L’investissement responsable est encore méconnu

Par La rédaction | 16 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
8 minutes de lecture

À l’heure où la gestion socialement responsable des grandes entreprises attire un nombre de plus en plus important d’investisseurs dans les pays industrialisés, les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) qui en constituent la base sont plus que jamais d’actualité.

Aujourd’hui, Conseiller passe au crible l’un de ces trois piliers de l’analyse extra-financière, soit le critère social, qui prend notamment en compte le respect du droit des employés et des sous-traitants de la compagnie ainsi que la formation de son personnel et la prévention des accidents.

« On s’attarde beaucoup à la question de l’environnement ou aux problèmes de gouvernance, mais les aspects sociaux sont bien souvent perçus comme étant qualitatifs et moins facilement améliorables. Or, qu’il s’agisse de rémunération décente ou de l’aggravation des inégalités sociales, par exemple, beaucoup d’enjeux prendront de plus en plus d’importance à l’avenir et il est donc important d’en tenir compte », explique Rosalie Vendette, conseillère principale en investissement responsable (IR) chez Desjardins Gestion de patrimoine.

« LA CLÉ, C’EST D’OBTENIR DE L’INFORMATION »

Aux particuliers ou aux conseillers intéressés par l’aspect social de l’IR d’une entreprise dans laquelle ils envisagent d’investir, celle-ci suggère de consulter la materiality map du Sustainable Accounting Standards Board (SASB), un organisme qui recense les enjeux les plus importants par secteur d’activité. Bien que cette liste ait été établie en fonction du contexte américain, la spécialiste estime qu’elle constitue un bon point de départ pour des investisseurs canadiens. « Le SASB en a répertorié plusieurs, comme les droits humains, les relations avec la communauté ou « acceptabilité sociale », le bien-être des employés, notamment en matière de soins de santé, ou encore tous les enjeux entourant la sécurité des données et le droit à la vie privée des clients, car dans ce domaine les fraudes sont nombreuses », détaille-t-elle.

« La clé, pour les investisseurs, c’est de pouvoir obtenir de l’information de la part des entreprises ou des émetteurs concernant les enjeux importants dans leur secteur d’activité », résume Rosalie Vendette. Du côté des entreprises, précise-t-elle, il existe quand même des normes, en particulier le standard de responsabilité sociétale SA 8000, qui défend des conditions de travail décentes. Et il existe aussi des outils en matière de reddition de comptes, avec notamment la Global Reporting Initiative (en anglais), qui permet aux organisations de classifier ou d’exprimer leurs données dans le cadre d’un référentiel commun afin de rendre comparables l’ensemble de ces informations.

À l’échelle internationale, le référentiel le plus répandu pour les investisseurs institutionnels est aujourd’hui celui des Principles for Responsible Investment, qui regroupe déjà plus de 1 800 institutions qui se sont engagées à s’inspirer de six principes « responsables » (en anglais) pour conduire leurs affaires. Leur équivalent pour les entreprises est le Pacte mondial (ou Global Compact, en anglais).

PAS FACILE DE S’Y RETROUVER POUR UN PARTICULIER

Dans ces conditions, il n’est pas forcément évident pour M. et Mme Tout-le-Monde de savoir si le critère de justice sociale est bien appliqué ou pas dans les cas qui les intéressent. « Pour s’y retrouver, la première chose à faire est de voir si ce thème a un lien avec l’entreprise et avec son secteur d’activité, et de vérifier quels sont ses engagements dans ce domaine et quels sont les moyens qu’elle dégage pour les remplir », explique Rosalie Vendette. Comment? Par exemple en consultant ses rapports de développement durable ou de responsabilité sociale, même s’il ne s’agit que d’une partie de l’information et qu’il ne faut donc pas s’arrêter là.

Le hic, ajoute-t-elle, c’est que le Canada ne dispose pour l’instant d’aucun label responsable en matière de produits d’épargne. Et même si certaines compagnies comme Morningstar et Fundata font des classements de produits d’épargne ou des classements d’entreprises responsables, chacune utilise sa propre méthodologie. « Le consommateur ou l’investisseur individuel doit donc déterminer par lui-même quelles sont ses sensibilités, c’est-à-dire les sujets qu’il juge importants, et poser ensuite des questions à son conseiller financier. Si sa sensibilité est nulle et qu’il n’a aucune tolérance, on parle alors d’un filtre d’exclusion, ce qui est fréquent en Amérique du Nord lorsqu’il est question de tabac, d’armement et de nucléaire », indique la conseillère principale en IR.

« Connaître ce que l’entreprise divulgue est bien sûr indispensable, mais il faut aussi comparer cette information avec des sources externes et la croiser avec des informations provenant de pairs, c’est-à-dire savoir quels sont les résultats des autres joueurs du secteur. L’objectif est de déterminer si la compagnie qui nous intéresse fait mieux ou moins bien que ses concurrentes », explique encore Rosalie Vendette. Étant donné la masse d’informations disponible, celle-ci juge « très utile » d’avoir recours à des « agrégateurs d’informations » même si, en raison de leur coût très élevé, ces outils ne sont pas à la portée des investisseurs individuels mais généralement réservés aux manufacturiers de fonds communs de placement, aux gestionnaires de portefeuilles et aux régimes de retraite.

