LNH : jeunes, riches… et fragiles

Par Jean-François Venne | 7 octobre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les scandales financiers retiennent régulièrement l’attention dans l’univers sportif, et notre sport national ne fait pas exception. Les conseillers jouent un rôle important pour éviter aux athlètes de rudes mises en échec financières.

Lorsque Jack Johnson, défenseur de 28 ans actuellement avec les Blue Jackets de Columbus, signe un contrat de sept ans pour une valeur de 30,5 M$ US en 2011 avec les Kings de Los Angeles, son avenir financier paraît assuré. Pourtant, il se retrouve aujourd’hui sans le sou. Ses gains servent à rembourser des créanciers, dans le cadre d’un arrangement légal. Comment en est-il arrivé là ?

En 2008, Jack Johnson décide de rompre avec son agent, Pat Brisson, qui n’est pourtant pas le dernier venu. L’un des plus influents agents de la LNH, il représente notamment Jonathan Toews, Sidney Crosby et Max Pacioretty. Malgré tout, le jeune joueur préfère confier la gestion de ses finances à ses parents, auxquels il signe une procuration. Lorsqu’il déclare faillite en 2014, Jack Johnson ploie sous le poids de dettes diverses évaluées à environ 15 M$ US, alors que ses actifs totalisent moins de 50 000 $ US. Ces dettes proviendraient d’une série de prêts à haut risque et à haut taux d’intérêt (parfois jusqu’à 24 %) contractés, à son insu, par ses parents. Pour en faire quoi ? S’acheter, notamment, des voitures et une résidence luxueuse en Californie. Les parents engageaient chaque fois en garantie les revenus futurs de leur fils, et auraient omis de rembourser nombre de leurs créanciers. L’athlète a coupé tout contact avec eux, mais ressentira longtemps les contrecoups de leur mauvaise gestion.

« Avec un professionnel, le joueur peut laisser les émotions de côté et avoir une relation d’affaires. S’il est insatisfait du service qu’il reçoit, il peut aller voir ailleurs, rechercher une autre expertise.»

– Dany Dubé

Pour le réputé analyste de hockey Dany Dubé, le cas de Jack Johnson reste, heureusement, exceptionnel. Cependant, il illustre la nécessité de confier ses affaires financières à un professionnel, capable d’apporter un regard objectif. « On a un fort lien émotif avec nos parents et amis, lequel peut fausser notre jugement, note l’analyste. C’est un terrain glissant, même lorsque ceux-ci sont bien intentionnés. Avec un professionnel, le joueur peut laisser les émotions de côté et avoir une relation d’affaires. S’il est insatisfait du service, il peut aller voir ailleurs, rechercher une autre expertise. »

Ce conseil vaut même si le proche en question se prétend conseiller en services financiers. Parlez-en à l’ancien attaquant du Canadien de Montréal Joé Juneau. Celui-ci a eu la mauvaise idée de confier ses avoirs à Phil Kenner, conseiller mais aussi ami de longue date. Rencontré alors qu’ils jouaient ensemble au hockey dans une université américaine à la fin des années 1980, celui-ci avait servi de témoin au mariage de Joé Juneau.

255 000 $ US

C’est le montant annuel maximum de la rente de retraite accumulée par un joueur qui aurait joué le maximum de 82 matchs par année pendant les 10 années que couvre l’actuelle convention collective de la LNH (2012-2022).

Pourtant, en juillet dernier, un tribunal de Long Island a condamné Phil Kenner pour six accusations de fraude, complot et blanchiment d’argent, des crimes qui auraient coûté 30 M$ US au total à Juneau et plusieurs autres joueurs de la LNH. Pendant des années, Kenner et son complice Tommy Constantine, condamné lors du même procès, auraient dépensé cet argent pour s’offrir des jets privés, des demeures luxueuses, des garanties contre des prêts hasardeux et jusqu’à une compagnie de tequila. Tommy Constantine aurait même utilisé l’argent des joueurs pour payer ses avocats spécialisés en fusions et acquisitions, alors qu’il tentait d’acheter Playboy Enterprises…

DES JOUEURS CONVOITÉS

Il faut dire que, quand on est connu et admiré, on est aussi fort sollicité. « Les gens ont envie d’être associés à un joueur de la LNH, lance Dany Dubé. Ces derniers reçoivent des tonnes de propositions de toutes sortes, que ce soit aller à un événement, investir dans un projet ou autre. Mais ces propositions ne sont pas toutes bonnes, loin de là ! Même quand elles sont honnêtes, elles ne sont pas nécessairement judicieuses financièrement pour le joueur. »

