Les signes d’une future crise seraient réunis

Par La rédaction | 20 Décembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Dix ans après le début de la crise qu’il avait été l’un des rares à prédire en mettant notamment en garde contre la faiblesse des taux d’intérêt et les excès de la finance, William White observe les marchés avec une inquiétude grandissante, rapporte Trends-Tendances.

Interrogé par le magazine belge, le Canadien aujourd’hui âgé de 74 ans n’est plus économiste en chef à la Banque des règlements internationaux (BRI), mais de son poste de président du Comité d’examen des situations économiques et des problèmes de développement à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il constate une série de faits qu’il juge préoccupants.

Dans cette liste, il cite pêle-mêle la récente vente aux enchères d’une petite toile attribuée à Léonard de Vinci, vendue à 450 millions de dollars alors qu’on n’est pas du tout sûr qu’elle est bien du maître florentin; l’explosion du bitcoin, monnaie numérique potentiellement sans valeur, qui a multiplié sa valeur par 20 en moins d’un an; quatre sociétés technologiques qui ont vu leur valeur boursière grimper de 1 000 milliards; sans parler des Bourses qui, globalement, « pèsent » aujourd’hui plus de 110 % de l’économie mondiale totale, soit un record absolu.

« TOUT CELA NE PEUT PAS CONTINUER »

Autant d’aberrations qui lui font dire aujourd’hui qu’« il y a clairement des similitudes » avec la crise de 2007-2008. « L’euphorie est de retour sur les marchés financiers. Les gens me demandent comment je sais avec certitude que les valorisations boursières sont trop élevées. Je ne le sais pas précisément, mais il est néanmoins anormal qu’un rendement négatif soit généré pour presque 10 000 milliards d’euros [plus de 15 000 G $CAD] d’obligations d’État européennes. (…) Ça n’a absolument aucun sens. Cela ne peut simplement pas continuer », explique-t-il.

L’économiste déplore également le fait que tous les investisseurs vont dans la même direction, estimant qu’« il n’y pas de diversification, pas de recherche de valeur, mais seulement des achats et des ventes spéculatifs », alors qu’investir « devrait être la recherche d’une manière efficace d’obtenir un return plus élevé de l’épargne », ce qui « n’est plus la préoccupation de personne ».

À propos de la flambée des prix de l’immobilier constatée dans plusieurs pays, notamment dans certaines régions du Canada, William White souligne que « quand le taux d’intérêt grimpe, les gens ont du mal à rembourser leurs dettes » et que « s’ils font malgré tout face à ces obligations, ils font des économies sur tout le reste ». Résultat, « personne ne dépense plus d’argent, car l’hypothèque doit être payée » et « une grave récession menace alors ».

LA SITUATION AUJOURD’HUI EST PIRE QU’EN 2007

Rappelant que le surendettement est le principal talon d’Achille de l’économie mondiale, il note que « ce problème s’est encore accentué » depuis une décennie. Ce qui l’inquiète le plus, affirme-t-il, « ce sont les 10 000 milliards d’obligations en dollars émises par des sociétés qui ne gagnent pas le moindre dollar ». En effet, ajoute-t-il, « si le taux d’intérêt et le dollar augmentent, elles devront rembourser leurs dettes dans une monnaie dont la valeur diminue », ce qui représente selon lui un scénario peu crédible.

Questionné par Trends-Tendances sur le fait de savoir si les États sont au moins mieux préparés qu’il y a 10 ans pour faire face à une éventuelle nouvelle crise systémique, l’économiste se montre dubitatif: « Je n’en suis pas certain. Il reste beaucoup de problèmes, par exemple avec les règles d’insolvabilité. En Italie, cela prend des années avant qu’une banque voie son argent remboursé. Elle est donc réticente à pousser ses clients à la faillite. Les banques sont par ailleurs toujours too big to fail. »

Sur le plan du management de crise, William White juge même que la situation est pire aujourd’hui qu’en 2007-2008. « Après la crise, nous avons mis de nouvelles règles en place pour la Banque centrale américaine, parce que des détracteurs estimaient qu’elle était allée trop loin dans le sauvetage du secteur financier. Quand la panique naît, le prêteur en dernier ressort est donc limité dans ses possibilités. L’idée est que vous pouvez endiguer le danger en limitant l’interdépendance des banques. Mais ce n’est pas la banque A qui fait tomber la banque B, et ainsi de suite, comme un jeu de domino. Non, même si toutes les banques n’étaient pas interconnectées, elles pourraient encore sombrer ensemble en cas de panique », explique-t-il.

« LES MODÈLES DE PRÉDICTION ONT ÉCHOUÉ »

Même s’il reconnaît ignorer quel sera le déclencheur du prochain krach, l’économiste soutient que cela importe peu. « Le motif peut être un événement anodin. Les recherches montrent que cela n’a pas de sens de rechercher le déclencheur, car vous ne le trouverez de toute façon probablement pas. Le krach est enraciné au cœur même du système », justifie-t-il. Il ajoute cependant que « le trigger est souvent quelque chose de nouveau, une nouvelle invention, une nouvelle technologie ou une innovation financière ».

En réalité, poursuit-il, personne ne comprend rien à la manière dont le secteur financier et l’économie fonctionnent. La preuve? « Il y a 10 ans, les modèles standards ont entièrement échoué dans la prédiction de la crise. Et contrairement à ce que les modèles prévoient, l’économie ne s’est toujours pas rétablie. Si vous faites de mauvais pronostics pendant 10 ans, vous allez tout de même penser qu’il y a peut-être quelque chose qui ne va pas dans ce modèle, non? Mais cela ne fonctionne à l’évidence pas de la sorte. (…) Les gens se réfugient dans leur système de croyances, car c’est la seule chose qui leur reste. L’esprit humain semble ne pas pouvoir vivre avec un vide. « Je ne sais pas, je ne le sais fondamentalement pas », cela ne se dit pas. »

Sa conclusion? « Nous devons simplement reconnaître que nous comprenons beaucoup moins l’économie que nous ne le voudrions. C’est un « système complexe (auto-)adaptatif ». Il n’y a pas une cause et une conséquence, parce que le système détermine lui-même le résultat. En d’autres mots, vous avez beau essayer de rectifier le cap, vous ne pourrez pas prévoir le résultat d’une mesure. Les économistes commettent une erreur philosophique, car ils ne comprennent pas la nature de la bête. »

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