« IL N’Y A PAS DE RECETTE MAGIQUE! »

« Il s’agit souvent d’agences de notations spécialisées en investissement socialement responsable, comme MSCI ESG, Vigeo Eiris ou Sustainalytics. Ce sont des fournisseurs de services qui collectent les données émises par les compagnies, les vérifient en les croisant avec d’autres sources d’information et les classent en leur donnant des notes ». Toutefois, là non plus il n’existe aucun standard et chaque fournisseur possède sa recette et sa méthodologie, note Rosalie Vendette. « En fin de compte, poursuit-elle, c’est donc aux investisseurs qu’il incombe de développer leur propre approche, selon leur niveau de sensibilité à certains enjeux. Par exemple, ils pourront estimer qu’un critère X est plus important qu’un autre et donc faire leurs choix en conséquence. »

Pour s’y retrouver et savoir s’ils font un bon choix, les particuliers peuvent également compter sur le travail de recherche et d’analyse des promoteurs de fonds communs de placement ou des gestionnaires de portefeuilles, selon la conseillère. « Chez Desjardins, quand nous développons une stratégie de placement, nous le faisons à partir de critères précis, avec des objectifs précis, et nous traitons et vérifions un grand nombre de données, même si nous ne les divulguons pas toutes, puisque nos clients reçoivent de l’information concernant nos choix, et non sur l’ensemble des compagnies que nous avons examinées », explique Rosalie Vendette.

Dans l’hypothèse d’un investisseur individuel faisant affaire avec un professionnel de la finance, c’est fort probablement ce dernier qui lui présentera différentes stratégies de placement et différents produits et solutions, poursuit-elle. « Si le client préfère procéder lui-même au travail de recherche, il peut toujours transmettre à son conseiller ses directives, par exemple en lui précisant qu’il veut davantage prioriser tel ou tel critère, et, une fois muni de ces informations, le professionnel pourra ainsi voir quel produit lui correspond le mieux. »

PLUS D’UNE CENTAINE DE PRODUITS DISPONIBLES

Enfin, un particulier peut aussi faire ses choix de placement et acheter des titres, donc des actions d’entreprises, tout seul. La spécialiste avertit néanmoins que le fait d’accéder à l’information représente « un gros travail ». « Ce que je leur conseillerais dans ce cas, c’est de lire en priorité le rapport de responsabilité sociale de la compagnie et de faire des recherches sur le Web. Mais attention, il faut savoir qu’il n’existe aucun site qui recense toutes ces informations et qu’il n’y pas non plus de recette magique pour les obtenir! »

Toutes les institutions financières au pays n’offrent pas de produits d’épargne conçus dans une approche d’investissement socialement responsable; au total, on en recense quand même aujourd’hui un peu plus d’une centaine. Pour savoir lesquelles en proposent, il faut consulter le site web de l’Association canadienne pour l’investissement responsable, qui offre une liste des différents produits disponibles ainsi qu’une compilation trimestrielle (la plupart des documents sont en anglais), où figurent notamment leurs rendements respectifs.

À titre d’exemple, Desjardins Société de placement, également appelée manufacture de produits d’épargne spécialisés, fournit une dizaine de produits d’épargne accessibles aux particuliers, soit des fonds et portefeuilles baptisés SociéTerre et un produit garanti lié au marché (PGLM) nommé PrioriTerre. Si l’on en croit Rosalie Vendette, le Fonds SociéTerre actions américaines constitue « un cas intéressant » de finance inclusive avec Visa : « En leur fournissant des outils de paiements, la compagnie et ses partenaires ont aidé 162 millions de consommateurs au cours des deux dernières années à ouvrir des comptes dans des zones mal desservies de la planète, sur un objectif total de 500 millions de personnes. »

UN SUCCÈS CROISSANT AUPRÈS DES INVESTISSEURS

La conseillère de Desjardins relève par ailleurs « un engouement croissant » des Québécois pour les placements ayant une approche d’IR, avec en particulier « une tendance lourde chez les Y pour ce type de produits ». Un constat corroboré par une récente étude de l’Institut de recherche en économie contemporaine qui relève que malgré le recul des éléments d’actifs totaux en 2010, dans la foulée de la crise financière de 2008, les montants investis en finance responsable dans la Belle Province sont passés, en 10 ans, de 198 à 457 milliards de dollars, soit une augmentation de plus de 130 %.

« Depuis quelques années, nous mesurons l’évolution de ce marché sur la base de la notoriété, de l’intérêt et de l’intention. Or, si nos sondages montrent que la première progresse, cet aspect-là reste quand même celui où le résultat obtenu est le moins bon, avec un score de seulement 28 %. Autrement dit, plus des deux tiers des Québécois ignorent encore ce qu’est l’investissement socialement responsable. En revanche, quand on leur en parle et qu’on leur demande s’ils souhaiteraient que leurs placements prennent en compte les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, 76 % des répondants sont intéressés et 56 % d’entre eux se disent prêts à passer à l’acte. »

« Globalement, on dénote donc encore une grande méconnaissance de ce qu’est l’IR, avec en plus une perception souvent erronée selon laquelle une telle approche pourrait nuire au rendement financier. Mais à partir du moment où on est capable d’expliquer aux investisseurs potentiels que ce n’est pas le cas, bien au contraire, on constate qu’ils sont intéressés », résume Rosalie Vendette. Celle-ci précise que ce segment représente aujourd’hui près de trois milliards de dollars d’éléments d’actifs sous gestion, soit environ 9 % du total des éléments d’actifs sous gestion de Desjardins Société de placement et 22 % de ses clients.

La rédaction