Ce genre de situation est familière à l’agent de joueurs Philippe Lecavalier. L’agence MFIVE Sports, pour laquelle il travaille, représente plusieurs stars de la LNH, dont son frère Vincent et les joueurs québécois Patrice Bergeron et Kris Letang. « C’est simple, je dis à mes joueurs qu’ils n’ont même pas à dire non à ces offres, ils n’ont qu’à me les transmettre, explique l’agent. Si le projet est bon, on pourra en discuter. Je demande à ceux qui proposent des investissements à mes joueurs de me faire parvenir un plan d’affaires. Dans 99 % des cas, je ne reçois rien et je n’en entends plus jamais parler ! »

Interrogé dans le cadre de cet article, un gestionnaire de patrimoine d’une grande banque canadienne spécialisée dans ce type de clientèle, qui préfère garder l’anonymat, indique que ces offres « non professionnelles » constituent sa plus grande concurrence ! Comme Philippe Lecavalier, il suggère aux joueurs de lui transmettre ces propositions. « Mais des fois, j’ai des surprises, admet-il. Un joueur entre dans mon bureau et m’annonce qu’il vient d’acheter un multiplex, ou un truc du genre. Je lui donne mon opinion, mais au bout du compte ça reste son argent. »

DES RECRUES PRÉRETRAITÉES

Justement, parlons-en de cet argent. Vu de l’extérieur, il est facile d’imaginer que tous les joueurs de hockey de la LNH roulent sur l’or et le feront jusqu’à la fin de leurs jours. Pourtant, en raison de la brièveté de leur carrière et de l’absence totale de sécurité d’emploi, les professionnels qui gèrent leurs finances n’ont qu’un mot à la bouche : prudence !

François Giguère est un nom connu des amateurs de hockey québécois. Ce comptable agréé de formation a travaillé pour les Nordiques de Québec de 1990 à 1995, d’abord comme contrôleur, puis comme assistant au directeur-général. Il a suivi l’équipe lors de son déménagement au Colorado, avant de quitter en 2002 pour un poste de directeur-général adjoint avec les Stars de Dallas. En 2006, il est revenu avec l’Avalanche du Colorado, en tant que vice-président exécutif et directeur général, poste qu’il a occupé jusqu’en 2009.

Le hockey, la convention collective et les finances des joueurs n’ont plus de secret pour lui. À tel point qu’il s’est reconverti depuis 2014 en gestionnaire de patrimoine pour A&I Financial Services. « Je voulais rester associé au domaine du hockey, que je connais bien et que j’aime, confie-t-il. De plus, j’ai constaté au fil de ma carrière que la transition vers la retraite était difficile pour les joueurs, notamment sur le plan financier. Ils n’ont plus d’agent, ils sont moins encadrés et ne touchent plus le même niveau de revenu. Un gestionnaire de patrimoine ou un planificateur financier peut leur être d’une grande aide. »

La retraite, pour un joueur de hockey, peut venir à tout moment. La durée moyenne des carrières est d’environ cinq ans et demi, calcule RAM Financial Group, qui se spécialise dans les finances des athlètes. Pour le site quanthockey.com, la durée médiane serait de quatre ans. Toujours selon cette source, de 2000 à 2010, c’est entre 23 et 29 ans que le plus grand nombre de joueurs se sont retrouvés à la retraite, souvent contre leur gré.

Forbes estime pour sa part que le salaire moyen des joueurs de la LNH était de 2,5 millions de dollars américains en 2013-14. Mais beaucoup de joueurs ne gagneront jamais de telles sommes. Dans la formation actuelle des Canadiens de Montréal, 11 joueurs touchent moins de 2 M$ US par saison. Environ 150 des 675 joueurs répertoriés par le site spotrac.com gagnent moins d’un million de dollars américains.

