Marché immobilier : gare à l’explosion!

Par Jean-François Venne | 24 juillet 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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driving at high speed in empty road – motion blur

Le secteur immobilier risque-t-il de faire dérailler l’économie canadienne et le budget du gouvernement fédéral? Convaincus que oui, les gestionnaires de Canso Investment Counsel sonnent l’alarme.

Dans une récente note, les analystes du gestionnaire de fonds Canso Investment Counsel Ltd, basé à Richmond Hill, en Ontario, comparent le marché immobilier canadien à une voiture de course dopée d’un carburant trop puissant, filant à toute vitesse, mais dont le moteur risque d’exploser à tout moment.

Ce carburant, ce sont les règles de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), lesquelles permettent notamment d’acheter une maison avec une mise de fonds très faible et (jusqu’à tout récemment) d’emprunter sur une très longue période. Les analystes admettent que ces règles ont facilité l’accès à l’habitation d’un grand nombre de Canadiens. Elles ont aussi permis aux banques, lors de la crise financière, de continuer à prêter, ce qui fait dire aux experts de Canso que les Canadiens ont, en quelque sorte, « emprunté leur sortie de la récession ».

Mais ces règles ont aussi alimenté une forte inflation du prix de ces habitations. Résultat : les Canadiens vivent dans des maisons au-dessus de leurs moyens.

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Faciliter l’accès à la propriété… et l’endettement

Pour appuyer cette affirmation, Canso donne l’exemple du marché du quartier de North Toronto. En se basant sur le revenu moyen, avant impôts, des résidents, les analystes évaluent qu’ils ont les moyens de contracter un emprunt hypothécaire (sans mise de fonds) de 615 000 $ sur 25 ans. Or, le prix moyen des maisons standards à deux étages dans cette localité, selon Royal LePage, est de… 900 000 $!

En moyenne, le rapport entre le prix de l’habitation et le revenu a augmenté de 40 % en 20 ans au Canada. Pendant la même période, la dette des foyers canadiens, qui représentait 55 % du PIB en 1990, est passée à 97 % du PIB en 2013, un record absolu pour le pays.

En chiffres

  • – Avant 1935, les acheteurs canadiens devaient généralement débourser une mise de fonds représentant 50 % de la valeur de la maison pour obtenir un prêt hypothécaire couvrant l’autre moitié. (Source : Canso)
  • – Le prix d’une maison à deux étages à North Toronto a triplé en 20 ans, passant de 300 000 $ en 1993 à 900 000 $ en 2013. (Source : Canso)

Cette hausse des prix s’est produite parallèlement à l’augmentation fulgurante du nombre de prêts hypothécaires assurés par la SCHL et par Genworth MI Canada, une entreprise privée dont le gouvernement fédéral se porte garant. De 30 % en 1990, la proportion est passée à 55 % en 2003, puis à 75 % en 2013.

Cette augmentation a été favorisée par l’implantation de programmes visant à encourager l’accès à la propriété, comme les titres hypothécaires LNH, ou les obligations hypothécaires canadiennes, qui permettent d’investir dans des obligations adossées aux hypothèques. Elle l’a aussi été par la diminution constante de la mise de fonds obligatoire, et par l’adoucissement des règles auxquelles devaient se plier les banques pour que leurs prêts soient assurés.

L’accès à la propriété a certes été favorisé, mais l’endettement des ménages aussi.

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Flaherty, « pilote désespéré »

Les gestionnaires ne manquent pas de faire remarquer qu’au plan personnel, plusieurs ménages canadiens vivent une situation risquée. Un effondrement des prix dans l’immobilier serait pour eux « un désastre personnel aux proportions quasiment inimaginables ». Mais ce qui les inquiète encore davantage, c’est l’incidence d’un tel effondrement sur l’économie canadienne. « Jusqu’à 30 % de l’économie canadienne dépend directement ou indirectement de l’immobilier », rappellent-ils.

Selon les analystes de Canso, les récentes mesures du ministre des Finances Jim Flaherty pour redresser la situation illustrent la nervosité du gouvernement fédéral. Rappelons que la SCHL n’assure désormais plus les prêts hypothécaires d’une valeur de plus d’un million de dollars lorsque le rapport prêt-valeur dépasse 80 % (le maximum était de 250 000 $ avant 2003). Autres changements : la durée maximale d’amortissement d’un prêt ne peut plus dépasser 25 ans; la mise de fonds minimale est désormais de 5 %; et un même individu ne peut plus détenir plus de deux hypothèques assurées par la SCHL à la fois.

Suffisant? Pas pour Canso. Revenant à leur analogie de la voiture de course, les analystes comparent le geste de Jim Flaherty à celui d’un pilote désespéré, mettant sa voiture au neutre et priant pour qu’elle franchisse le fil d’arrivée avant que le moteur, déjà en flammes, n’explose carrément…

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Le scénario catastrophe de Canso

  • Les taux d’intérêt remontent et les consommateurs peinent à rembourser leur hypothèque;
  • Le capital arrive à échéance et il faut renégocier;
  • Les maisons gigantesques et les condominiums vides affectent la productivité canadienne;
  • La fin inévitable du boom immobilier se fait sentir économiquement;
  • La diminution de la valeur des maisons réduit les emprunts et la consommation;
  • Le système bancaire est mis à rude épreuve par l’accumulation des défauts de paiement;
  • Les finances publiques sont affectées par la baisse des revenus fiscaux;
  • La solvabilité du gouvernement fédéral est menacée par le passif lié aux prêts hypothécaires qu’il assure.

Pour aller plus loin :

Jean-François Venne