québec : « À compter de 2018, mentionne Daniel Laverdière, les sorties de fonds seront plus importantes que les entrées. On peut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour les REER. »

Le mode de rémunération des conseillers, fondé sur l’importance des actifs de leurs clients, aura-t-il pour effet d’entraîner lentement, mais irrémédiablement, les revenus des conseillers à la baisse?

Environ 60 % des clients de Léon Lemoine sont à la retraite. Ce planificateur financier et assureur-vie agréé chez Lafond et associés reconnaît que c’est là « un thème peu abordé, mais important pour les années à venir compte tenu de la courbe démographique ».

« Le conseiller qui ne connaît que la facette placement risque de se faire déclasser rapidement, explique-t-il. Le décaissement des fonds implique beaucoup d’enjeux fiscaux, financiers et de gestion du patrimoine. Le conseiller devra bien s’entourer. »

Rentable pour le conseiller? Léon Lemoine invoque la Loi de Pareto, selon laquelle « 20 % des clients rapporteraient 80 % des revenus et vice-versa. Vu sous cet angle, le client moyen n’est pas rentable ».

« Il existe une grande part de bénévolat quand vient le moment de s’occuper des clients qui commencent leur retraite, ajoute-t-il, mais uniquement si le conseiller n’a qu’une vision à court terme. L’objectif d’un conseiller ne consiste pas à vendre beaucoup de produits; c’est là le rôle d’un vendeur. Celui du conseiller, c’est de présenter des recommandations pertinentes. »

De nombreuses questions La transition à la retraite entraîne beaucoup de questionnements, que ce soit sur les fonds de pension, les fonds de retraite, les hypothèques, les fonds hors REER, la fiscalité en cas de décès, les fiducies testamentaires ou les mandats en cas d’inaptitude. « Les questions sont nombreuses, diversifiées et pertinentes », souligne Léon Lemoine.

Une nouvelle notion apparaîtra, s’inquiète le conseiller financier : « Celle que je nomme le scénario catastrophe. Le conseiller accompagne son client dans toutes les étapes de sa vie financière : budget, assurance vie, capitalisation boursière, etc. Puis vient la période décaissement, lors de laquelle le conseiller devra faire ses devoirs. Plus particulièrement au cours de la retraite peut survenir une maladie grave prolongée ou une maladie dégénérative. Qu’advient-il du décaissement? Quel rôle le conseiller doit-il jouer? »

« Dans les CHSLD, illustre Léon Lemoine, le loyer est fixé en fonction des actifs. Qu’advient-il de la conjointe qui a vécu à domicile avec les enfants si son conjoint doit être placé en institution? Nous verrons de plus en plus ce genre de situations et les conseillers reçoivent peu de formation sur le sujet actuellement. »

« Le conseiller qui détient plusieurs permis pourra mieux assurer la stabilité de ses revenus tout en offrant de meilleurs services à ses clients, dit Léon Lemoine. Il pourra vendre des assurances en cas de maladie grave, soins prolongés ou simplement une assurance voyage pour les vacances annuelles dans le Sud. »

« Beaucoup de courtiers en valeurs mobilières recommandent une assurance offerte à des gens de 65 ou 70 ans afin de protéger des sommes non enregistrées placées dans des rentes viagères », ajoute André Buteau, planificateur financier et assureur vie agréé. Environ 15 % de ses clients sont âgés de plus de 65 ans. « La moyenne d’âge de mes clients tourne autour de 45 à 50 ans. »

Le décaissement de ses clients ne lui pose pas encore problème. « Je ne vis pas le problème actuellement, mais je vous remercie de la réflexion que vous me faites faire par vos interrogations, affirme-t-il. C’est un phénomène que nous devons anticiper dans un contexte où les conseillers voudront eux-mêmes prendre leur retraite un jour, donc vendre leur portefeuille d’affaires. La valeur de celui-ci peut diminuer si la clientèle en est au décaissement. »

Plusieurs conseillers estiment que la retraite de leurs clients peut aussi représenter une occasion d’affaires. « Une nouvelle business naît du recrutement des enfants de la clientèle actuelle », émet André Buteau.

Président et associé de Planex solutions, Larry Bathurst affirme pour sa part peu se préoccuper du décaissement. « Cela diminue la rentabilité, mais maintient la loyauté de la clientèle si nous répondons bien à ses besoins. Elle nous réfère alors famille et amis. Chez nous, la plupart des références proviennent de nos clients retraités. »

« Le plus grand danger avec la clientèle âgée, continue-t-il, ce n’est pas le décaissement, mais le décès s’il survient avant que l’on ait pu établir des relations avec les enfants, la relève. À nous de nous positionner pour conseiller la famille. »

Le décaissement ne demande pas nécessairement plus de temps, affirme aussi Larry Bathurst. « Le passage à la retraite exige effectivement plus de temps au conseiller, mais une fois le plan financier établi, les retraités ne demandent pas plus de temps que les clients réguliers. Le client plus jeune demandera davantage de conseils parce que ses besoins changent souvent avec l’arrivée des enfants, le changement d’emploi ou l’achat d’une résidence. »

La crise financière a aussi exigé beaucoup d’énergie de la part des conseillers. « Depuis 2008, raconte Larry Bathurst, plusieurs clients que je ne recevais qu’une fois par année demandent aujourd’hui deux ou trois rencontres annuelles et des réponses téléphoniques à d’autres moments. Cet accroissement est beaucoup plus lié à la volatilité des marchés qu’à un changement dans leur situation personnelle. Étant dans le marché depuis 33 ans, je peux vous dire que les 6 dernières années ont été beaucoup plus olé olé que les 25 précédentes. »

Problème de rémunération Les conseillers interrogés affirment ne pas évaluer le temps moyen consacré au client de base chaque année. Ils estiment que la commission de suivi constitue une rémunération contre laquelle le client a droit à des services. C’est un chef de la conformité qui posera le plus clairement les enjeux financiers.

