Mandataire : le bien-être de vos clients en dépend – 1re partie

Par Sophie Stival | 31 mai 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
8 minutes de lecture

Le vieillissement de la population est une réalité à laquelle doivent faire face les conseillers. Certains clients ou les parents de ceux-ci perdront un jour ou l’autre leurs facultés physiques ou cognitives. On n’a qu’à penser à la maladie d’Alzheimer, qui touche de plus en plus de Québécois.

Lorsqu’un client devient inapte, la personne qui prend soin d’elle et administre ses biens doit bien sûr le faire dans le meilleur de ses intérêts. Comment s’en assurer? En rappelant à sa clientèle l’importance de rédiger un mandat en cas d’inaptitude. Comprendre le rôle et les responsabilités du mandataire permettra au mandant de prendre des décisions éclairées. Son bien-être physique et affectif en dépend.

Certains l’oublient, mais le conseiller a également un devoir de vigilance envers ses clients mandataires et ceux en perte d’autonomie. Juridiquement, il a une responsabilité à leur égard.

Un chèque en blanc En nommant son mandataire et en lui accordant la pleine administration, comme c’est souvent le cas, on donne véritablement à cette personne un chèque en blanc. « On ne le réalise pas, mais c’est comme si on lui disait : je n’ai plus ma tête, dorénavant tu signes dans tous mes comptes pour et en mon nom », explique Me Danielle Beausoleil, notaire associée au bureau Prud’Homme Fontaine Dolan.

Sylvie Charbon est travailleuse sociale depuis plus de 20 ans. Elle effectue régulièrement des évaluations psychosociales afin de déterminer le niveau d’inaptitude des gens. Ont-ils encore la capacité à consentir à leurs soins et à gérer leurs biens? Cette démarche fera souvent partie du processus d’homologation d’un mandat.

Pendant ces rencontres, elle discute non seulement avec le mandant, mais également avec le mandataire désigné. Elle doit, par exemple, détecter et éventuellement signaler les situations d’abus. Elle pose carrément la question à la famille : « Que pensez-vous du choix du mandataire qu’a fait votre père, votre mère? Les gens parlent en toute confidentialité et ils se confient donc assez librement », remarque Mme Charbon. Ces entretiens permettent d’évaluer le niveau de préoccupation et le climat de collaboration qui existe. Le travailleur social collecte des faits qui l’amèneront à être en accord ou en désaccord avec la recommandation du mandataire au mandat. C’est un tribunal qui rendra la décision finale.

Elle se souvient d’un cas où la personne présumée inapte avait beaucoup d’argent. En interrogeant le futur représentant légal sur ses intentions par rapport au patrimoine de son père, celui-ci a répondu : « Oh! vous savez, ça fait longtemps qu’on veut refaire le patio chez nous. » Dans un tel cas, Mme Charbon ne fait aucun commentaire, mais prend des notes… que lira par la suite un juge.

Chaque situation est différente. Parfois, l’éventuel mandataire démontre son intérêt pour la personne inapte en souhaitant utiliser une partie des avoirs du mandant pour adapter sa maison. Une dame, par exemple, désirait arrêter de travailler pour s’occuper de sa mère. Le couple a réaménagé sa résidence pour elle. Le monsieur voulait installer une rampe pour handicapée. « Dans ce cas-là, on comprend qu’il y a une réelle préoccupation de s’occuper de la personne », note Mme Charbon. Cette préoccupation se manifeste de multiples façons.

L’incapacité en 12 questions

    • 1. Advenant votre inaptitude, qui prendra soin de vous, décidera des questions médicales, de l’endroit où vous serez hébergé, etc.?
    • 2. Advenant votre inaptitude, qui administrera vos biens? Est-ce la même personne pour votre patrimoine personnel et vos sociétés?
    • 3. Sur le plan des sociétés, êtes-vous seul actionnaire? Sinon, avez-vous une convention d’actionnaires? Possédez-vous une société de gestion?
    • 4. Pour chaque personne que vous nommez, il faudrait prévoir au moins 1 ou 2 remplaçants.
    • 5. Vos mandataires peuvent-ils faire des placements selon leur bon jugement ou désirez-vous qu’ils soient limités aux placements présumés sûrs?
    • 6. Désirez-vous que vos mandataires rendent compte de leur gestion à quelqu’un annuellement? Si oui, à qui?
    • 7. Avez-vous des personnes qui sont financièrement à votre charge?
    • 8. Avez-vous des enfants mineurs? Si oui, qui agirait comme tuteur advenant votre incapacité et celle de leur père (mère)?
    • 9. Désirez-vous rester à domicile le plus longtemps possible?
    • 10. En cas d’hébergement, avez-vous des critères particuliers? Par exemple : propreté, hygiène, lieu, clarté, chambre privée, etc.
    • 11. Êtes-vous à l’aise avec des clauses qui précisent que vous êtes contre toute forme d’acharnement thérapeutique?
    • 12. Consentez-vous au don d’organes? Si oui, svp me fournir votre numéro d’assurance maladie.

