Mettre son testament à jour

Par Carole Le Hirez | 28 novembre 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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En plus de 30 ans, le notaire Michel Beauchamp a vu de nombreuses familles se déchirer dans son bureau au moment de régler la succession d’un proche. Il s’est inspiré de ces histoires pour créer une minisérie à mission éducative qui démontre l’importance de tenir son testament à jour.

La série Chicanes d’héritages met en scène des situations lourdes de conséquences. Mourir sans avoir fait de testament, nommer des héritiers surprises ou encore avoir des demandes inattendues peuvent être problématiques sur le plan humain, financier et fiscal.

Dans le premier épisode, diffusé sur la plateforme Vrai, de Videotron, Caroline découvre une mystérieuse héritière à la lecture du testament de son père. Celui-ci avait une nouvelle conjointe depuis peu à qui il souhaitait léguer la moitié de ses biens, déshéritant du même coup son ex-épouse et la mère de Caroline. À la peine provoquée par le deuil, s’ajoutent des sentiments de trahison et d’injustice chez la jeune femme, qui met tout en œuvre pour contester le testament. La situation se règle finalement à l’amiable avec l’autre héritière, non sans beaucoup de stress et d’émotion de part et d’autre.

Michel Beauchamp a réellement vécu cette situation, qui n’est pas rare au sein des familles recomposées. « J’avais depuis longtemps l’idée de faire une série dans laquelle des personnes viendraient témoigner de leurs problèmes de succession », dit-il. Face au défi de trouver de vrais cas pour témoigner devant la caméra, la production a choisi la docufiction, avec des acteurs pour la partie témoignage et des experts qui apportent des points de droit.

DES TESTAMENTS NON OUVERTS

Dans près d’un dossier sur trois, le testament que Michel Beauchamp découvre devant les héritiers est toujours dans son enveloppe d’origine. Or, il faudrait revoir un testament périodiquement, idéalement chaque année, afin de tenir compte de tout changement dans la situation du client, affirme-t-il. Une naissance, une séparation, une nouvelle union, le décès d’un héritier nommé dans la succession sont autant d’événements qui nécessitent une mise à jour. « Dès que la situation du client change sur le plan financier et familial, il faut réviser le testament. »

De plus, les clients font souvent leur testament en fonction de leur vie active. Ils devraient donc le réviser au moment de prendre leur retraite, car leurs conditions financières changent alors.

Michel Beauchamp voit plusieurs raisons à cet oubli, alors que plus de la moitié des Canadiens n’ont pas de testament, selon un récent sondage de RBC Trust Royal. « Parler de mort et d’argent n’est pas facile. Ces discussions portent une lourde charge émotive. Pourtant, le fait pour le client de mieux saisir l’impact de ses décisions au moment de rédiger son testament peut contribuer à améliorer le processus successoral et à préserver les relations humaines. »

DES LUNETTES ROSES

Quand ils préparent leur testament, les clients commettent plusieurs erreurs dommageables. « Ils ont tendance à mettre des lunettes roses. Ils surestiment ce qu’ils vont léguer aux héritiers ou ils espèrent réparer des chicanes familiales. »

Des parents nomment liquidateurs des enfants qui ne s’entendent pas, en espérant qu’ils se réconcilieront. « C’est une erreur, car cela contribue plutôt à retarder le règlement de la succession », constate le notaire, qui a fondé l’étude Beauchamp et Gilbert en 1992.

Une autre erreur consiste à dresser une liste de biens à transmettre aux héritiers. Cependant, ces biens risquent de ne plus être en la possession des clients au moment de leur décès.

Les clients négligent aussi les conséquences fiscales de leurs décisions. Ils lèguent un chalet à un enfant, ce qui est risqué, car la dette fiscale incombera à la succession. « Le client devrait plutôt rendre le legs conditionnel à l’obligation pour le légataire de rembourser l’impact fiscal qui résulte du don aux autres héritiers. »

« On voit souvent des conditions farfelues et irrecevables. Cela complique la succession inutilement. » Michel Beauchamp cite l’exemple d’une cliente qui souhaitait léguer une somme d’argent à son chien et voulait imposer à sa fille d’obtenir un baccalauréat avant de pouvoir toucher sa part de l’héritage.

BRISER LE SECRET

En matière de testament, le planificateur financier joue un rôle important, considère l’expert en liquidation de succession. En raison de sa connaissance approfondie de la situation financière du client, le conseiller est bien placé pour le guider dans la planification successorale. Il peut travailler en collaboration avec un notaire pour s’assurer que le testament respecte les volontés et la situation du client.

Selon Michel Beauchamp, la culture du secret qui règne autour du testament vis-à-vis des proches est l’une des principales causes des problèmes liés aux successions. Un immense tabou persiste chez les Québécois, à la différence des Américains, plus ouverts sur la question.

Les clients ont donc intérêt à se montrer plus transparents, à parler davantage de leur testament avec leur famille, à leur expliquer leurs intentions et les raisons de certaines décisions, estime le notaire, qui enseigne depuis une vingtaine d’années le droit de la succession à l’Université de Montréal.

Les conseillers peuvent faire passer le message. Ils aident ainsi les clients à prendre leurs décisions testamentaires en toute connaissance de cause. Pour les héritiers, ils évitent qu’au choc émotionnel engendré par le deuil ne s’ajoute la mauvaise surprise de découvrir un testament peut-être différent de ce qu’ils attendaient.