Les conseillers sur le divan

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 5 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La surcharge de travail administratif, conjuguée à la crainte de ne pas respecter les normes de conformité à la lettre, ajoute une nouvelle couche de stress pouvant mener les conseillers à l’épuisement professionnel.

Il s’agit même pour eux d’un stress omniprésent et palpable, explique Léon Lemoine, conseiller en sécurité financière et planificateur financier à Whitemont. « MRCC 2, la transparence, le passage aux honoraires, la conformité… Mes collègues me font souvent part de leurs craintes à tous ces niveaux. Il y en a qui perdent pied, d’autres qui veulent tout vendre. »

Cet ex-président du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ), devenu depuis l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), souligne qu’il n’y a pas si longtemps, c’est la crise de 2008 qui avait poussé toute l’industrie près du burnout.

Il avait reçu à l’époque de nombreux messages de conseillers qui n’en pouvaient plus de livrer de mauvaises nouvelles à leurs clients et de gérer leur mécontentement. Les scandales financiers avaient eux aussi donné mauvaise réputation à la profession.

« Tout cela est fort heureusement derrière nous, indique-t-il. Aujourd’hui, c’est vraiment cette impression d’être noyé sous les charges administratives et réglementaires qui pèse sur la profession. Pas que je sois contre les nouvelles normes, bien au contraire. Je crois qu’à terme, elles vont redorer l’image de la profession et faire en sorte que nous servions mieux le client. Mais la période de transition est compliquée pour certains. »

Lui-même a préféré adopter des stratégies pour se prémunir d’un éventuel épuisement professionnel. Ainsi, en plus de ne travailler qu’à honoraires depuis plusieurs années, afin, dit-il, d’être totalement transparent, il a pris la décision de rendre sa pratique le plus agréable possible en se rapprochant de sa clientèle. Comme celle-ci se trouvait principalement sur la Rive-Sud, il y a installé ses bureaux pour éviter à tout le monde les affres des embouteillages et autres problèmes de stationnement.

Enfin, dans sa pratique, il ne mise pas non plus sur les placements trop risqués : il maîtrise ainsi mieux les événements et peut contrôler son niveau de stress.

L’AVIS DES PSYS

Nicolas Chevrier est psychologue et a pignon sur rue à quelques pas du quartier des affaires à Montréal. Il reçoit plusieurs professionnels du secteur financier dans son cabinet.

« Je dois bien avouer que ce qui rend les conseillers que je reçois anxieux, ce sont les nouvelles règles, confie-t-il. Ils ont de plus en plus peur de ne pas être conformes, même en étant de bonne foi. »

Selon le psychologue, quatre facteurs importants favorisent leur stress : le manque de contrôle sur leur travail ou leurs objectifs, l’imprévisibilité, la nouveauté et la perte d’estime de soi. « Il y a d’ailleurs plusieurs de ces éléments que l’on retrouve dans l’industrie de la finance du fait de la volatilité des marchés et de l’hyper-compétitivité. »

Même si elle est plus supportable qu’il y a vingt ans, la relation avec les collègues dans un contexte compétitif est une autre préoccupation de ses patients conseillers. Certains de leurs clients, aux attentes qu’ils ne jugent pas réalistes, leur causent également beaucoup de souci.

Enfin, l’omniprésence des technologies fait qu’ils ont du mal à décrocher, même arrivés à la maison. Ils ont parfois aussi l’impression d’être moins maitres de leur sujet et de moins parvenir à lire les marchés depuis que les algorithmes informatiques ont pris le pas sur les considérations purement économiques.

« L’important, c’est de reprendre le contrôle sur ce qui est maîtrisable en mettant en place de bons processus plutôt que de se fixer un objectif de résultat, conseille M. Chevrier. Et surtout, il faut être capable de se détacher de ce qui est incontrôlable. »

LES JEUNES PLUS À RISQUE

Pour Josée Blondin, psychologue organisationnelle qui mène des ateliers de formation continue à l’Institut québécois de planification financière (IQPF), les jeunes conseillers sont particulièrement à risque.

