L’inexcusable compromis fait par l’AMF

Par Yves Bonneau | 3 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le Programme de qualification du permis d’assurance vie (PQPAV), qui remplace depuis le 1er janvier 2016 l’AEC en assurance sous le nom de PQAP, s’est fait en douce. Pas beaucoup de vagues en amont, encore moins en aval. Les régulateurs, qui ont l’habitude de nous ensevelir sous des tempêtes de consultations, n’ont pas cru bon nous soumettre celle-là.

Les discussions concernant le PQPAV, instauré en 2001 au gré des provinces concernées, ne datent pas d’hier. D’abord, un comité de coordination a été mis sur pied en 2002 pour tenter d’harmoniser ledit programme de qualification entre les différentes juridictions et aussi pour apaiser l’industrie. Au terme des réunions d’harmonisation, Grant Swanson, l’ex-directeur exécutif de la division de l’octroi des permis et de la surveillance des marchés pour le régulateur ontarien et président du comité en question, remerciait les membres de leur travail dans une missive en ces termes : « Nous avons la certitude que ce programme réussira à relever les normes en matière de compétence et de formation visant les nouveaux agents d’assurance vie d’un bout à l’autre du Canada. » C’était il y a 14 ans.

Pendant ce temps, le Québec, qui faisait la sourde oreille, poursuivait son programme selon ses intérêts propres. On développa une formation très complète en y intégrant les standards les plus élevés au pays et bien sûr en tenant compte des spécificités inhérentes au Québec qui, outre la langue, comprennent les références au code civil, à la fiscalité et au code de déontologie. Notons qu’en matière juridique, la déontologie s’articule différemment selon que le praticien est sous la juridiction du code civil ou de la common law (dans le ROC). De même, il était possible pour les futurs conseillers qui s’intéressaient davantage au collectif de suivre les cours spécifiques menant au diplôme en assurance collective.

C’est ainsi qu’en 2005, on annonçait que la formation pour devenir assureur vie serait donnée au niveau collégial, un programme de trois ans, de 450 heures.

Les cégeps donnent toujours le cours en question et, même si plusieurs des pédagogues en place se questionnent sur la nouvelle mouture du cours harmonisé, ils en sont venus à la conclusion que si c’est ce que l’industrie veut, il n’y a pas grand-chose à redire. Du même souffle, ils constatent que cet AEC risque fort de disparaître à court terme car il n’est plus nécessaire à l’obtention du certificat de pratique, la refonte du cours approuvée par les assureurs et le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) se résumant maintenant à un programme de quatre modules qui aborde seulement quatre compétences en 180 heures. Il peut aussi être fait par correspondance.

Il y a trois ans, comme le Québec avait une longueur d’avance en matière de formation d’entrée en carrière des conseillers en assurance, l’AMF, qui participe aux réunions du CCRRA, a levé sa main pour prendre les commandes de l’harmonisation pan-canadienne de la formation. Toutefois, au lieu de tirer vers le haut les autres juridictions canadiennes, on a préféré niveler par le bas. La raison officielle de cette harmonisation de plancher : la mobilité de la main-d’œuvre d’une province à l’autre. Pardon ! Vous êtes sérieux ? Combien de représentants traversent la frontière pour venir pratiquer au Québec et vice-versa ? un ? trois ? Tu vends ta clientèle, tu vas t’installer à Calgary. Tu recommences à zéro en anglais, réapprends toute la terminologie, les différences en fiscalité, en matière de successions, etc. Quatre millions de dollars plus tard, l’AMF a chamboulé l’AEC de formation en assurance (qui fonctionnait très bien) en justifiant la nécessaire harmonisation pour accommoder une main-d’œuvre apparemment très mobile. Bien sûr, les conseillers de Gatineau ont des clients vivant à Ottawa. Mais convenons que ce ne sont pas quatre modules qui vont les préparer à cette situation qui se présente le plus souvent quand le conseiller est déjà bien établi et que ses clients, eux, déménagent. Des cas anecdotiques.

La responsable du nouveau programme à l’AMF, Maryse Pineault, a assuré à nos collègues du Journal de l’assurance qu’il ne s’agissait pas d’un nivellement par le bas. Et que l’abandon de l’AEC en assurance était plutôt vu par l’AMF comme une modification aux exigences de formation.

Le mystère de ce compromis pan-canadien reste cependant entier. D’une part, l’AMF crie au loup et à l’importance de la spécificité et de l’expertise québécoises quand le fédéral mentionne son projet de régulateur national ; d’autre part, on coupe dans une formation qui faisait la fierté du Québec pour accommoder l’industrie et les amis du CCRRA. De plus, tout cela contribue à dévaloriser le titre de conseiller en assurance collective de personnes au Québec puisque, comme cette exigence n’existe pas dans le ROC, on a décidé d’éliminer les cours menant à ce titre.

Le plus curieux dans cette histoire d’harmonisation et de mobilité, c’est que dans le domaine de la planification financière, qui est aussi une activité pan-canadienne, les CFP et RFP sont interdits de pratique au Québec s’ils n’ont pas répondu aux exigences de formation de l’IQPF. Voilà l’exemple qu’il fallait plutôt suivre, où la formation québécoise a préséance sur celle moindre de nos compatriotes canadiens. Depuis quand une formation réduite garantirait la protection du public ? Et comment justifier en rétrospective cette surprenante contorsion de l’AMF pour nos concitoyens du ROC?

L’AMF jouera-t-elle le même tour d’accommodement aux planificateurs financiers avec la révision de la LDPSF?

Faut-il rappeler que certains grands assureurs souhaitent clairement l’intégration de l’IQPF au sein de l’AMF? Dans la quête du ministère des Finances de M. Leitao et de M. Morisset pour que l’AMF se fasse plus grosse que le bœuf fédéral, il semble y avoir un risque sérieux que le poids des lobbies nous vaille d’autres compromis en douce.

Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

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