« À 0,5 % de commission de suivi, un compte de 25 000 $ rapporte 125 $ par année, résume Daniel Bissonnette, chef de la conformité chez Planifax. Trois cents clients disposant d’actifs moyens de 30 000 $, pour un total de 9 M$, rapportent 45 000 $ au conseiller. Une partie de ce montant sert à la formation, au paiement des permis, aux cotisations, aux assurances erreurs et omissions et aux frais de fonctionnement d’un bureau. Ce n’est pas rentable quand on considère toutes ces obligations d’un conseiller. »

« L’idéal consiste à gérer une moyenne d’actifs d’au moins 50 000 $ par client », lance Daniel Bissonnette. À 300 clients, le revenu brut provenant des commissions de suivi s’élève alors à 75 000 $. « Quant à l’assurance vie, il faut en vendre beaucoup pour vivre de ça. »

« Les banques et autres institutions financières peuvent transférer les coûts de conformité aux consommateurs en augmentant les frais de service, mais pas les indépendants, qui seront donc de plus en plus serrés au plan budgétaire. »

Le chef de la conformité chez Planifax s’inquiète en outre de la retraite des conseillers financiers. « Beaucoup de gens dans l’industrie ne peuvent prendre leur retraite parce que le nombre de clients ou le portefeuille d’actifs n’est pas assez élevé pour en tirer un bon montant lors de la vente du bassin de clientèle. Ils demeurent donc encore dans l’industrie à l’âge de 70 ans. Leur clientèle a le même âge qu’eux et en est à la phase de décaissement, mais le conseiller, lui, ne peut prendre sa retraite. »

Daniel Bissonnette prévoit que cette situation posera des problèmes dans quelques années, dont celui de la relève. « D’ici trois à cinq ans, nous frapperons un mur, prévoit-il. La relève se fait trop rare. Avec la main-d’œuvre vieillissante viendra un problème de disponibilité et de services. Or, le permis d’exercice ne constitue pas un droit, mais un privilège assorti d’obligations : respect de la conformité, mises à jour des dossiers, qualité du service aux clients et formation continue. Les officiers de conformité feront face à un dilemme : devront-ils sévir face à un conseiller en congé de maladie? »

Tout ce contexte amène l’officier de conformité à être pessimiste quant à l’avenir à long terme. « Si cette tendance se maintient, qu’adviendra-t-il du deuxième avis que recherchent les consommateurs chez les conseillers indépendants? Faute de relève, le conseil indépendant s’en va en extinction. Cela m’attriste, parce que nous faisons un travail extraordinaire. »

Rémunération sous forme d’honoraires? Dans ce contexte, la rémunération sous forme d’honoraires constitue-t-elle la voie de l’avenir? « Ce mode de paiement des services constitue une tendance lourde que l’on connaît en Australie, de plus en plus en Europe et aux États-Unis. Au Canada, on traîne un peu de la patte », jauge Léon Lemoine.

Selon lui, les conseillers d’ici devront se mettre au diapason, et ce, pour plusieurs raisons. « La première, c’est de stabiliser les frais globaux facturés aux clients et, par conséquent, le revenu de la firme ou du conseiller. Avec une rémunération fondée sur un pourcentage des actifs plutôt que sur des commissions, peu importe que le portefeuille du client soit investi sous forme d’actions ou de revenus fixes, la rémunération du conseiller demeure stable et récurrente. Le conseiller payé par honoraires sera peut-être moins enclin à la vente de produits financiers, il se retrouvera moins dans une situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel. C’est une relation gagnant-gagnant avec le client. »

Chez Lafond et associés, où œuvre Léon Lemoine, « le chargé d’affaires peut à sa discrétion fonctionner uniquement à commission, uniquement par honoraires ou jumeler les deux formes de rémunération ».

André Buteau est plutôt d’avis que « la place des honoraires augmentera, mais les Québécois ne sont pas tellement chauds à l’idée de payer des honoraires pour les services qu’ils reçoivent de leur conseiller. Étant planificateur financier, je peux facturer des honoraires; je le fais à l’occasion. Globalement, le changement dans la forme de rémunération ne constitue selon moi pas un enjeu ».

« Nous œuvrons sous trois formes de rémunération, précise Larry Bathurst : à honoraires fondés sur le pourcentage des actifs, à commission et à honoraires à l’acte pour la réalisation de mandats spéciaux, dont le soutien au liquidateur testamentaire, par exemple. Nous nous dirigeons tranquillement vers une rémunération sous forme d’honoraires basés sur les actifs plutôt que sur les commissions de suivi. Quant aux honoraires à l’acte, nos clients y semblent peu favorables. Les institutions financières leur offrent déjà une panoplie de services gratuits, les clients sont donc réfractaires à payer directement les services reçus. Nos clients savent clairement ce qu’ils paient et à quoi ils peuvent s’attendre en retour. »

Selon Léon Lemoine, « quand on prend le temps de bien informer les clients des diverses formes de rémunération possibles, plusieurs acceptent les honoraires. Nous avons du retard dans la transmission de l’information à la population québécoise, mais c’est notre rôle de la transmettre ».

Il faudra aussi bien distinguer les honoraires fondés sur les actifs des honoraires à l’acte. La confusion persiste à cet égard.

Cet article est tiré de l’édition de décembre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

André Giroux