Les marchés privés davantage accessibles

Par La Presse Canadienne | 3 avril 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Investir sur les marchés privés, une activité autrefois réservée exclusivement aux institutions et aux ultrariches, devient de plus en plus accessible au public.

Ce changement intervient alors que la taille des marchés de la dette privée et des actions a augmenté au cours de la dernière décennie, et que toutes sortes d’entreprises se sont éloignées de la finance traditionnelle, ce qui a conduit les gestionnaires de fonds à rechercher des moyens de commercialiser ces investissements alternatifs auprès d’investisseurs plus moyens.

« Le profil de diversification est très intéressant », observe Ben Reeves, directeur des investissements chez Wealthsimple, qui a déployé récemment une option d’investissement de crédit privé.

Les investisseurs accrédités, ceux jugés suffisamment riches par les régulateurs pour gérer des risques plus élevés, ont déjà pu entrer sur le marché depuis au moins une décennie, mais la nature généralement longue et potentiellement risquée des investissements et le manque de transparence des marchés privés ont été des obstacles à leur diffusion plus large.

Avec l’arrivée récente de Wealthsimple sur ce marché et celle de Placements Mackenzie l’année dernière sont apparues des options d’investissement de crédit privé pour les investisseurs non accrédités qui leur permettent d’augmenter leurs avoirs mensuellement, tout en pouvant retirer de l’argent tous les trimestres. Les produits sont plus flexibles que la plupart des options du marché privé, mais comportent encore certaines restrictions concernant les qualifications et les investissements minimaux.

Après une année qui a vu les marchés boursiers et obligataires publics chuter à l’unisson, les investisseurs se sont mis à la recherche d’autres options et le nombre d’offres pour le crédit privé a augmenté, observe Michael Schnitman, responsable des investissements alternatifs chez Placements Mackenzie.

« Les gens commencent à se rendre compte que les arbres ne grimpent pas vers le ciel sur les marchés boursiers », illustre Michael Schnitman, soulignant le potentiel de diversification.

« Il est particulièrement important pour les investisseurs particuliers d’avoir accès à ces stratégies de marché privé, car elles ont différentes sources de rendement, différentes sources de risque, différentes caractéristiques et différents univers d’investissement. »

Un nombre croissant d’entreprises se sont tournées vers le marché privé pour lever des fonds après la crise financière mondiale qui a conduit à une réglementation plus stricte des prêts et à une plus grande prudence de la part des banques, tandis que des institutions comme les fonds de retraite ont augmenté leur exposition aux prêts alors qu’ils recherchaient de meilleurs rendements pendant une décennie de faibles taux d’intérêt.

Cette double tendance a contribué à faire passer les prêts privés de moins de 50 milliards de dollars américains (G$) par an dans le monde en 2011 à plus de 200 G$ en 2021, plaçant le total des actifs sous gestion à 9300 G$ à la fin de l’année, selon Preqin, une société de données d’investissements.

Preqin s’attend à plus de croissance à venir avec des actifs sous gestion qui devraient atteindre 18 300 G$ d’ici la fin de 2027, même si elle a déclaré dans ses prévisions que la poussée viendrait de plus en plus des investisseurs de détail, à mesure que de plus en plus d’institutions atteindront leur seuil d’investissement dans ce marché.

DES MARCHÉS PLUS OPAQUES, UN RISQUE PLUS ÉLEVÉ

La croissance de marchés privés quelque peu opaques suscite cependant également des critiques, à la fois sur les pratiques commerciales parfois dynamiques des entreprises privées alimentées par la dette, ainsi que sur la thèse de ces investissements en soi.

La dette privée paie des taux d’intérêt plus élevés en partie parce que son risque est plus élevé, explique Jeffrey Hooke, un ancien dirigeant de capital-investissement qui enseigne à l’école de gestion Carey de l’Université Johns Hopkins.

« C’est l’une des raisons pour lesquelles ils ont des rendements élevés, car ils prêtent à du crédit de pacotille. »

Tant Mackenzie que Wealthsimple insistent sur la stabilité de leurs portefeuilles de prêts privés. Le fonds de crédit privé de Mackenzie couvre plus de 50 prêts sous-jacents dans tous les domaines, des cliniques vétérinaires aux sociétés de gestion des déchets, tandis que Wealthsimple couvre une gamme de secteurs comme les soins de santé, les secteurs industriels et financiers, avec un accent sur les entreprises familiales.

Il existe cependant toujours un risque de défaillance, et les deux fonds se réservent le droit d’interrompre les retraits des investisseurs, comme Ninepoints Partners et Romspen Investment l’ont fait avec certains fonds l’année dernière.

Jeffrey Hooke, qui a vivement critiqué de nombreux aspects des marchés privés, souligne que les frais élevés, le manque de liquidités et les valorisations douteuses dominent cet espace d’investissement.

« Tout est très secret. Je ne pense tout simplement pas que ce soit un investissement approprié pour les veuves et les orphelins, ou pour monsieur et madame Tout-le-Monde. »

Le manque de transparence rend également plus difficile la comparaison entre les différents fonds, souligne Danielle LeClair, directrice de la recherche sur les gestionnaires chez Morningstar Canada.

« Cette comparaison entre pairs est un défi », affirme-t-elle.

Et bien que les rendements d’environ 9 % que Mackenzie obtient et que Wealthsimple vise constituent une prime notable par rapport aux options publiques à revenu fixe, la hausse des taux d’intérêt a créé plus d’options pour les investisseurs à la recherche d’un rendement raisonnable avec un risque moindre, précise-t-elle.

« Alors que les investisseurs envisagent certaines de ces classes d’actifs alternatives, je suggérerais peut-être qu’ils examinent tout l’espace des options de revenu (…) peut-être que le revenu traditionnel est plus attrayant pour eux dans l’environnement de marché actuel. »

Le crédit privé n’est censé être qu’un aspect d’un portefeuille plus large, rappelle Ben Reeves, de Wealthsimple, mais il peut, selon lui, fournir une belle couverture contre d’autres classes d’actifs, car les taux d’intérêt et les marchés vont fluctuer dans les années à venir.

« Nous voudrions que nos clients considèrent cela comme un investissement à long terme à travers les cycles de taux d’intérêt, considéré comme une composante de leur portefeuille diversifié. »

La Presse Canadienne