François Giguère

« Je gère l’argent de ces joueurs-là un peu comme on le ferait avec un préretraité, plutôt qu’avec un travailleur en phase d’accumulation. »

– François Giguère

PROTÉGER LE CAPITAL

« Personnellement, je gère l’argent de ces joueurs-là un peu comme on le ferait avec celui d’un préretraité, plutôt qu’avec celui d’un travailleur en phase d’accumulation », souligne François Giguère. Un de ses premiers soucis : s’assurer que le joueur ait accès rapidement à des liquidités en cas de besoin. D’une part, parce que le premier chèque de paie arrive le 15 octobre et le dernier le 15 avril, les joueurs n’étant payés que pendant la saison régulière. Les factures, elles, ne prennent pas de vacances. D’autre part, il est possible qu’un joueur se retrouve soudainement sans contrat, contraint de prendre sa retraite. Il aura besoin de financer cette période de transition avant sa nouvelle carrière, laquelle sera peut-être moins lucrative.

Une clientèle difficile d’accès

VOUS RËVER D’AJOUTER le nom de PK Subban ou de Carey Price à votre liste de clients ? Un appel à froid n’est probablement pas la meilleure manière d’y arriver…

Les deux gestionnaires de patrimoine interviewés par Conseiller ont un point en commun : ils se sont fait des contacts dans le monde du sport avant de commencer leur carrière dans la gestion financière. François Giguère a occupé des postes de direction dans des équipes de la LNH. Son confrère a quant à lui pratiqué un sport dans une université américaine, où il s’est lié d’amitié avec des joueurs, qui ont par la suite atteint des circuits professionnels. Certains ont requis ses services pour gérer leurs avoirs.

Si vous n’avez pas ce type de contacts, vous pouvez tenter d’approcher un agent de joueurs. L’agent Philippe Lecavalier n’hésite pas à recommander à ses clients un gestionnaire de patrimoine en qui il a pleine confiance. « Comme agent, mon rôle n’est pas de gérer les finances de mes clients, mais je peux faire le lien entre eux et leur conseiller en services financiers, et m’assurer que leurs intérêts sont bien servis », explique-t-il. D’autres agents, comme Pat Brisson, proposent à leurs clients de rencontrer plusieurs conseillers financiers avec lesquels ils ont l’habitude de collaborer, dès leur premier contrat, et de choisir celui qu’ils préfèrent.

François Giguère soutient pour sa part que d’autres agents sont plus frileux. « Si ça tourne mal avec un gestionnaire de patrimoine qu’ils ont suggéré à leur client, ils risquent d’en faire les frais, alors certains préfèrent ne pas s’associer directement à ce choix », souligne-t-il.

Bref, avant de faire des placements au nom de Max Pacioretty, mieux vaut vous armer de patience…

« L’argent que le joueur fait au début de sa carrière doit être protégé, avec des placements sûrs et liquides, soutient François Giguère. Puis, on pensera à mettre des sommes de côté à l’abri pour la période de transition post-carrière. Ensuite seulement, on pourra avoir une vision à plus long terme et miser sur des placements plus risqués, mais à plus fort potentiel de rendement. »

Il rappelle aussi que plusieurs joueurs amorcent leur carrière dans la Ligue américaine, où les salaires sont plus près du 100 000 $ que du million. Certains n’atteindront jamais la Ligue nationale. « Ils ont une belle occasion, à un très jeune âge, de mettre de l’argent à l’abri pour financer une reconversion professionnelle, par exemple un retour aux études », croit-il.

Philippe Lecavalier

« Je demande à ceux qui proposent des investissements à mes joueurs de me faire parvenir un plan d’affaires. Dans 99 % des cas, je ne reçois rien et je n’en entends plus jamais parler !  »

– Philippe Lecavalier

Notre gestionnaire de patrimoine anonyme précise lui aussi faire preuve d’une grande prudence. « Je travaille seulement sur la base du contrat en cours, dit-il. On ne sait pas si le joueur connaîtra une longue carrière, donc inutile de prévoir des sommes qui n’arriveront peut-être jamais. Pour les deux premiers contrats, en général, le joueur a peu de pouvoir de négociation. Le salaire des recrues est plafonné dans la convention collective, et lors de la signature du deuxième contrat, les droits sur le joueur appartiennent à l’équipe. Il n’a donc pas vraiment de levier de négociation. C’est lors du troisième contrat qu’il obtient des sommes plus importantes. À ce moment, on peut envisager des placements plus audacieux. Mais avant cela, je privilégie la sécurité au rendement. »

De toute manière, conclut-il, « pour un joueur, c’est sur la glace que se présente la meilleure opportunité de faire croître ses revenus. S’il est performant, il va accumuler des millions de dollars. C’est là-dessus qu’il doit se concentrer pour avoir du rendement, et non sur les investissements à risque ».


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Jean-François Venne