Les robots devraient-ils payer des impôts?

Par La Presse Canadienne | 7 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Le gouvernement libéral à Ottawa se fait conseiller d’envisager de taxer les robots qui remplacent les travailleurs, de laisser les Canadiens payer leur facture d’impôt en faisant du bénévolat, et de travailler à prévenir les inégalités de revenus avant que cela se produise.

Ces idées s’inscrivent dans le cadre d’une grande initiative du gouvernement visant à s’adapter à l’évolution rapide de la main-d’œuvre et à éviter une partie de la pression fiscale que cela pourrait causer sur les finances fédérales.

Les documents obtenus par La Presse canadienne en vertu de la Loi sur l’accès à l’information permettent de mieux comprendre les idées qui ont été soumises aux libéraux relativement à la modernisation du filet social et la réglementation du travail.

Toutes les mesures ont pour objectif d’adapter des programmes fédéraux conçus il y a six décennies aux besoins de main-d’œuvre des six prochaines décennies.

Les libéraux et les autres gouvernements du monde tentent de répondre à l’automatisation croissante, à la séparation du travail, qui peut être effectué en ligne par n’importe qui, n’importe où dans le monde, ainsi qu’à la multiplication des emplois temporaires.

Sarah Doyle, directrice des politiques et de la recherche à l’Institut Brookfield pour l’innovation et l’entrepreneuriat, estime que ces changements perturberont les milieux de travail et toucheront davantage certains travailleurs, ce pourquoi le gouvernement devrait intervenir maintenant pour éviter une augmentation des inégalités.

« Nous constatons que des changements se produisent et ils pourraient très bien arriver encore plus rapidement et de façon plus importante », a-t-elle soutenu.

« La répartition des risques et des avantages associés à l’automatisation, avec la numérisation, avec ces différentes tendances à grande échelle, ne sera pas effectuée de manière uniforme dans la population. »

DES PERTES D’EMPLOIS À PRÉVOIR

Selon une estimation fournie aux ministres du Travail du G7 au printemps 2018, jusqu’à 15 % des emplois pourraient être perdus à cause de l’automatisation au cours des deux prochaines décennies. Les emplois les plus à risque sont les travailleurs en agriculture et en construction, les comptables, les techniciens de laboratoire et les vendeurs, d’après les informations divulguées lors d’une réunion à huis clos des hauts fonctionnaires fédéraux en décembre 2017.

Les professions à faible risque d’automatisation étaient les ambulanciers, les médecins, les infirmiers, les enseignants, les ingénieurs et les journalistes.

L’augmentation du télétravail transfrontalier a également eu pour effet de séparer les tâches précédemment accomplies par les travailleurs canadiens et de les affecter à des employés internationaux dont le coût de la main-d’œuvre est inférieur, ce qui pourrait faire baisser les salaires au Canada.

Armine Yalnizyan, économiste qui étudie l’avenir du travail, indique que la demande canadienne pour ce travail en ligne dépasse sa part de main-d’œuvre internationale, ce qui devrait intéresser les décideurs politiques, selon lui.

PRESSIONS SUR LE FILET SOCIAL

Les travailleurs de cette nouvelle économie du « commerce », caractérisée par un plus grand nombre de contrats à temps partiel et à court terme, sont également moins susceptibles de cotiser au système d’assurance-emploi financé par les employeurs et les employés. En juin 2017, une note d’information à l’intention de la ministre du Travail affirmait que les plateformes en ligne « fournissaient de nouvelles façons d’éviter les avantages sociaux et autres charges financières parrainés par l’employeur ».

Les fonctionnaires fédéraux qui ont participé à la discussion ont dit craindre que cette tendance ne porte un coup fatal au filet de sécurité sociale du gouvernement fédéral.

Selon les documents, il y a plusieurs solutions à cet enjeu.

Les séances de remue-méninges d’octobre 2017 comprenaient des recommandations visant à verser à chaque Canadien un revenu minimum garanti, qui remplacerait divers avantages sociaux ciblés. Une autre idée était de permettre aux Canadiens de payer leurs factures d’impôt au moyen de paiements autres qu’en espèces, comme le bénévolat.

Par ailleurs, remanier les règles du travail pour donner aux travailleurs un plus grand pouvoir de négociation pourrait faire partie d’une poussée vers la « prédistribution » pour augmenter les revenus du marché, au lieu de compter sur les prestations gouvernementales pour redistribuer les revenus et réduire les inégalités.

« De plus en plus, au cours des 50 dernières années, nous avons vu la position de négociation des travailleurs s’éroder et à moins que des mesures puissent réellement améliorer la façon dont les travailleurs peuvent négocier eux-mêmes, nous dépendons totalement du gouvernement pour tout régler. Et ça ne peut pas être comme ça », a analysé M. Yalnizyan.

L’apprentissage tout au long de la vie est également un enjeu essentiel pour permettre aux travailleurs de quitter le marché du travail à plusieurs reprises pour améliorer leurs compétences et s’adapter aux besoins changeants de l’emploi. Il a également été proposé d’utiliser les progrès technologiques, tels que l’impression en trois dimensions, pour réduire les coûts des biens.

LA CONTRIBUTION FISCALE DES ROBOTS

Et pour les robots? Les fonctionnaires ont suggéré de taxer une technologie qui remplacerait un travailleur ou d’exiger qu’une partie du travail automatisé soit orientée vers un bien social.

Le rapport de la session de remue-méninges d’octobre 2017 indiquait que l’éventail des options politiques n’avait pas été pleinement évalué pour « l’utilité, l’impact et la faisabilité ». Au lieu de cela, les idées représentaient « le début d’une discussion sur la manière de réagir à la nature changeante du travail ».

La ministre du Travail, Patty Hajdu, demeure optimiste. Elle a déclaré que le gouvernement était sur le point de trouver certaines solutions.

« Ce n’est pas comme si nous n’avions pas connu de changement dans le monde du travail auparavant. C’est le rythme rapide des changements qui, à mon avis, préoccupe de nombreux Canadiens », a-t-elle soutenu lors d’une entrevue.

« Mais je n’ai pas forcément perdu tout espoir… comme peut-être certains des partis d’opposition, parce que je pense réellement qu’il y a des possibilités dans l’innovation et dans le changement. »

La Presse Canadienne