Les indépendants feront les frais de l’harmonisation

Par Ronald McKenzie | 5 janvier 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
6 minutes de lecture

L’année 2012 vient à peine de commencer que déjà les conseillers doivent se mobiliser en prévision de l’an prochain. En effet, à compter du 1er janvier 2013, les cabinets indépendants, les agents généraux et les représentants autonomes ne pourront plus se prévaloir du remboursement de la TVQ qu’ils paient à l’achat des biens et services nécessaires pour réaliser leurs activités.

C’est l’un des effets insidieux qu’entraîne la conclusion de l’accord sur l’harmonisation du régime de la TVQ avec la TPS fédérale.

Cette nouvelle réglementation ne vise pas que les « petits » intervenants. Les grandes organisations, comme le Mouvement Desjardins et les banques à charte fédérale installées au Québec, sont également assujetties à ce changement.

Toutefois, les entreprises de taille modeste, dont les marges bénéficiaires sont souvent minces, pourraient faire les frais de l’harmonisation.

« Des milliers de dollars sont en jeu. C’est un impôt déguisé qui se traduira par une perte sèche pour les indépendants », dit Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage, l’un des premiers conseillers à avoir attaché le grelot.

Le Mouvement Desjardins et les banques canadiennes, par exemple, pourront refiler la facture à leurs clients en la disséminant dans les multiples produits et services qu’ils commercialisent. Mais, pour les petits intervenants, c’est une autre histoire.

Admettons qu’un cabinet engage des dépenses annuelles de 300 000 $ en fournitures, déplacements, loyer, publicité, etc. Au Québec, ces achats sont taxés au taux de 9,5 %, pour un montant de 28 500 $. Aujourd’hui, ce cabinet peut demander le remboursement de cette TVQ lorsqu’il remplit ses déclarations de TPS et de TVQ. Ce qu’il paie à gauche, il le récupère à droite. L’opération se solde au neutre.

Mais, à partir de janvier 2013, c’en sera fini du remboursement de la TVQ, d’où la perte sèche qu’évoque Guy Duhaime. Pourquoi en arrive-t-on là? Par souci d’harmonisation avec le reste du Canada. « C’est la même situation dans toutes les autres provinces qui ont décidé d’harmoniser leur taxe de vente avec le fédéral », signale Jacques Delorme, porte-parole du ministère des Finances du Québec.

Le beurre et l’argent du beurre Un rappel historique s’impose ici. Quand Ottawa a instauré la TPS en 1991, il a choisi d’exonérer de taxe les produits financiers afin de permettre au secteur de demeurer concurrentiel au plan international. Comme les cabinets et les conseillers ne facturent pas de TPS à la vente de produits financiers, ils n’ont pas droit au remboursement de la TPS qu’ils paient sur leurs achats. Cette disposition s’applique uniformément d’un océan à l’autre.

Lorsque le gouvernement du Québec a implanté sa TVQ en 1992, il a décidé de détaxer les services financiers. « C’est très différent de l’exonération. Cela signifie qu’un fournisseur de services financiers ne facture pas de taxe, mais qu’il peut récupérer toute la TVQ qu’il a payée sur ses intrants », explique Robert Demers, associé et leader national, taxes indirectes, chez Samson Bélair/Deloitte & Touche.

« C’est une mesure d’exception prise à l’époque pour permettre à nos entreprises financières d’être concurrentielles vis-à-vis celles de l’Ontario », avance Jacques Delorme.

Afin d’amortir un tant soit peu cet allégement fiscal qu’il a consenti aux entreprises de services financiers, Québec a introduit la « taxe compensatoire des institutions financières », qui se chiffre actuellement à 1,5 % de la masse salariale d’un cabinet. Nous y reviendrons.

Revenons maintenant à 2011. Pour que Québec ait pu encaisser le chèque de 2,2 milliards de dollars du gouvernement fédéral, promis en septembre dernier, il a dû harmoniser complètement son régime de taxation avec celui des autres provinces participantes. D’où l’élimination du remboursement de la TVQ et de la taxe compensatoire.

« Comme vous vendez des produits qui ne sont pas taxés, vous ne pouvez pas réclamer un retour sur les intrants. Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Autrement, il faudrait que le secteur financier taxe ses produits. Je ne sais pas si l’industrie aimerait ça », indique Jacques Delorme.

Une « méchante taxe » Argent du beurre ou pas, il reste que les cabinets et les conseillers indépendants risquent de subir un manque à gagner qui peut être substantiel.

Prenons l’exemple d’un cabinet qui engage des dépenses de 500 000 $ et qui a une masse salariale de 750 000 $. En 2013, la TVQ harmonisée s’établira à 9,975 %. Le non-remboursement de cette taxe représentera près de 50 000 $ en frais directs. Quant au crédit de 1,5 % sur la masse salariale, il donnera lieu à un remboursement de 11 250 $. L’un dans l’autre, « la perte nette se chiffrera à environ 38 750 $. Méchante taxe!», lance Guy Duhaime.

Pour compenser cette perte au taux d’imposition de 21 % prévu pour les entreprises, calcule-t-il, il faudrait que les bénéfices augmentent de 185 000 $. «Au lieu de cela, on amputera nos profits de près de 40 000 $.»

De son côté, le ministère des Finances n’évalue pas les choses de la même façon. Il estime que le non-remboursement de la TVQ lui fera économiser en moyenne 250 millions de dollars par année, alors que l’élimination de la taxe compensatoire se soldera par un manque à gagner d’une ampleur similaire. Au final, l’opération devrait finir par s’équilibrer.

Mais, dans le quotidien d’un cabinet de services financiers, ce ne sera pas si clair. « Les différentes institutions financières ne seront pas toutes affectées également par le nouveau régime de taxation. L’année 2013 va leur coûter très cher », dit Robert Demers.

Guy Duhaime est convaincu que les entreprises comme la sienne seront les grandes perdantes de l’harmonisation. « L’un de mes confrères, qui a un cabinet plus important que le mien, perdra 30 000 $ par trimestre. Je crois que l’industrie n’a pas encore bien mesuré l’impact de ce changement », note-t-il.

Alerté de ce nouvel obstacle à la profession, le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) trouve dommage que ce règlement ait été adopté sans avertissement. « Nous sommes au courant de la problématique. Ça nous préoccupe. C’est l’un des dossiers importants que nous traiterons en 2012 », dit René Auger, président du conseil d’administration du RICIFQ.

Entre autres questions, le RICIFQ évaluera les conséquences sur la rémunération des conseillers. « Si les cabinets et les agents généraux voient leurs frais augmenter, comment cela affectera-t-il les conseillers indépendants? Leurs commissions diminueront-elles? Nous devons analyser tous ces aspects », constate René Auger.

Quant au ministère des Finances, il n’a pas prévu de disposition transitoire pour aider l’industrie à affronter d’éventuelles difficultés. « C’est comme ça partout au Canada. C’est ça, s’harmoniser », tranche Jacques Delorme.

Ronald McKenzie