Les ravages du market timing

Par André Giroux | 18 mars 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Entrer dans le marché boursier quand il va bien et en sortir quand il va mal, ou l’inverse, est au cœur de la stratégie de synchronisation du marché. Il existe plusieurs façons de tenter de surpasser le marché et de déjouer les indices, mais toutes comportent leurs risques, à la fois au plan du rendement, de l’économie et de la société.

L’une des méthodes courantes de market timing est la négociation à haute fréquence, assistée par ordinateur, pour assurer l’exécution très rapide d’opérations. On parle ici de secondes ou de fractions de seconde. Dans une étude publiée en juin 2011 dans la Revue du système financier, la Banque du Canada affirme que ce procédé représente environ le quart du volume des activités boursières au Canada et plus de la moitié aux États-Unis.

La synchronisation du marché s’effectue aussi par la surveillance quotidienne des activités boursières afin d’y déceler les failles permettant d’accroître le rendement de ses actifs.

Le market timing, c’est aussi l’impatience des investisseurs quant au rendement de leurs avoirs en Bourse. Une étude de Dalbar publiée en avril 2012 mentionne qu’en moyenne, depuis vingt ans, les investisseurs conservent leurs fonds d’actions pendant 3,3 ans et leurs fonds d’obligations pendant trois ans. « L’impatience quant aux faibles rendements engendre des réactions précipitées de la part des investisseurs », explique William André Nadeau, spécialiste en finance comportementale et gestionnaire de portefeuille chez Orientation Finance.

Déjouer les indices n’est pas chose facile Pour certains, la synchronisation du marché constitue une technique à appliquer de façon disciplinée et rationnelle; pour d’autres, il s’agit d’un pari hasardeux qui s’avère souvent perdant.

« Il n’est pas facile de gagner avec le market timing », avertit Tolga Cenesizoglu, professeur agrégé au Service de l’enseignement de la finance de HEC Montréal.

« La plupart des stratégies de market timing conduisent à l’échec et exigent plus de temps, d’énergie et de frais, abonde le dirigeant d’Orientation Finance. Cela, parce que la plupart des décisions de market timing sont prises sur des bases émotives plutôt que rationnelles. »

C’est vrai aussi pour la plupart des gestionnaires professionnels. « Plusieurs études démontrent que les gestionnaires de fonds communs ne surperforment pas lorsqu’ils font du market timing, souligne le professeur de HEC. Ils détiennent un avantage dans le choix des actions, mais quand ils tentent de déjouer le marché, cela ne fonctionne pas vraiment. »

Conseiller en formation au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), Normand Caron ne mâche pas ses mots. « Le market timing, c’est de la bouillie pour les chats, surtout quand on constate comment les gestionnaires de fonds communs ou de caisses de retraite réussissent à peine à battre le marché sur une longue période. Alors, comment suggérer à de petits investisseurs sans ressources de tenter de faire mieux? »

Dans l’édition d’avril 2009 du magazine Conseiller, André Gosselin mentionnait : « Parmi la trentaine d’études que j’ai recensées sur le sujet entre 1975 et 2001, plus des deux tiers concluent que le timing de marché n’ajoute rien qui vaille au rendement de portefeuille. Leurs conclusions sont accablantes, surtout quand elles reposent sur 75 ou 100 ans d’histoire boursière aux États-Unis. »

Un mauvais timing, ça peut coûter cher Ce que nous révèle cette recension de recherches c’est que, lorsque vient le temps de battre le marché, la marge est mince entre le succès et l’échec. « Il faut effectuer de bonnes prévisions de l’orientation de marché, mentionne Tolga Cenesizoglu. Si on se trompe plusieurs fois dans ces prévisions, celui qui investit à long terme en sort gagnant. »

Dans l’édition de février 2013 du magazine Conseiller, Daniel Laverdière, directeur principal planification financière à la Banque Nationale Gestion privée 1859, analyse le phénomène. Le constat est limpide : « Si vous obtenez un taux de succès de 65 % et plus, affichez vite votre curriculum vitæ et vous aurez l’un des emplois les plus lucratifs du monde! Sous les 60 %, vous travaillez virtuellement pour rien et vous risquez uniquement de vous appauvrir (d’autant plus que les frais de gestion sont proportionnels à la fréquence des transactions). En placement, la marge entre être un héros ou un zéro est donc toute petite », écrit-il.

Par ailleurs, l’entrée et la sortie du marché au mauvais moment coûtent cher, à court comme à long terme. Dans l’étude « Quantitative Analysis of Investor Behavior », publiée en avril 2012, la firme d’experts financiers Dalbar compare le rendement de l’investisseur moyen à celui du S&P 500. Dans tous les cas, l’investisseur y perd. Mauvais timing. Par exemple, beaucoup d’investisseurs sont sortis du marché après la débâcle de 2008 et ont ainsi raté la reprise, ou sont revenus tardivement. Une décision coûteuse.