Note : Me Danielle Beausoleil a généreusement partagé avec Conseiller le questionnaire qu’elle envoie à ses clients lorsqu’il est question de mandat en cas d’inaptitude.

La confiance avant tout « Notre mandataire doit être la personne sur terre en qui on a le plus confiance, affirme Me Beausoleil. Par rapport à notre hébergement et notre bien-être, c’est une personne qui respectera nos volontés, notre philosophie. Du point de vue de la gestion de nos biens, on cherchera une personne qui est la plus honnête possible », ajoute-t-elle. En gros, le mandataire doit administrer les biens de la personne inapte et prendre des décisions qui seront toujours dans l’intérêt supérieur de celle-ci.

« On doit choisir quelqu’un qui partage les mêmes valeurs que soi. Certains enfants pourront penser : ce n’est pas grave où l’on place ma mère, elle a l’Alzheimer, elle ne s’en rendra même pas compte. Or, ce n’est pas vrai », constate Me Beausoleil. Pour certaines personnes, ce sera très important que l’endroit soit agréable et confortable, que les petits-enfants, par exemple, aient le goût de venir visiter leur grand-mère dans un endroit propre et qui sent bon », illustre-t-elle.

En choisissant son mandataire, «on doit avant tout se demander quelle personne dans notre entourage se préoccupera et respectera le mieux notre intégrité humaine, notre dignité », croit personnellement Sylvie Charbon. Que penser d’un mandataire qui fait bien fructifier les avoirs financiers du mandant, mais qui le place dans un centre d’hébergement où l’on change sa couche une fois par semaine? Dans un cas où le mandataire serre trop les cordons de la bourse d’un mandant pourtant à l’aise, la famille ou le travailleur social a le droit d’intervenir. « On peut porter plainte au Curateur public et réclamer une enquête », précise Mme Charbon.

Qui choisir? De nos jours, les familles sont petites. Le mandant choisira généralement son mandataire parmi ses proches, son conjoint, ses enfants, s’ils sont majeurs. Parfois, on va penser à un frère, une sœur, un bon ami. « Mais ça demeure un réseau assez restreint », dit Danielle Beausoleil.

Dans le cas d’une deuxième union, d’une famille recomposée, la notaire suggère d’opter pour deux mandataires : le conjoint et un enfant de la première union, par exemple. « C’est une question de transparence, de maintenir les liens et d’éviter l’impression qu’une de ces personnes est en train de faire une passe, comme on dit… »

Dès qu’il y a plus d’un mandataire, la situation se complique. Plusieurs décisions devront être prises et la collaboration sera donc essentielle entre les parties. En d’autres mots, on évitera de nommer des gens qui ne s’entendent pas. L’avantage d’en désigner deux sera que les mandataires se surveilleront. Ça sera plus rassurant pour le mandant et le reste de la famille. À trois, l’encadrement sera plus souple puisqu’on pourra décider à la majorité et non à l’unanimité, comme ça serait le cas à deux.

La compétence du mandataire ne devrait pas être un critère de sélection en tête de liste, confirme Me Beausoleil. Si le mandataire n’est pas tout à fait à l’aise pour gérer ou administrer les biens de la personne inapte, il peut à tout moment s’adjoindre les services de professionnels pour le guider. La confiance et l’aptitude à collaborer, à communiquer, lorsqu’on est plus qu’un, seront par contre primordiales.

Pour lire la deuxième partie, cliquez ici.

Pour télécharger le questionnaire de Danielle Beausoleil en format Word, cliquez ici.

Cet article est tiré de l’édition d’avril du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Sophie Stival