« Ils doivent monter leur clientèle, ils ont un stress lié à leurs propres finances, à leur performance, aux objectifs à atteindre. Et puis, survient le décès d’un proche parent, une séparation, ou tout autre événement qui va être la goutte qui fait déborder le vase. Ils n’ont alors plus la capacité de récupérer entre plusieurs périodes de stress. Ils n’ont plus le recul nécessaire pour prendre soin d’eux. »

La bonne nouvelle, c’est que les jeunes ont davantage tendance à demander de l’aide que les professionnels plus âgés. En effet, l’ancienne génération considère souvent le fait de consulter comme un aveu de faiblesse. Nicolas Chevrier estime notamment que la profession véhicule des valeurs très « masculinistes », qui sous-entendent qu’un homme doit pouvoir se débrouiller seul; valeurs qui sont même intégrées par les femmes conseillères. Il explique que les femmes sont en règle générale plus enclines à aller chercher de l’aide, mais que lorsqu’elles évoluent dans univers principalement masculin, elles ont tendance à adopter les mêmes comportements.

Pourtant, même les professionnels les plus coriaces ne sont pas à l’abri d’une dépression.

« Il est primordial de consulter lorsque l’on est en épuisement professionnel, ajoute Mme Blondin. Parce qu’il faut trouver ce qui ne va pas dans son comportement au travail et le changer. Dans le milieu de la finance, ça peut être de refuser de participer à l’ambiance hyperconcurrentielle. Les secteurs très individualistes et compétitifs sont plus propices aux burnout que ceux qui valorisent le travail d’équipe. »

Être à l’écoute de son corps et de son cerveau est donc primordial. De nombreux symptômes tels que la fatigue chronique, l’insomnie, la perte de motivation ou encore l’humeur changeante devraient mener à la conclusion qu’il y a un risque d’épuisement professionnel. Ils ne devraient jamais être minimisés.

Selon Léon Lemoine, une des solutions pour s’en prémunir demeure d’intégrer un cabinet multidisciplinaire. Le conseiller peut alors se concentrer sur sa spécialité et référer ses clients à des collègues dans les domaines connexes.

« Il faut connaître ses limites et savoir s’entourer, conclut-il. Parce qu’à vouloir trop en faire, on s’épuise inévitablement. »

Quelques outils

Pas la peine de fouiller son passé et de s’étendre sur les différends qu’on a pu avoir avec ses parents dans sa jeunesse pour traiter l’épuisement professionnel. Les psychologues s’attardent plutôt à développer des outils spécifiques.

Nicolas Chevrier travaille notamment dans trois directions :

  • L’hygiène de travail : il faut s’octroyer des moments de déconnexion par rapport aux technologies dans la vie de tous les jours et ne pas hésiter à faire des pauses au travail. Mais aussi, accepter que les journées aient un nombre d’heures déterminé, être capable de prioriser et mettre l’énergie au bon endroit, au bon moment.
  • La gestion du stress : il est intéressant d’analyser les facteurs présents dans les situations de stress. Développer un bon traitement de l’information ainsi que des stratégies pour neutraliser ces éléments est essentiel.
  • Les stratégies de récupération : pour faire face au stress, le cerveau doit être capable de récupérer. L’être humain a un certain nombre de rôles, celui de travailleur, de parent, de conjoint, d’ami. Lorsqu’il joue un de ces rôles, les autres se rechargent. C’est la théorie de la récupération des rôles.

Certaines activités permettent de mieux récupérer du rôle professionnel, notamment celles qui offrent de la relaxation (spa, massothérapie, yoga), du détachement (sport), de la maîtrise (apprentissage qui ne soit pas en relation avec le travail) et du contrôle et de l’estime de soi (par exemple, planifier un projet de A à Z).

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Hélène Roulot-Ganzmann