Une incidence aux plans économique et social Non seulement le market timing est-il rarement rentable mais, de plus, la précipitation sur les marchés boursiers influence négativement l’économie et l’emploi. Les gestionnaires d’entreprises ont maintenant tendance à gérer beaucoup plus à court terme, en vue du prochain trimestre, afin de présenter un bilan financier favorable aux actionnaires. Si ceux-ci ou les gestionnaires de fonds pensent court terme, les gestionnaires d’entreprises feront de même.

Le titulaire de la chaire Cleghorn d’études en management à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, Henry Mintzberg, s’en désole. Auteur de 15 livres et de 150 articles scientifiques sur le management, il est particulièrement cinglant à l’égard des grandes entreprises américaines. « La majorité des PDG de ces entreprises poursuivent deux objectifs : maximiser le rendement de l’avoir des actionnaires et encaisser au passage des millions de dollars en options sur les actions. Pour y parvenir, ils ont licencié des milliers de travailleurs, accru les pressions sur les cadres intermédiaires, affaibli sinon cassé les syndicats, en plus de réduire la qualité des produits et du service à la clientèle. On détruit les entreprises mais on est incroyablement productifs ! »

Tolga Cenesizoglu partage cet avis, mais ne se limite pas aux grandes entreprises américaines : « Les gestionnaires cherchent à diminuer les coûts pour augmenter le bénéfice par action. Une des façons de le faire consiste à licencier du personnel ou à sabrer dans les investissements. Cela ne constitue pas nécessairement une voie à suivre quand on évalue la rentabilité à long terme. »

Deux personnalités distinctes Revenons sur la place boursière. Le « market timer » et l’investisseur qui y va de montants fixes et réguliers ont deux personnalités distinctes. Le premier tente de deviner l’orientation du marché. Il entre et sort constamment de la Bourse. « Impatient, il a besoin d’un marché qui bouge », mentionne William André Nadeau.

Tolga Cenesizoglu compare celui qui cherche à synchroniser les marchés au parieur. « Si, après analyse des équipes, on s’attend à ce que le Club de hockey Canadien gagne le prochain match, on peut miser sur le club. Tout comme dans le market timing, on parie sur l’avenir à court terme. »

Normand Caron ne prône pas les vives émotions quand vient le temps d’investir en Bourse. « Cette stratégie s’adresse à une petite minorité d’investisseurs qui souhaitent vivre des sensations fortes par leurs investissements. La très grande majorité des investisseurs ne souhaite pas devenir traders. Elle préfère une approche bien planifiée et structurée. »

Pour reprendre les mots de Tolga Cenesizoglu, on retiendra que l’investisseur fixe et régulier se caractérise par la patience et par des investissements à long terme. « Il conservera son investissement jusqu’à ce qu’il ait besoin d’argent. Cette stratégie est plus solide, dans le sens où on investit dans une entreprise offrant une bonne valeur et on conserve nos titres », souligne le professeur.

Mais investir à long terme n’empêche pas de se préoccuper de la Bourse. « Je suggère aux investisseurs intéressés de réaliser une bonne analyse des marchés une fois par année, plutôt qu’une analyse superficielle plusieurs fois dans l’année, mentionne Normand Caron. Après l’achat de titres, à moins de circonstances exceptionnelles, je recommande de les conserver au-delà des fluctuations boursières. »

Quand est-ce le moment de vendre un titre, selon le MÉDAC? « Quand l’image d’un produit commence à dépérir, que le titre stagne, qu’un changement à la direction sème le doute sur la possibilité de relance de l’entreprise ou que l’endettement de la compagnie devient trop lourd à cause d’acquisitions mal contrôlées, ce sont tous des indices qu’il vaut peut-être mieux vendre avant que le mal soit fait », explique Normand Caron.

Profession : market timer

Marc Rivet gère sa propre fortune depuis une vingtaine d’années. Il a commencé avec la gestion d’un emprunt de 25 000 $ obtenu de ses parents. « Ma fortune est beaucoup plus élevée aujourd’hui, mais je ne vous en dévoilerai pas le montant », s’amuse-t-il.

Il se spécialise dans les produits dérivés, plus particulièrement les contrats à terme sur les obligations. « Je passe mes journées à l’ordinateur à surveiller les marchés canadien, américain et européen et je tente de tirer avantage des variations du marché au quotidien », explique-t-il.

Pour lui, le trading à court terme, comme il le fait, constitue un emploi à temps plein. « Chaque jour, tu vas chercher un rendement sur ton capital », souligne-t-il. L’investissement à long terme constitue une bonne avenue pour quiconque détient un autre emploi, car dans ce cas de figure, on ne peut réagir au moindre mouvement de marché comme nous le faisons. »

La clé du succès? « Discipline, discipline, discipline, répond-il. Avec le temps et l’expérience, nous parvenons à mieux contrôler nos émotions, que ce soit la peur de perdre ou l’excès de confiance. Nous devons nous en tenir au plan que nous nous donnons pour chaque transaction. »

Marc Rivet affirme battre régulièrement les indices. Quand on lui dit qu’il est difficile de le faire de manière systématique, il rétorque qu’il connaît beaucoup de gens qui y parviennent.

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André Giroux